
Deux aventures théâtrales se croisent actuellement, entre la Palestine et la Belgique (la Wallonie, pour être précise), entre hier et demain, entre expériences partagées et goût d’entreprendre… Parmi les aventuriers, certains ont des planches plus que d’autres. C’est ce qui leur plait. La solidarité est le balisage du chemin, ponctué d’échanges de savoir-faire et de cultures.
La première de ces aventures théâtrales débute à Gaza en 1996. L’équipe du Théâtre du Public[1], qui rayonne principalement dans la région de La Louvière, tisse des liens amicaux et artistiques étroits avec le Theater for Everybody[2] de Gaza. Solidaire de cette troupe qui a choisi les armes de la scène pour combattre l’occupation et admiratif de son travail sur le terrain, le Théâtre du Public décide de la soutenir. De la rencontre sont nés une dizaine de spectacles montés en collaboration. Ils traitent des difficultés des Gazaouis qui travaillent en Israël, des violences faites aux femmes au sein des familles, de l’intégration des handicapés en milieu scolaire, de la problématique de l’eau dans le monde, d’un couple palestinien confronté à l’occupation, etc.
Ces multiples expériences menées de 1996 à 2008 rebondissent en ce mois d’octobre 2019 avec une conférence gesticulée « J’ai tant ri à Gaza » (Programme des représentations à Bruxelles et en Wallonie : www.theatre-action.be/spectacle/jai-tant-ri-a-gaza). Sur le plateau, Philippe Dumoulin, comédien et Marianne Blume, professeure à l’université de Gaza pendant dix ans; et aussi, virtuellement ou réellement pour autant que le blocus imposé par Israël le leur permette, deux comédiens gazaouis, Jamal El Rozzi et Hossam Al Madhoun. Ces quatre regards posés sur les mêmes situations dévoileront avec humour et force les réalités rencontrées là-bas comme ici, hier comme aujourd’hui.
« Faire du théâtre à Gaza avec des Palestiniens et tourner avec eux en Europe est une véritable odyssée. » précise Philippe Dumoulin, fondateur et directeur du Théâtre du Public. « 300 représentations, là-bas comme ici, des milliers de kilomètres parcourus, des fous rires, des larmes, des colères, des frustrations, des tendresses. C’est de tout cela qu’est faite notre conférence gesticulée. » A l’intersection entre le théâtre et la conférence académique, la conférence gesticulée a pour propriété essentielle de mêler sous une forme narrative le vécu des conférenciers-ères et des éléments de spéculation théorique. Dans le cas présent, un échange avec le public suivra le spectacle et durera le temps que les spectateurs voudront bien se prêter au jeu.
Au moment où cette aventure de douze années de collaboration s’achevait à Gaza, une autre aventure théâtrale, elle aussi de douze ans, commençait avec le premier voyage en Palestine (en 2007) de Didier Balsaux, directeur artistique de la Compagnie des Royales Marionnettes[3] et de son équipe. Un long parcours de rencontres, de réflexions, de questionnements aboutit dans un premier temps à une collaboration avec le Yes Theater à Hébron.
En 2018, des comédiens-marionnettistes du Yes Theatre viennent en Belgique durant un mois; en février 2019, les Royales Marionnettes se rendent à Hébron. Mais le partenariat tourne court. Une des comédiennes du Yes Theater, Diana Sweity (née en 1985), démissionne et crée sa propre compagnie dans son village de Beit Awwa. Situé à 14 km à l’ouest de Hébron et bordé par le Mur sur trois côtés, le village (12 000 habitants) s’est spécialisé dans la revente de ferraille à des grossistes israéliens. Les rues et la campagne environnante sont parsemées de milliers de carcasses de frigos. Diana Sweity tient là le nom de sa compagnie, ce sera « le Théâtre du Frigo » !
Aux yeux des Royales Marionnettes, Diana est « talentueuse, motivée et courageuse, débordante d’énergie, dotée d’un sens de l’humour hors normes et d’une grande ouverture d’esprit.» La décision est prise de soutenir la compagnie naissante ! Le partenariat prévoit d’aider « Le Théâtre du Frigo » à créer une compagnie de jeunes marionnettistes afin de porter le théâtre également dans des zones isolées; la contribution s’attachera à la formation et la professionnalisation des volontaires. La coproduction de créations est aussi à l’ordre du jour, afin de pouvoir rapidement présenter des oeuvres en Palestine et dans un contexte international, par exemple dans des festivals. La jeune compagnie bénéficiera également du réseau de diffusion de son aînée.
Diana Sweity était en Belgique cet été. Elle a pu y voir l’état d’avancement de la construction du castelet ainsi que de « ses » marionnettes. Longue vie au « Théâtre du Frigo » !
Catherine Fache
[1] Le Théâtre du Public, asbl fondée en 1994, est une compagnie professionnelle de théâtre-action spécialisée dans les interactions avec le public (théâtre-forum, théâtre-agora, théâtre participatif…). Subventionnée par la Fédération Wallonie-Bruxelles, la compagnie est en résidence au Centre culturel régional du Centre (Central – La Louvière) depuis 2001; elle est pionnière du projet Quartier Théâtre à Houdeng-Goegnies (depuis 2014).
[2] Le Theater for Everybody développe à Gaza des actions en dramathérapie avec des enfants.
[3] Les Royales Marionnettes est un théâtre de marionnettes professionnel itinérant, né en 1941. La compagnie trouve ses racines dans la tradition orale, le théâtre forain et la culture ouvrière. http://www.lesroyalesmarionnettes.be