Comment l’industrie du tourisme soutient les colonies israéliennes ?

Bulletin N°78
Par Nikolaj Houmann Mortensen

Al Jazeera a épluché des catalogues de voyage et des circuits proposés par des agences. Il en est ressorti que 20 des agences de voyage et des sites de réservation les plus connus proposaient des sorties shopping, des dîners et des nuitées dans des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée, sur le plateau du Golan ainsi qu’à Jérusalem-Est. Seules 6 de ces agences informent les touristes que des sorties se feront en dehors du territoire israélien, et aucune d’entre elles ne mentionne le caractère illégal du statut des lieux dans lesquels se rendront les clients.

C’est le cas de Thomas Cook, Collette et On the Go Tours, qui emmènent des touristes à l’Avaha Visitor Center sans les avertir qu’ils quittent Israël, ou de Saga Holidays, qui décrit une escale à la colonie de Katzrin, sur le plateau de Golan, comme une visite  « de la nouvelle ville israélienne de Katzrin », ou encore de Booking.com, qui propose des chambres au « Garden Suite Appartment », à « Jérusalem (Israël) », alors que l’hôtel se trouve en Cisjordanie, dans la colonie de Gilo.

Autre cas, l’agence de voyage GoEco, qui se décrit comme « une des principales agences d’écotourisme » et qui offre une sélection de « projets de bénévolat éthiques à l’étranger », propose un programme de volontariat au « Mountain Eco Lodge », « en Israël ».

Selon GoEco, ce centre constitue un « exemple de mode de vie moderne et durable » sur « un des plus hauts sommets d’Israël » à Nimrod, « une petite ville israélienne sur le plateau du Golan ».

Le fait que Nimrod est une colonie israélienne, illégale en droit international, est passé sous silence.

« L’expérience enrichissante de construire à partir de rien »

Cette information est d’autant plus importante que le bénévole passera, dans ce programme, la majeure part de son temps à participer à des travaux de construction. En fait, le bénévole contribue directement à l’implantation de la colonie.

Pour John Dugard, professeur de droit international et ancien Rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme en Palestine, les clients se rendent, à leur insu, « complices » de l’établissement des colonies illégales : « En théorie, les touristes s’exposent à des poursuites pour achat de marchandises illicites ». Dans la pratique, les vacanciers ne sont jamais envoyés devant la Cour pénale internationale pour une telle infraction. Ceci dit, les agences devraient avoir l’obligation d’avertir les touristes qu’ils sont sur le point de commettre un délit : « les touristes doivent avoir un droit de recours contre les agences et pouvoir réclamer une compensation pour avoir été trompés et exposés à des activités illicites. »

Ces dernières années, le gouvernement israélien a largement investi dans la construction d’hôtels et autres infrastructures touristiques au sein des colonies en Cisjordanie, tout en s’appropriant sites religieux, historiques et archéologiques dans les territoires occupés et en en interdisant l’accès aux guides touristiques palestiniens.

Le tourisme comme instrument de la banalisation de la colonisation

Récemment, un rapport des chefs de mission de l’UE, qui a fait l’objet d’une fuite, a conclu que les « colonies touristiques » en Cisjordanie occupée étaient utilisées « à des fins politiques, pour modifier le discours dominant et pour soutenir, légitimer et étendre les colonies. »

Ces conclusions sont également celles de Rami Khalil Isaac, maître de conférences palestinien à l’Académie du Tourisme de l’Université NHTV de Breda aux Pays-Bas, qui étudie le tourisme dans les territoires palestiniens occupés. Il affirme : « Le tourisme devient un moyen efficace pour reproduire le discours officiel israélien. La plupart de ces voyages dans les colonies du plateau du Golan et en Cisjordanie servent en fait à faire croire aux gens que ces endroits appartiennent à Israël. »

Selon Brian Reeves de l’ONG israélienne Peace Now, les sites touristiques développés par les organisations de colons et le choix de leur emplacement peuvent être assimilés à un vol de terres : « Les sites touristiques dans les colonies attirent également les vacanciers nationaux. Ce tourisme renforce, dans l’esprit des Israéliens, le sentiment d’attachement à ces territoires. »

L’étude de la documentation touristique a également permis de relever que pour 20 agences telles que TUI et Trafalgar Travel, les destinations situées dans les territoires palestiniens occupés sont des éléments clés de leurs campagnes marketing tout en étant décrites comme des destinations israéliennes.

Par exemple, TUI utilise, pour une annonce de voyage sur son site Internet, une photo de Jérusalem-Est, avec en légende « Jérusalem and Bethléem, Israël » et ce, en dépit du fait que la communauté internationale ne reconnaît pas l’annexion de Jérusalem-Est par Israël et que Bethléem est administrée par l’Autorité palestinienne.

Selon Isaac, les agences de tourisme ne souhaitent pas informer les touristes qu’ils vont visiter des territoires palestiniens car cela renverrait à la réalité du conflit. « Néanmoins, en omettant de signifier aux touristes qu’ils se rendent en Palestine, les agences de voyage ne font que perpétuer cet a priori sur les territoires palestiniens – qu’il faut en avoir peur. »

Traduit de l’anglais par Sarah Rechter. 

article original publié sur le site d’Al Jazeera le 15 novembre 2018 : https://www.aljazeera.com/indepth/features/tourism-industry-underpins-illegal-israeli-settlements-181114234307087.html

Une version longue est disponible sur notre site web. 

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