La paix selon Trump

Annoncé depuis son entrée en fonction en 2017, le plan de paix du Président américain pour le Proche-Orient a récemment pris un caractère plus concret. Fin juin, l’administration américaine en a, en effet, dévoilé le volet économique lors d’une réunion à Manama, capitale de Bahreïn. Le volet politique ne sera révélé qu’une fois le nouveau gouvernement israélien formé, mais on peut déjà en discerner certains éléments. Quels sont ces éléments ? Ce plan a-t-il un avenir? Quelles réactions de l’Union européenne suscite-t-il? Décryptage.

Un flop à Manama

Les 25 et 26 juin derniers, Jared Kushner, le gendre de Donald Trump, organisait une « conférence internationale » à Manama afin de présenter le volet économique de son plan de paix pour le Proche-Orient, intitulé « Peace to prosperity ».

Première observation, pour un projet tant attendu, c’est finalement un simple « workshop » qui se tiendra et non une conférence. La dénomination montre surtout le faible nombre de dirigeants étrangers qui ont répondu positivement à l’invitation. Tout d’abord, aucun des principaux intéressés n’était présent. L’Autorité palestinienne, en froid avec l’administration américaine depuis le déplacement de leur ambassade à Jérusalem et la fermeture des bureaux de l’OLP à Washington, n’accorde aucun crédit à l’initiative américaine. Les Israéliens n’ont, quant à eux, pas été finalement invités afin de conférer au rendez-vous un caractère« non politique ». Ensuite, l’Union européenne (UE) et ses Etats membres ont assuré une présence à un niveau technique, mais aucun responsable politique n’a répondu présent. Interrogée quelques jours plus tôt sur la participation européenne, la Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères, Federica Mogherini, a déclaré que l’UE restait attachée au respect des paramètres internationaux convenus pour résoudre le conflit et que le soutien économique aux Palestiniens ne pouvait en aucun cas remplacer l’établissement d’une paix durable basé sur ces derniers[1]. Les seuls qui étaient présents en nombre à Manama étaient les dirigeants des Etats arabes.

Un contenu complètement irréaliste

Quel est le contenu du plan présenté par Kushner à Bahreïn ? Concrètement, il s’agit de 40 pages de  description des mesures nécessaires au développement de la Cisjordanie et de Gaza, accompagnées de 96 pages d’exposé des programmes et projets à mettre en œuvre à cette fin. Mais sur la totalité de ces documents, il n’est aucune fois fait mention de l’occupation ou de colonies, aucune fois fait mention de Palestine ou d’un Etat palestinien, ni de réfugiés palestiniens ni de Jérusalem. Le plan met par ailleurs l’entière responsabilité de leur non-développement sur le compte des Palestiniens eux-mêmes, sans mentionner une seule fois Israël à ce propos.

Et comme pour faire oublier ce contenu surréaliste (pour ne pas dire odieux), Kushner annonce une levée de fonds de 50 milliards de dollars. Un chiffre complètement fou et chimérique, comme le relèvent de nombreux commentateurs. Joel Braunold de l’Alliance for Middle East Peace (ALLMEP) signale dans un fil Twitter[2] que les éléments du plan « Peace to prosperity » sont relativement similaires à ceux de l’initiative lancée par John Kerry en 2013. L’administration Trump a donc aujourd’hui l’ambition de lever 50 milliards de dollars, là où Kerry n’a pas réussi à lever 4 milliards de dollars et ce, alors que la communauté internationale était présente en nombre autour de la table. Dans une lettre ouverte incisive à Jared Kushner[3], l’homme d’affaires et analyste politique palestinien Sam Bahour souligne ironiquement, quant à lui, les mots utilisés par Kushner pour annoncer la levée des 50 milliards de dollars. « Tu dis que le plan a le “potentiel de faciliter plus de 50 milliards d’investissements en dix ans”, relève Bahour, “Potentiel de faciliter”, est-ce que c’est comme avoir le “potentiel de faciliter” d’atteindre la lune sur mon vélo ? ».

Les Etats-Unis espèrent sans doute financer leur plan grâce à l’argent des pays du Golfe, mais une fois le volet politique dévoilé, il sera difficile pour ces derniers de soutenir ouvertement un plan qui va à l’opposé de leurs positions officielles et de leurs opinions publiques sur le sujet.

Braunold précise enfin que le plan économique de Manama est un rapport de conseil, reprenant des éléments de tous les anciens plans de la Banque mondiale, du Quartet ou encore du cabinet de conseil Mc Kinsey, n’y ajoutant que quelques nouveaux ingrédients. Mais ces rapports soulignaient, pour la plupart d’entre eux, l’importance pour les Palestiniens de pouvoir recouvrer la souveraineté sur la zone C[4] afin de l’exploiter, ce que ne fait pas le plan Kushner. Et cerise sur le gâteau relevée par l’analyste de l’ALLMEP, la brochure Peace to prosperity est illustrée de photos de projets préalablement financés par USAID dans le territoire palestinien…  mais auxquels l’administration Trump a décidé de mettre un terme.

La stratégie américaine est donc de torpiller les aspirations palestiniennes à l’autodétermination au moyen d’hypothétiques  investissements colossaux. Or il est évident qu’une telle stratégie va à l’échec compte tenu du rejet exprimé par les principaux intéressés : les Palestiniens. Issu du milieu du business, Kushner a sans doute la même perception que celle de son beau-père d’une paix vue comme un « deal ». Mais le plan Kushner oublie une donnée essentielle : l’attachement des Palestiniens à leur terre.

Le plan politique : l’Arlésienne ?

Ils sont encore très peu nombreux à connaitre les détails du contenu politique du plan de paix. Il était prévu que ce contenu politique soit divulgué durant l’été, mais l’incapacité de Netanyahou à former un nouveau gouvernement et la tenue de nouvelles élections le 17 septembre prochain ont poussé l’administration américaine à en reporter la publication.  Néanmoins, les déclarations des uns, ainsi que les récentes mesures prises par la Maison Blanche, en laissent déjà entrevoir certains éléments.

Premièrement, et le déménagement de l’ambassade des Etats-Unis l’avait déjà préfiguré : Jérusalem resterait israélienne, et les Palestiniens se verraient proposer une alternative attenant à Jérusalem-Est comme capitale, probablement Abu Dis. Deuxièmement, l’arrêt en 2018 des financements américains à l’UNRWA, l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens, montre la volonté d’écarter des négociations le droit au retour des réfugiés. Enfin, la récente reconnaissance par Donald Trump de l’annexion du Golan, ainsi que les déclarations et mesures de Trump et son administration sur l’éventuelle reconnaissance des colonies israéliennes, voire même de l’annexion de la zone C, font craindre le pire. L’ambassadeur des Etats-Unis en Israël, David Friedman, a ainsi déclaré le 8 juin : “En certaines circonstances, je pense qu’Israël a le droit de garder une partie, mais sans doute pas l’ensemble, de la Cisjordanie ». Et l’intervention devant le Conseil de sécurité le 23 juillet dernier de Jason Greenblatt, conseiller spécial du président Trump pour les négociations internationales, ne fait que confirmer ces craintes. Ce dernier a en effet repris les résolutions du Conseil de sécurité sur la question israélo-palestinienne, pour les discréditer une à une, et a présenté le droit international comme un simple facteur parmi d’autres, qui empêche de surcroît d’atteindre une solution négociée.

Les réactions européennes

Face à l’intervention de Greenblatt au Conseil de sécurité, les réactions européennes ont été claires. L’ambassadeur allemand a déclaré que le droit international n’était pas « un menu à la carte », précisant que la résolution 2334 du Conseil de sécurité[5] était selon lui du droit contraignant. Les ambassadeurs britannique et français ont appuyé cette déclaration, ajoutant que les résolutions de l’ONU avaient été prises collectivement et devaient être appliquées, et qu’une solution qui dévierait de cette voie était vouée à l’échec.

Jusqu’à présent, l’UE et ses Etats membres prennent toutes les précautions pour éviter d’annoncer un quelconque engagement vis-à-vis du plan Trump, mais attendent d’en connaître les détails avant de s’en distancier clairement. Et même si certains Etats pourraient être tentés de rejoindre l’initiative américaine, il semble évident qu’une telle position n’obtiendra jamais l’unanimité au Conseil européen.

Par contre, ce qui est plus inquiétant, c’est l’incapacité de l’Union européenne à proposer une quelconque alternative à ce plan. Pourtant, face au discrédit jeté sur le droit international par les Etats-Unis et face à la politique ouvertement annexionniste d’Israël, jamais l’intervention de l’Union européenne n’aura été aussi primordiale. Mais la position de l’Union européenne n’a plus évolué depuis 2012, faute de consensus entre ses membres. Espérons néanmoins que des initiatives soient prises par des coalitions ad hoc d’Etats membres, desquelles la Belgique se doit de faire partie.

 

Nathalie Janne d’Othée

 

[1] Remarks by High Representative/Vice-President Federica Mogherini at the press conference following the 13th EU-Jordan Association Council, Luxembourg, 17/6/2019. https://eeas.europa.eu/headquarters/headquarters-homepage/64240/remarks-high-representativevice-president-federica-mogherini-press-conference-following-13th_en

[2] https://twitter.com/braunold/status/1142602094555385858

[3] Sam Bahour, “An Open Letter To My Fellow American, Civil Servant Jared Kushner”, Medium, 22/6/2019. https://medium.com/@sbahour/an-open-letter-to-my-fellow-american-civil-servant-jared-kushner-e0207cb4b91a

[4] Les accords d’Oslo avaient divisé le territoire palestinien en trois zones A, B et C, afin de l’autonomiser en différentes phases. La zone C comprend plus de 60% de la Cisjordanie et reste au départ sous le contrôle civil et militaire d’Israël. Les négociations d’Oslo ayant échouée, la zone C est encore sous le contrôle total de l’armée israélienne. C’est dans cette zone se retrouvent et se développent toutes les colonies israéliennes de Cisjordanie.

[5] La résolution 2334 a été adoptée le 23 décembre 2016 par le Conseil de sécurité, et cela grâce à une abstention des Etats-Unis qui habituellement mettent leur veto sur toute résolution jugée contraire aux intérêts israéliens. Cette résolution condamne la colonisation israélienne et demande aux Etats membres « de  faire  une  distinction,  dans  leurs  échanges  en  la  matière,  entre  le  territoire de l’État d’Israël et les territoires occupés depuis 1967 ».

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