Créer pour crier : « Je suis toujours en vie » : chroniques illustrées d’un génocide à Gaza

 Chaque jour, l’artiste Maisara Baroud dessine une œuvre qu’il publie sur Instagram depuis l’enfer gazaoui.

Par Laurianne Systermans

Le trait est brut, voire abrupt. Les tons binaires, uniquement composés de blanc et de noir, indiquent la « dualité contradictoire » de la vie. Le propos est sans détour. Voici quelques caractéristiques de l’œuvre de Maisara Baroud qui dépeint au quotidien ce qui est devenu « l’ordinaire » à Gaza depuis près d’un an maintenant. Sur ses dessins apparaissent des tanks, des corps morts, des destructions qui disent l’oppression et des valises qui symbolisent l’exil.

Après avoir perdu sa maison, son bureau et son studio à Gaza en octobre dernier, Maisara Baroud a décidé de dessiner sa réalité. Pas un jour ne passe sans qu’il n’illustre le génocide commis par le gouvernement de Netanyahou dans l’enclave palestinienne. Il documente les déplacements forcés, les bombardements incessants, la nécessité de protéger celleux qu’on aime, ainsi que la peur et l’anxiété qui se sont emparées des habitant·e·s de Gaza depuis plus de 11 mois.

Ses carnets de croquis sont devenus des sortes de journaux intimes qui n’ont plus de secret pour personne. Les atrocités sont visibles sur les réseaux sociaux, en chair et en lambeaux ; rien ne peut échapper au reste du monde. Maisara Baroud l’exprime ainsi : « Je dessine pour dire à mes ami·e·s que je suis toujours en vie. »

Dans une interview donnée à Konbini en juin 2024, celui qui estime être « un coloriste raté » explique qu’il a commencé à dessiner régulièrement au moment du Covid19. Mais ce qui l’a poussé à entamer un processus quotidien face au génocide tient de la difficulté de communiquer en temps de guerre. Absence de signal ou coupure de réseaux (tant électriques que téléphoniques), il est compliqué de contacter ses proches. « La communication et la prise de contact avec mes ami·e·s étaient difficiles et parfois impossibles (…). J’ai enregistré et documenté mon journal de guerre et je me suis engagé à raconter l’histoire telle que je la voyais, loin de la propagande et du récit officiel. Dans mes journaux, je raconte les villes défigurées, les meurtres, les destructions, l’exil, la patience, la résilience, les fêlures, la douleur. »

Si Maisara Baroud a choisi l’illustration, c’est pour « essayer de documenter une partie de ce qui arrive ici, mais la réalité est plus terrible encore, je ne connais aucune langue qui pourrait en rendre compte. »

Dans ces dessins aux angles droits qui renvoient au cubisme, l’artiste trace les contours des tentes de réfugié·e·s dans des camps de déplacé·e·s, de croissants de lune qui éclairent les gestes tendres d’un père à sa fille ou d’oiseaux dont le plumage se fait témoin des atrocités « d’une guerre d’extermination ».

Mais, si la poésie s’invite dans ses croquis, il représente aussi sans détour les corps meurtris, amputés, décharnés. « À travers mon art, je veux créer une image différente de celle que l’occupation donne des Palestiniennes et des Palestiniens, car Israël les présente comme des Barbares, des sauvages arriérés et des meurtriers. Nous, tout ce qu’on veut, c’est le droit à vivre dans la dignité, comme les autres peuples du monde. »

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