Trente ans de mobilisation et une victoire contre l’apartheid sud-africain

L’apartheid, politique dite de « développement séparé » fondée sur des critères raciaux ou ethniques, a caractérisé l’Afrique du Sud de 1948 à 1991. Il a été aboli après trente ans de mobilisation internationale.

Par Pierre Galand

L’histoire de l’Afrique du Sud et celle de la Palestine sont certes différentes, cependant les méthodes de colonisation violentes et ségrégationnistes ont des traits communs. Et l’histoire de la mobilisation internationale contre l’apartheid préfigure celle de la campagne mondiale « Boycott, Désinvestissement, Sanctions » (BDS) lancée contre l’occupation israélienne des territoires palestiniens.

La pratique de l’apartheid et les premières résistances

Les pratiques racistes de ségrégation ont été instaurées dès l’arrivée des Afrikaners, colons blancs ayant fui les guerres de religions en Europe en 1652. Les Afrikaners et les colons britanniques, arrivés à leur suite, après s’être fait la guerre entre 1899 et 1902, s’étaient ligués pour s’approprier le riche territoire du cône sud de l’Afrique. L’esclavage ayant été interdit et le colonialisme disqualifié grâce aux luttes d’émancipation populaires, la notion de « développement séparé », l’apartheid, était présentée comme une nécessité pour la sauvegarde d’un peuple blanc se présentant comme « élu ». Ce régime consistait à regrouper les populations de même « race » dans des « homelands » ou « bantoustans » c’est-à-dire des réserves. C’est ainsi que les Noirs qui, en 1948, représentaient 70% de la population, étaient parqués sur 13% du territoire. A partir de 1950, neuf lois vont préciser le système de ségrégation en interdisant tous les contacts entre Blancs et non-Blancs. Chaque individu de couleur est classé et doit présenter un « laissez passer » pour sortir de sa réserve. Les mariages mixtes sont interdits et il faut disposer d’une autorisation pour le travail en usine ou dans les mines. Dès 1968, un couvre-feu est instauré pour les Noirs, entre 23 h et 5 h du matin.

Cette politique sera aussi pratiquée en Rhodésie, l’actuel Zimbabwe, et en Namibi, occupée par l’Afrique du Sud à partir de 1979. A chaque fois sont avancées les théories fumeuses du décalage historique entre Blancs évolués détenteurs d’une mission divine entourés d’une masse sous-développée principalement noire.

Les forces progressistes africaines en lutte pour leur indépendance étant considérées comme « la main de Moscou », les gouvernements blancs d’Afrique du Sud et de Rhodésie étaient de précieux alliés de l’Occident, en particulier de la Couronne britannique. L’apartheid sera donc soutenu par le monde des affaires et les gouvernements occidentaux car l’Afrique du Sud représentait un enjeu géopolitique majeur dû à la confluence des grands océans Atlantique et Indien en face de ses côtes.

Les premières condamnations internationales

Le 21 mars 1960, la population noire se révolte contre l’obligation de présenter le « pass » pour circuler. Une violente répression – « le massacre de Sharpeville » – causera la mort de 69 Noirs et plus de 200 blessés graves. En réaction, l’OMS, le BIT et le COI (Comité Olympique International) ont exclu l’Afrique du Sud. La même année, c‘est en Angleterre et aux Pays-Bas qu’ont lieu les premières grandes mobilisations du mouvement de solidarité anti-apartheid.

Dès la légalisation de l’apartheid, des réactions fortes contre le Parti National au pouvoir et des protestations avaient été organisées par les Noirs et des Blancs « libéraux » ou progressistes qui dénonçaient l’interdiction pour les gens de couleur de se syndiquer et le décret interdisant la grève présentée comme un acte de sabotage. C’est ainsi que l’African National Congress (ANC), fondé dès 1911, sera interdit et déclaré hors la loi en 1960. Ses leaders seront emprisonnés avec Mandela en 1962. Privés de leur expression jusque-là non violente, les leaders noirs se tournèrent alors vers la lutte armée avec l’appui de plusieurs pays africains indépendants, notamment l’Algérie. L’ONU, poussée par les nouveaux pays indépendants, prônera alors la suspension des relations économiques et diplomatiques avec le régime de Pretoria. Toutefois, ces appels resteront lettre morte durant plus de 10 ans encore. S’organise alors un large mouvement anti-apartheid, en Angleterre d’abord et puis dans toute l’Europe, au côté du mouvement de solidarité anticolonial.

Le mouvement contre l’apartheid en Belgique

En 1969, Paulette Pierson-Mathy, chercheuse à l’ULB et spécialiste de l’apartheid, crée avec d’autres militants, le « Comité contre le colonialisme et l’apartheid » qui deviendra la référence belge en la matière. Il soutiendra les mouvements de libération de toute l’Afrique australe. Ce Comité trouvera des soutiens dans le monde catholique auprès de l’ONG Entraide et Fraternité .

En 1970, le CNAPD – qui regroupe les jeunesses politiques et syndicales progressistes, les chrétiens pour la paix, les communistes et des socialistes, mais aussi des ONG comme le Service civil international et Oxfam-Belgique – va lancer une vaste campagne « Action Afrique Australe » pour contrer l’influence exercée par l’Afrique du Sud et ses principaux soutiens en Belgique et en Europe.

Peu après, est créé au sein des Nations Unies le « Comité spécial contre l’apartheid ».

Mais en Belgique, les sociétés minières sont étroitement liées aux intérêts sud-africains s’agissant de l’or, du diamant mais aussi du cobalt et de l’uranium. La Générale de Banque et la Kredietbank ont d’importantes participations non seulement dans le secteur minier mais également dans le secteur agricole et industriel en pleine expansion. Des lobbies politiques très puissants notamment Protea au sein du parti catholique flamand, le CVP, dictent au gouvernement belge une politique de bon voisinage avec l’Afrique du Sud. C’est ainsi que la Belgique développe des accords culturels avec l’Afrique du Sud et une politique de migration qui encourage les Belges à s’expatrier vers ce pays de Cocagne où l’on parle une langue proche du néerlandais.

La solidarité s’organise dans les universités et au sein des partis communiste et socialiste. Oxfam mobilise activement les militants tiers-mondistes et organise clandestinement des réseaux de solidarité avec les combattants anti-apartheid en Afrique du Sud et dans les pays dits de « la ligne de front » qui ont une frontière avec l’Afrique du Sud, notamment la Tanzanie qui sert de base arrière à l’ANC.

En 1972, avec l’appui de la FGTB, le Comité contre le colonialisme et l’apartheid organise à Bruxelles la première conférence internationale sur la Namibie en présence de Sam Nujoma, le leader de la SWAPO (South West Africa People’s Organization) et de nombreux délégués africains des colonies portugaises.

Les premières campagnes de boycottage

En 1973, Oxfam s’inspire de l’exemple hollandais « Outspan Boycott Aktie » pour lancer une première campagne de boycottage des oranges Outspan et des pommes de Cape Fruits Company. Ces campagnes annuelles soutenues par le CNAPD vont connaître un réel retentissement. Parti d’Angleterre et de Hollande, le boycottage se répand dans toute l’Europe et va bénéficier de la sympathie, de la mobilisation et du financement du Conseil œcuménique des Églises protestantes, qui siège à Genève. Il s’étend peu à peu au secteur bancaire et culturel et c’est ainsi qu’en Belgique, la CGER (Caisse générale d’épargne et de retraite) se retire d’Afrique du Sud. Puis, à la suite du « splitsing » de la culture, la Communauté française rompt ses accords culturels avec ce pays.

En 1976 surviennent les émeutes de Soweto. Le « mouvement de la conscience noire » mobilise près de 20 000 écoliers et étudiants qui protestent contre l’obligation de suivre l’enseignement en afrikaans. La répression est sanglante : 600 morts. L’émeute gagne l’ensemble du pays. Des centaines d’étudiants blancs sud-africains prennent fait et cause pour le mouvement et les revendications des jeunes Noirs. La répercussion médiatique internationale est énorme et les manifestations de solidarité dans les universités en Europe, en Afrique et aux États-Unis se multiplient. En 1977, l’ONU décrète un embargo sur les armes à destination de l’Afrique du Sud qui finira au ban de l’Assemblée générale après son annexion de la Namibie. Le syndicat sud-africain, la COSATU, multiplie les appels au boycott, relayés par les syndicats dans le monde entier.

Le mouvement de solidarité mène campagne contre les banquiers de l’apartheid et obtient la fin des soutiens financiers officiels et la fin de la publicité pour le tourisme en Afrique du Sud. Le boycott parvient à mettre l’économie sud-africaine en difficulté.

L’Europe prend des mesures contre l’apartheid

Fin de la décennie 1970, les gouvernements européens, sous la pression du mouvement antiapartheid, des syndicats, des ONG et des Églises, acceptent une proposition du Commissaire européen de l’aide au développement, Claude Cheysson, de prendre des mesures dites « négatives » contre les lois et l’administration de l’apartheid et d’autres, dites « positives », chaque fois que le gouvernement supprime des dispositifs de l’apartheid.

En 1979, l’ANC et la COSATU sont reconnus comme interlocuteurs à part entière par les Européens. En 1980, l’évêque anglican Desmond Tutu, figure emblématique de la lutte en Afrique du Sud, est reçu officiellement par la Commission européenne. Il est l’hôte des ONG de coopération européennes. La même année, si l’attentat contre le représentant de l’ANC à Bruxelles échoue de peu, un autre réussit à tuer le représentant de l’OLP Naïm Khader.

Il faudra encore une décennie et de nombreuses campagnes internationales pour obtenir, le 7 décembre 1990, la libération de Nelson Mandela. Des négociations difficiles aboutissent à la fin officielle de l’apartheid, le 30 juin 1991.

Un modèle à suivre

La stratégie du boycott contre l’apartheid a largement contribué à l’aboutissement de la lutte des Noirs sud-africains pour mettre fin à ce régime de ségrégation. L’apartheid a été qualifié, en droit international et par les Nations Unies, de crime imprescriptible contre l’humanité.

Le BDS est une stratégie qui répond à l’appel de la société civile palestinienne. Il contribuera à disqualifier les politiques israéliennes d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien et à lui permettre de retrouver la plénitude de ses droits à l’autodétermination.

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