La pandémie de coronavirus est une opportunité considérable pour les gouvernements et les entreprises d’espionnage d’élargir leur intervention, y compris dans la vie privée des individus.
Par Ali Abunimah
Les autorités de santé publique affirment qu’un traçage efficace sera essentiel pour mettre fin à de longs confinements et mettre rapidement un coup d’arrêt à de nouveaux rebonds du virus, au moins jusqu’à ce qu’un vaccin soit développé. Cela signifie que les technologies de surveillance qui promettent d’identifier rapidement quiconque est exposé au virus peuvent certainement trouver un marché mondial. Le danger étant que ce genre de surveillance intrusive devienne permanent.
Le célèbre NSO Group est l’une des entreprises qui cherchent à tirer parti de cette opportunité. C’est la société qui produit le logiciel malveillant appelé Pegasus qui peut discrètement s’insérer dans le téléphone portable d’une cible. Il peut ensuite être utilisé pour renvoyer presque toutes les informations privées à ceux qui espionnent, y compris les enregistrements, les captures d’écran, les mots de passe, mails et textes.
L’industrie technologique tant vantée d’Israël a des liens substantiels avec l’appareil militaire et d’espionnage du pays, qui utilise les Palestiniens sous occupation armée comme d’involontaires cobayes pour des systèmes qui sont maintenant mis en vente pour d’autres pays. Et on découvre maintenant que les gouvernements européens sont prêts à profiter de cette exploitation abusive et oppressive, au prétexte de combattre la pandémie.
Pegasus du Groupe NSO, qui n’est vendu qu’à des gouvernements, a été abusivement utilisé contre des journalistes et des militants des droits de l’Homme dans des dizaines de pays.
Amnesty International, dont l’équipe a été ciblée grâce au logiciel malveillant du Groupe NSO, poursuit la société en justice pour faire stopper son rôle dans la surveillance abusive. Facebook intente également un procès à NSO Group pour avoir compromis sa plate-forme de messagerie WhatsApp afin d’aider des gouvernements à espionner environ 1400 personnes.
« Tentative cynique »
Aujourd’hui, les experts de la vie privée et pour les droits humains s’inquiètent du fait que NSO Group soit à la pointe d’un effort de surveillance du coronavirus sponsorisé par le gouvernement israélien qui pourrait être adopté dans d’autres pays.
Vice.com a fait des recherches sur la technologie de NSO Group. Le site décrit le système fabriqué par NSO Group, et un système semblable développé par l’entreprise italienne Cy4Gate, comme « essentiellement des outils de surveillance de masse qui aideraient les gouvernements et les autorités de santé à garder la trace des mouvements de chaque citoyen et à rester en contact avec eux. »
Les individus sont censés se voir attribuer un numéro d’identification secret pour protéger leur vie privée, mais une source de NSO Group a affirmé à Vice.com que le gouvernement peut enlever l’anonymat « lorsque nécessaire ». En réalité, c’est du piratage en temps réel. « Il s’agit d’une tentative extrêmement cynique de la part d’une célèbre entreprise de logiciels espions pour se lancer dans la surveillance de masse », a affirmé John Scott-Railton, chercheur à Citizen Lab de l’université de Toronto, à Vice. Citizen Lab a joué un rôle juridique essentiel en dévoilant comment le logiciel malveillant de NSO Group a été détourné de son usage à travers le monde.
Enthousiasme européen
Alors qu’il n’y a aucun rapport fait par les gouvernements qui utilisent les systèmes de NSO Group, il existe des signes troublants selon lesquels l’Union européenne et ses membres cherchent à adopter la technologie de surveillance de masse sous couvert de lutte contre le COVID-19. Le 20 avril, l’ambassade des Pays-Bas à Tel Aviv a déclaré dans un tweet qu’elle « cherchait des sociétés hollandaises qui voudraient s’associer à un partenaire israélien afin de soumissionner pour une offre unique de solutions numériques intelligentes au corona par le ministère de la Santé des Pays-Bas. »
Et Emanuele Giaufret, ambassadeur de l’Union européenne à Tel Aviv, a publié un courrier dans The Jerusalem Post où il se vante de la façon dont le bloc des 27 membres « exploite sa recherche scientifique et technologique pour lutter contre le COVID-19 », un effort qui comporte « des projets de coopération avec Israël. » D’après Giaufret, l’UE a affecté environ 150 millions de dollars de son programme scientifique Horizon 2020 « au financement d’équipes scientifiques à travers l’Europe ainsi que dans des pays partenaires, dont Israël, pour aider à trouver rapidement un vaccin contre le COVID-19. » Il ajoute que le but de cet effort, « c’est d’améliorer les diagnostics, les préparatifs, la gestion clinique et les traitements. »
Ces activités sont suffisamment vastes pour y inclure les efforts de financement de la surveillance, surtout quand Horizon 2020 a déjà servi ces dernières années à financer Elbit Systems, entre autres sociétés de l’industrie guerrière d’Israël. Elbit, qui fait actuellement sa promotion en tant que fournisseur de technologie pour combattre la pandémie. Bennett, le ministre israélien de la Défense, a clairement affirmé qu’il voulait exporter le système de surveillance du coronavirus de NSO Group. Et Sky News a rapporté au début du mois que NSO Group a « contacté quantité de pays occidentaux pour leur envoyer son logiciel de dépistage du coronavirus. »
Testé sur les Palestiniens
La maltraitance israélienne sur les Palestiniens, y compris sur ses propres citoyens, pendant la pandémie a poursuivi le même schéma de racisme, de violence et de négligence qui sont fondateurs de cet Etat. Les travailleurs palestiniens de Cisjordanie occupée n’ont d’autre choix que de travailler pour des employeurs israéliens s’ils veulent nourrir leurs familles.
Quand ils sont en Israël, ils sont exposés au virus qu’ils risquent alors d’importer dans leurs propres communautés.
Mais l’indifférence systématique d’Israël pour la santé et la sécurité des Palestiniens ne l’a pas empêché de les obliger à être des sujets d’expérience pour ses technologies de contrôle et de surveillance. « Les Palestiniens qui cherchent à vérifier si leurs permis de séjour en Israël sont encore valides ont reçu instruction d’Israël de charger une application qui permet à l’armée d’accéder à leurs téléphones portables », a rapporté la semaine dernière le journal de Tel Aviv Haaretz.
L’application permettrait à l’armée de suivre la localisation du portable des Palestiniens, ainsi que d’accéder aux avis qu’ils reçoivent, aux fichiers qu’il chargent et sauvegardent, et à la caméra de l’appareil. Haaretz n’explique pas comment un accès aussi indiscret a quoi que ce soit à voir avec le combat contre le virus, et il ne dit pas non plus qui a fabriqué cette application particulière. Mais les médias israéliens ont confirmé que la branche de guerre informatique de l’armée israélienne, Unité 8200, est impliquée dans le projet de dépistage du coronavirus de NSO Group. En 2014, des vétérans de l’Unité 8200 ont révélé que « la population palestinienne sous régime militaire est entièrement exposée à l’espionnage et à la surveillance du renseignement israélien. »
Les agents israéliens ont avoué que les informations qu’ils ont aidé à collecter et à stocker « nuisent à des gens innocents. »On s’en sert pour des persécutions politiques et pour créer des divisions à l’intérieur de la société palestinienne en recrutant des collaborateurs et en montant des parties de la société palestinienne contre elle.
Maintenant, le reste du monde peut bénéficier du traitement des Palestiniens. « Ce qui se passe en Palestine ne reste pas en Palestine », note le groupe de recherche Who Profits sur un nouveau site internet consacré à la surveillance de la façon dont la crise du COVID-19 se développe dans le contexte de l’occupation israélienne.
Une raison essentielle pour laquelle Israël cherche perpétuellement à diversifier son arsenal de répression est qu’il peut ensuite le transformer en profit économique et en gains politiques.
Article original paru sur Electronic Intifada le 13 avril 2020. Traduction : Agence Media Palestine