Torturer des individus pour soumettre tout un peuple

La barbarie du régime de détention israélien s’exacerbe depuis le début de l’actuelle offensive à Gaza, comme le documentent plusieurs rapports, y compris israéliens.

par Marianne Blume

« – Insérer un bâton dans le rectum d’une personne, c’est légitime ?
– Taisez-vous! Oui, s’il fait partie de la nukhba (groupe militaire du Hamas), tout est légitime.»

Question du député palestinien d’Israël Ahmed Tibi et réponse du député du Likoud (parti de
Benjamin Netanyahou), Hanoch Mildwidsky, à la Knesset, 29 juillet 2024.

Tant dans le rapport de l’ONG des droits humains israélienne, B’tselem1 que dans ceux récents de l’ONU2, les faits dénoncés sont accablants. Le titre du rapport de B’tselem en dit long : Bienvenue en enfer. En réalité, les mauvais traitements et la torture font partie du fonctionnement du système carcéral d’Israël depuis toujours. Il suffit de consulter les rapports des organisations de droits humains3 pour s’en convaincre.

Rien de nouveau, donc ? Si. Depuis l’avènement du gouvernement d’extrême-droite de Netanyahou,
le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a eu pour priorité d’aggraver les conditions de vie des prisonniers palestiniens et de réduire leurs droits à néant: outre la réduction extrême de la ration de nourriture (voir l’état des prisonniers relâchés), il a supprimé les cantines, fait enlever tous les appareils électriques, interdit les promenades, réduit le temps et le nombre de douches, etc. Mais depuis le 7 octobre, tout est devenu permis, le ministre lui-même appelant à l’application de la peine de mort pour les prisonniers et à leur tirer une balle dans la tête au lieu de leur donner de la nourriture. Quant aux Palestiniens de Gaza à Sde Teiman, ils ont droit à un camp de torture à eux4. La déshumanisation des Palestiniens est si ancrée et la volonté des Israéliens d’en finir avec les Palestiniens si affirmée que les mauvais traitements et les tortures ont atteint un niveau paroxystique. L’altercation entre le leader de la liste arabe Ta’al Ahmed Tibi et un député du Likoud (voir en chapeau) en est une preuve flagrante. Le fait que les soldats accusés du viol d’un détenu palestinien aient été défendus par des ministres, dont le ministre israélien de l’Économie, Nir Barkat, le ministre de la Justice, Yariv Levin, ou le ministre du Patrimoine, Amihay Eliyahu et bien sûr, Itamar Ben Gvir, illustre parfaitement l’état d’esprit ambiant. Le fait qu’un des soldats soupçonnés du viol collectif ait dévoilé son identité dans une vidéo et invité les gens à venir les défendre au tribunal témoigne de la faveur et de l’impunité dont jouissent les tortionnaires lorsqu’ils s’en prennent à des Palestiniens.

TORTURE SYSTÉMATIQUE
«Les témoignages des prisonniers mettent à nu les résultats d’un processus précipité au cours duquel plus d’une douzaine d’établissements pénitentiaires israéliens, tant militaires que civils, ont été transformés en un réseau de camps dédiés à la maltraitance des détenus. Ces espaces, dans lesquels chaque détenu est intentionnellement condamné à une douleur et une souffrance sévères et incessantes, fonctionnent comme des camps de torture de facto.»

Comme on le voit, le rapport de B’tselem est sans appel : c’est tout le système pénitentiaire qui est concerné; la torture n’y est pas accidentelle, elle y est structurelle. En réalité, comme en ont fait état depuis longtemps les multiples rapports des ONG de droits humains, palestiniennes et non palestiniennes, les mauvais traitements et la torture ont toujours été constitutifs de l’incarcération des Palestiniens. Le phénomène n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est la revendication publique de ces
pratiques par les responsables politiques et militaires –voire leur encouragement– et leur intensification. Le Comité israélien contre la torture souligne d’ailleurs que toutes les requêtes soumises à la Cour Suprême concernant la torture ont été rejetées. En fait, il ne s’agit même plus d’exercer des pressions physiques «modérées» –une pratique déjà condamnée par le Comité contre la torture de l’ONU» pour
obtenir des renseignements, il s’agit de «punir les Palestiniens qui résistent à l’occupation et à
les détruire individuellement et collectivement.»
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Pour être plus exacte, Israël ne «punit» pas seulement ceux qui résistent à l’occupation, en témoignent notamment les milliers de Gazaouis incarcérés pour le seul fait d’être des citoyens de Gaza. Être Palestinien est une raison suffisante pour être incarcéré et torturé. En fait, l’existence même de Palestiniens est une résistance criminelle à l’existence rêvée d’un Israël ethniquement pur.

En ce sens, l’incarcération massive abusive, combinée à la pratique systématique de la maltraitance et de la torture des prisonniers palestiniens, est un des volets de la politique génocidaire israélienne. En dix mois, 60 détenus ont été tués dans les prisons.

TORTURES SEXUELLES
Le rapport du Bureau des droits de l’Homme de l’ONU de juillet 2024 fait nommément état d’actes de violence sexuelle commis contre des femmes et des hommes détenus venant de Gaza, comme de Cisjordanie, y compris de Jérusalem-Est. On parle de nudité imposée, y compris en présence de personnes de l’autre sexe, de coups portés sur des corps nus (notamment sur les parties génitales), de
décharges électriques sur les parties génitales et l’anus, de fouilles à nu humiliantes et répétées,
d’attouchements forcés et de viols endémiques en la présence contrainte des autres prisonniers.
Les récents rapports ne font en fait que décrire des méthodes qui existaient déjà auparavant
mais qui, depuis le 7 octobre, se pratiquent à une autre échelle car dans un cadre génocidaire.
La littérature sur la torture sexuelle est unanime sur ses conséquences: outre les conséquences
physiques et psychologiques habituelles de la torture, la torture sexuelle entraîne souvent de
graves conséquences sociales, aussi bien pour les femmes que pour les hommes. Et ce, d’autant
plus dans une société traditionnelle. Si une personne qui a résisté à la torture est souvent
traitée en héros, celle qui a subi des violences sexuelles ou un viol n’aura pas ce statut.
La personne elle-même se sent salie, faible, honteuse, s’isole au sein de sa famille et ne
participe plus à la vie de la collectivité. À la douleur physique et psychique, s’ajoute un
profond sentiment d’humiliation. Or, pour la psychologue Samah Jabr, «L’humiliation, c’est
l’assassinat psychique des gens, les mettre dans une position inférieure, les priver de leur capacité
d’agir, de leur volonté.»6

En juin 2024, un rapport de la Commission d’enquête internationale indépendante sur le territoire palestinien occupé l’affirme dans ses conclusions: «La fréquence, la prévalence et la gravité des crimes sexuels et sexistes perpétrés contre des Palestiniens depuis le 7 octobre dans l’ensemble des Territoires palestiniens occupés (TPO) indiquent que des formes spécifiques de violence sexuelle et sexiste font partie des procédures opérationnelles des Forces de sécurité israéliennes (FSI). » Et d’ajouter : « la violence sexuelle et sexiste constitue un élément majeur des mauvais traitements infligés aux Palestiniens, dans le but d’humilier la communauté dans son ensemble. »7 La Commission ajoute que cette violence vise à accentuer encore la subordination du peuple occupé.

1/ B’Tselem report summary, “Welcome to Hell: The Israeli Prison System as Network of Torture Camps”, août 2024, btselem.org
2/ « Le recours croissant à la torture par Israël contre les Palestiniens en détention est un crime contre l’humanité évitable, selon des experts de l’ONU», OHCHR, 5 août 2024
3/ Lire par exemple “Cell 26- A Study on the Use of Torture Against Palestinian in Israeli Interrogation Centers”, Addameer, 2022
4/ Marianne Blume, « Le calvaire des prisonniers politiques palestiniens », Palestine n° 99, 1e trim. 2024, pp.27-30
5/ OHCHR, loc.cit.
6/ Samah Jabr, « Israël casse la solidarité et la cohésion des Palestiniens », 8 décembre 2017, www.cinemensuel.com
7/ “Israeli authorities, Palestinian armed groups are responsible for war crimes, other grave violations of international law, UN Inquiry finds”, OHCHR, 12 juin 2024

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