Retour sur le parcours haut en couleur d’un artiste palestinien prolifique, capable d’exprimer tout à la fois la souffrance et la résistance de son peuple.
Par Michèle Hicorne
Palestinien, apatride, immigré, réfugié, artiste, Iyad est tout cela à la fois. Un parcours de vie difficile – comme celui de presque tous les Palestiniens. La Nakba, la douleur de l’exil : il les a tétées avec le lait d’une mère, réfugiée en Arabie saoudite après la destruction en 1948 de son village natal. Au décès de ses parents, à 9 ans, il retourne à Gaza et, grâce à son instituteur qui l’encourage, découvre la peinture. Mais alors que tout son pays, avant le « don » fait par l’Angleterre et la SDN au mouvement sioniste et le terrible vol des terres par l’État juif, était culturellement très développé, il ne pouvait plus offrir aux jeunes des études de peinture et de sculpture. Aussi, c’est dans un nouvel exil, en Libye, qu’Iyad obtiendra son diplôme de bachelier en arts.
L’université Al Aqsa de Gaza, ouverte alors aux garçons comme aux filles, lui permettra en 1998 de s’épanouir dans le métier de professeur. C’est de cette époque que datent ses premières œuvres connues et installées dans sa ville dont Le Phénix , en fibre de verre, et la Statue du retour. Des thèmes que tout·e Palestinien·ne, de Cisjordanie, de Jérusalem, de Gaza, de tout camp de réfugiés de par le monde, ressent au plus profond de soi. A la fois le terrible poids de l’exclusion de sa propre terre mais aussi la volonté de refuser l’effacement, de renaître et de pouvoir, enfin, utiliser la clé de sa maison.
Œuvres éphémères
La plupart de ses œuvres, l’artiste les voit détruites par les bombardements ou par le pouvoir en place mais sa force créatrice reste intacte et, après la terrible attaque israélienne de 2014, il installe sur la plage, Tahalok, un groupe de statues d’hommes, de femmes, d’enfants -un trou béant dans le dos-, qui fuient vers la mer, épuisés, maculés de sang, vers quel avenir ? Cette mise à nu de ce qui se passe sous la colonisation israélienne, cette interrogation sur le futur, ne serait-ce pas, aussi, une mise à nu de notre attitude et de notre silence, à nous, Européens ? Mais de cela, Iyad ne dira rien. Il ne juge pas notre comportement, il exprime simplement sa souffrance, les atrocités vécues par les siens et sa volonté de rester debout.
« Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir (…) Tu seras un homme mon fils ». Pour Iyad, ces mots de R. Kipling , ce ne sont pas que des mots. C’est une manière d’affronter l’existence, un courage qu’il a prouvé quand il est arrivé en Belgique. Seul, loin de sa femme et de ses enfants restés à Gaza sous blocus et menacés par les raids de l’armée occupante, il s’est retrouvé dans un hangar d’un centre de la Croix-Rouge, partageant avec d’autres demandeurs d’asile une tente. Insécurité du lendemain, documents multiples à fournir, impossibilité de peindre, de sculpter, avec toujours cette peur horrible (en chacun des résidents) d’un refus du Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA).Mais de l’homme, l’artiste n’est jamais loin et c’est dans une fresque de 90 mètres carrés, réalisée sur une place de Namur (sa première ville d’adoption en Belgique), avec pour tout matériau un tampon portant la date de la convention de Genève sur la protection des réfugiés, qu’il donnera une visibilité à tous ces demandeurs d’asile, trop souvent vus comme de simples numéros. Du street art d’un grand peintre que ne désavouerait certainement pas Banksy qui lui a d’ailleurs fait, pour d’autres réalisations, une place de choix dans son musée-hôtel, face au mur à Bethléem.
Aujourd’hui, Iyad vit à Charleroi avec sa femme et ses enfants. Le bonheur d’être avec les siens. Mais, ce père comblé, combatif, garde toujours la Palestine, SA terre, comme une souffrance, un trou (semblable à celui de ses personnages perdus dans les décombres de SA ville) dont toute sa création artistique rend compte. Quel que soit le sujet, même le plus anodin, « il parle toujours de la Palestine, il est toujours un témoin du caractère de ses femmes et de ses hommes » me dit-il, sobrement, mais en portant la main à son cœur.
Hommage à la femme
Peinture ou sculpture, celle qui est mise en évidence, c’est indéniablement la femme. Et cette femme, c’est SA Palestine car elle est celle qui donne naissance et fait espérer en l’avenir ; c’est elle qui, lorsque les hommes sont tués ou emprisonnés, pallie l’absence masculine ; c’est elle dont la force incroyable est un NON à l’occupant. Bel hommage à la femme forte, aussi déterminée que le taureau chevauché ; aux femmes sensuelles, évanescentes, aux formes voluptueuses, fluides, peintes en rouge vif ou dans un vert dilué ou dans des couleurs gaies, avec presque toujours comme marque de fabrique cette chevelure abondante, comme une crinière de guerrière.
Être un artiste palestinien est, Iyad ne le cache pas, difficile. Difficile pour ceux qui sont restés au pays et notamment à Gaza où le blocus empêche tout simplement d’avoir les matériaux nécessaires et de pouvoir sortir ses œuvres. Difficile pour tous ceux qui vivent ailleurs parce que les galeries d’art, en Europe comme aux USA, ont des réticences par rapport à l’art arabe en général et qu’au figuratif elles préféreraient l’abstrait. Par nécessité, notre artiste palestinien de Belgique suit des formations , espère trouver du travail mais, quoi qu’il arrive, il ne pourra s’arrêter de peindre, sculpter. L’art, c’est la RESISTANCE et une de ses dernières réalisations, la cuiller aux picots acérés, qu’il a plantée chez lui dans un cactus, en est un symbole éclatant. Courage, patience, les prisonniers ont creusé un tunnel avec ce simple outil pour connaître la liberté. Un pied de nez à Israël, comme celui d’Antigone enterrant son frère avec sa petite pelle d’enfant.