Journal de campagne : bulletin n°84

Cette nouvelle rubrique fait écho à la campagne que nous poursuivrons cette année afin de tenter de rendre concrète la réalité de la politique d’apartheid contre le peuple palestinien.

Témoignage

POURQUOI ISRAËL M’EMPÊCHE-T-IL
DE VIVRE AVEC MA FEMME?

par Raed Abuyussef, agriculteur du Nord de Hébron.

Pouvez-vous nous parler de votre situation maritale et des problèmes que les dispositions israéliennes d’apartheid ont engendrés pour vous ? En 1996, je me suis marié avec une Jérusalémite. Depuis ce jour-là, nous tentons de vivre ensemble malgré les obstacles. En effet, les lois israéliennes interdisent aux Palestiniens de Jérusalem de vivre et de s’installer hors de Jérusalem. Ils les considèrent comme des Jordaniens qui ont une carte de séjour. S’ils s’écartent de leur lieu de vie, ils perdent leur permis de résidence permanente et deviennent, en quelque sorte, des sans-papiers. De la même manière, les Palestiniens de Cisjordanie n’ont pas le droit de vivre à Jérusalem sans autorisation de l’armée israélienne.

Avant la deuxième Intifada, ce n’était pas très

compliqué de passer de la Cisjordanie à Jérusalem. Après la construction du Mur, c’est devenu presque impossible sans autorisation. J’ai obtenu à chaque fois la même réponse à ma demande de vivre à Jérusalem avec ma famille : refus pour raisons de sécurité. On a réessayé plusieurs fois, sans succès, jusqu’à ce qu’on demande à la Haute Cour israélienne d’expliciter le danger que je pouvais représenter : en 2005, j’ai eu gain de cause. Malheureusement, le gouvernement israélien a fait voter en 2003 une nouvelle loi durcissant l’accès des Palestiniens, Syriens, Libanais, Iraniens et Irakiens au regroupement familial. Depuis, notre vie familiale dépend des autorisations de visite temporaires, comme pour 20 000 autres familles dans ce cas.

Quels sont les problèmes concrets auxquels ces dispositifs vous confrontent ? Actuellement, je suis installé en Cisjordanie, où je travaille et passe la plupart de mon temps. Ma femme et ma fille restent à Jérusalem. On se voit une fois par semaine, et le plus souvent, ce sont elles qui viennent, notamment pendant les vacances d’été. Quand je suis autorisé à venir à Jérusalem, c’est pour une durée extrêmement courte : de 5h du matin à 17h l’après-midi. Je n’ai donc pas le droit de rester la nuit. Il est donc exclu pour nous de penser à des sorties en famille en soirée. Je dois moi-même être très prudent quand je sors seul. Quand on a vécu comme ça pendant 23 ans,

on finit pas accepter de vivre une vie relativement séparée. On sait que l’occupation n’est pas là pour nous faire des cadeaux, mais au contraire pour rendre nos vies impossibles et nous obliger à quitter nos terres. Mais nous y resterons,

de toute façon.

Même en étant prudents, certains sont toutefois dépouillés de leurs droits. Ce fut le cas pour
la soeur de ma femme. Tombée amoureuse et enceinte d’un Libanais alors qu’elle étudiait en Italie, elle a souhaité accoucher en Israël pour que son enfant conserve ses droits de vivre sur la terre de ses ancêtres. Mais on lui a retiré son permis de résidence et son enfant n’a pas eu droit à un certificat de naissance. Elle n’a pu revenir ici que depuis quatre ans après qu’elle ait obtenu la nationalité italienne, comme simple touriste.

Quel est l’intérêt pour Israël d’adopter de tels règlements ? L’intérêt d’Israël est évidemment démographique. C’est un pays pour les Juifs, pas pour les autres comme l’a très clairement expliqué Netanyahou. Les deux millions de Palestiniens qui ont la nationalité israélienne leur posent déjà un problème. C’est pourquoi ils font tout pour empêcher la venue de nouveaux Palestiniens à Jérusalem qu’ils considèrent comme leur territoire et pour précipiter le départ de ceux qui y sont présents. De leur côté, les Juifs de Belgique ou de France peuvent presque venir ici le soir et être citoyens israéliens le lendemain.

Avec la rupture des relations entre l’Autorité palestinienne (AP) et Israël à la suite du plan d’annexion, les autorisations de séjour seront rendues plus compliquées. Quel regard portez-vous sur cette situation ? La liberté a son prix… Les ouvriers, malades, etc. sont aussi dans la situation ou ils n’ont plus l’autorisation d’aller à Jérusalem. Les Israéliens ont ouvert des bureaux aux checkpoints pour dire que nous ne sommes pas obligés de passer par l’AP. Mais pour la majorité des Palestiniens, il faut respecter la décision de boycotter l’administration de l’occupation, même si cela nous coûte. C’est une question de principe. On a passé toute notre vie à lutter et fait des sacrifices énormes.  Nous allons continuer à le faire à la hauteur de nos moyens.

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