En cours depuis des décennies, le nettoyage ethnique de basse intensité de la Cisjordanie a pris une ampleur alarmante depuis le début du génocide à Gaza. Retour sur ces évolutions avec Mohammad Hureini, militant de la résistance aux expulsions dans l’emblématique localité de Massafer Yatta, au Sud d’Hébron.
Propos recueillis par Emma Demoulin,
Bulletin n°105, été 2025
Massafer Yatta est depuis longtemps un symbole de résistance au nettoyage ethnique en Cisjordanie. Pourtant, celui-ci se poursuit avec une violence toujours plus grande. Comment expliquez-vous cette spirale sans fin, malgré la couverture médiatique de votre lutte?
Israël agit en toute impunité. Aucune couverture médiatique n’arrête les colons avec leurs bulldozers ou les forces israéliennes d’occupation. Lorsque le monde voit tout cela, les gouvernements restent silencieux et donnent même le feu vert à Israël pour intensifier ses crimes. Notre lutte continuera à dénoncer cette brutalité. Mais sans responsabiliser Israël, l’occupation se poursuivra.
Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de la façon dont cette oppression s’est accélérée depuis le 7 octobre?
Depuis le 7 octobre, les colons sont encore plus devenus des soldats. Pour nous, il n’y a aucune différence entre les soldats et les colons. Ils sont tous armés, encouragés et entraînés par les autorités et les ministres israéliens, par exemple par Smotrich et Ben-Gvir. Parfois, les colons attaquent avec l’armée, qui est là pour les escorter et les protéger. Ils tirent sur les gens et forcent les communautés à fuir leurs maisons. Ce qui était autrefois des attaques est devenu une campagne à grande échelle visant à dépeupler tous nos villages. Et c’est le cas dans toute la Cisjordanie.
Est-il encore possible aujourd’hui d’avoir une vie sociale et familiale, etc., même si l’armée fait tout son possible pour vous rendre la vie insupportable?
Bien entendu, nous aimerions continuer à avoir une vie sociale. Mais, avec le siège, l’armée et les colons rendent la vie sociale impossible. Les mariages, les funérailles et même le retour à l’école se font dans la crainte constante des attaques des colons. Un simple dîner en famille peut se transformer en un raid nocturne. Notre vie sociale devient un acte de défi. Chaque fois que nous nous réunissons et que nous faisons la fête ou que nous survivons simplement, c’est un acte de résistance. Nous subissons toutes les formes de harcèlement et de crimes. Tous les villages se transforment en ghettos et en prisons à ciel ouvert bloquées par des barrières. Toute notre vie est contrôlée par les soldats. Toute notre vie est contrôlée par un soldat qui nous enferme avec une clé qu’il a dans sa poche.
Vous subissez la violence des colons, mais aussi celle des autorités et de l’armée israéliennes. Comment collaborent-ils ?
Pour nous, il n’y a pas de différence, ce sont les deux faces d’un même système. Le fonctionnement est le suivant: les colons attaquent et les soldats les protègent. En tant que Palestiniens, si nous essayons de nous protéger de ces attaques, c’est nous qui sommes criminalisés et arrêtés. Se protéger est un droit fondamental pour tout être humain, mais ce qu’Israël tente d’imposer, c’est la criminalisation de ce droit. Entre les colons et les soldats, ce n’est pas simplement une «coopération». Ils forment une seule et même machine, un seul et même projet. Il n’y a aucune différence. Il faut comprendre que le problème ne concerne pas les colons. Le problème, c’est tout le régime qui fait venir ces gens et ces milices. Le système les forme à attaquer et leur assure l’impunité pour attaquer et commettre des crimes contre les Palestiniens. C’est vraiment important, pour moi qui ai perdu des amis et pour les gens qui ont perdu des jambes et des bras, de le répéter: il n’y a aucune différence entre les soldats et les colons.
Comment essaient-ils concrètement d’usurper vos terres?
Ils utilisent toutes les méthodes possibles. Ils essaient de nous expulser, à l’aide de machines, de nos maisons, de nos écoles. Ils rendent notre vie insupportable et impossible. Ils créent des obstacles et suppriment les éléments dont nous dépendons pour nous empêcher de cultiver la terre. Ils imposent des restrictions sur l’eau. Ils bloquent les routes et transforment nos villages en prisons à ciel ouvert. Ils poursuivent la Nakba qui a commencé en 1948.
Comment voyez-vous la résistance à l’avenir, dans un contexte de plus en plus critique?
La résistance n’est pas un choix pour nous, Palestiniens. C’est une façon d’agir contre l’occupation propre à tout peuple vivant sous occupation, peu importe la forme de résistance. Quant à l’avenir, je ne sais pas. Il apportera de nouvelles formes de résistance de la part des communautés et via la création d’alliances avec des mouvements de solidarité mondiaux. Nous résisterons parce que, simplement, nous refusons de quitter notre terre.
Photo : Mohammed Hurreini (à gauche) avec Hamdan Ballal (co-réalisateur du film No Other Land). crédit : Emma Demoulin.