Si le rôle des femmes palestiniennes en soutien de leurs maris ou fils incarcérés est souvent visibilisé, on parle moins souvent de celles qui se retrouvent derrière les barreaux. Il y a pourtant toujours eu des prisonnières politiques palestiniennes. Et par rapport à celles des hommes, les expériences carcérales des femmes revêtent des particularités liées à leur genre.
Par Nathalie Janne d’Othée
Si elles sont moins nombreuses dans les prisons israéliennes, Addameer y répertorie néanmoins 32 femmes sur 4900 prisonniers politiques palestiniens (chiffres du 11 mai 2023). Il existe une prison pour femmes à Damon, près de Haifa, dans le nord d’Israël. Mais les femmes peuvent également faire des séjours dans les prisons « mixtes » comme celle d’Ofer ou de HaSharon. A part celle d’Ofer, elles sont toutes situées en Israël même, en violation de la IVe Convention de Genève, qui interdit de déporter des prisonniers hors du territoire occupé. Cet éloignement représente également une contrainte pour les familles, souvent des femmes, qui souhaitent visiter leurs proches.
Tout comme les hommes, les femmes subissent des mauvais traitements et de la négligence médicale de la part des autorités pénitentiaires israéliennes. On peut, par exemple, leur refuser le recours à un gynécologue. Le cas le plus frappant de négligence médicale est celui de Israa Jaabis, une mère de famille de Jérusalem de 36 ans, arrêtée en octobre 2015. Une bouteille de gaz de cuisine a explosé dans sa voiture à 500 mètres d’un checkpoint. Israël l’a accusée d’avoir voulu commettre un attentat terroriste, ce qu’elle a toujours nié. Voici comment elle est décrite dans le reportage réalisé par Alice Froussard sur RFI en mars 2023 : « 65% de son corps a été brulé au 1er et 3e degrés. Huit de ses doigts ont été amputés parce qu’ils avaient fondu, la peau de ses aisselles est collée et elle ne peut plus correctement utiliser ses bras. Elle ne peut plus bien respirer par le nez à cause d’un trou béant, et son oreille droite est en état constant d’inflammation. » Depuis 2015, elle aurait dû subir quinze interventions, elle n’en a eu que deux. Certaines des interventions étaient destinées à essayer de lui rendre l’usage de ses mains, mais le tribunal a estimé que ce n’était pas nécessaire. Israa Jaabis se retrouve obligée de compter sur ses co-détenues pour des gestes intimes. Ce que rapporte aussi Alice Froussard, ce sont les mots des gardiennes israéliennes, qui l’appellent “la moche” et le fait que ce genre d’insulte contribue à blesser la jeune femme parfois plus que la négligence médicale elle-même.
Violences sexistes
Le cas d’Israa Jaabis illustre bien le type de traitements et d’humiliations que les autorités pénitentiaires israéliennes réservent aux femmes palestiniennes du fait de leur genre. Ainsi, les femmes prisonnières essayent souvent de dissimuler leur période de menstruation. Il arrive en effet que les autorités israéliennes profitent de cette période durant laquelle une femme est plus faible physiquement et émotionnellement pour l’interroger. Durant leurs règles, il arrive aussi qu’on leur refuse l’accès aux toilettes ou à des protections hygiéniques.
Mais là n’est pas le seul type de violences sexistes auxquelles sont confrontées les femmes prisonnières palestiniennes. Elles doivent subir des fouilles à nu (avec ou sans leur consentement), des fouilles de leurs parties intimes. Elles subissent aussi parfois des menaces de viol, et dans quelques cas, des viols avérés par l’intermédiaire de bâtons. Ces viols poursuivent un but stratégique, briser celles qui résistent.
Double peine
“Le problème, quand vous êtes en prison en tant que femme, c’est une double peine : vous êtes punie du côté israélien, mais vous le payez aussi dans votre condition sociale côté palestinien”, confie Shatha Odeh, directrice de l’ONG palestinienne Health Work Committee, récemment sortie de prison, dans le reportage d’Alice Froussard pour RFI.
En effet, le fait d’être une femme prisonnière n’est pas toujours socialement accepté dans la société palestinienne, très patriarcale et conservatice. Dans un article publié dans Critique internationale en 2013, Stéphanie Latte Abdallah souligne néanmoins que la société palestinienne a changé, et que les femmes palestiniennes sont aujourd’hui valorisées dans la société. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il est facile pour une femme qui sort de prison de trouver un mari. L’image de femme prisonnière ne cadre en effet pas avec l’image recherchée d’une épouse et d’une mère.
Et les femmes qui avaient un mari, mais qui ont écopé d’une longue peine, se voient parfois remplacées durant leur incarcération. Il est effet socialement admis qu’un homme ne supporte pas de vivre sans une femme qui tienne son foyer. A l’inverse, les femmes de prisonniers sont souvent leur plus important soutien, même lorsque ceux-ci endurent des peines de longue durée. Et ceux-ci ne leur en sont pas toujours reconnaissants une fois sortis de prisons car il arrive à certains de divorcer pour se remarier avec une femme plus jeune avec qui ils peuvent refaire des enfants.
Instrumentalisation
Mais si la société palestinienne est patriarcale et conservatrice, cet aspect est surtout instrumentalisé par l’apartheid israélien. Il y a en effet une “forte convergence d’intérêts entre le dispositif colonial israélien et la structure patriarcale de la société palestinienne. Les analyses féministes palestiniennes mettent en évidence combien le premier instrumentalise, nourrit et renforce le second”, souligne Cecila Della Negra dans un article publié sur Orient XXI en 2021.
La psychiatre palestinienne Samah Jabr rappelait ainsi lors d’un webinaire organisé par l’ABP en novembre 2020 que les autorités israéliennes qualifiaient souvent les femmes palestiniennes qui sont en prison de « mauvaises femmes », « qui négligent leur foyer ». Elle relate aussi la manière dont un porte-parole israélien insistait sur le manque de féminité des femmes qui participaient aux manifestations de la Grande marche du retour à Gaza. Il s’exprimait en arabe. Ces déclarations sont destinées à instrumentaliser les aspects patriarcaux de la société palestinienne afin d’empêcher la participation des femmes à la résistance.
La prison, facteur de changement social
“C’est bien in fine la spécificité de la répression et de l’incarcération massive des Palestiniens en Israël sur plusieurs générations qui a fortement agi sur les transformations des vécus féminins de la prison et des relations entre les genres, sommés de dépasser le moment carcéral et de se vivre autrement, aussi bien pendant qu’après.” (Stéphanie Latte Abdallah, 2013)
Le regard des anciens détenus sur les femmes prisonnières change, vu leur vécu carcéral commun. Mais ils portent généralement aussi un regard nouveau sur les femmes en général qui, grâce à leur ténacité, ont souvent été pour eux le pilier qui leur a permis de tenir durant leur peine. L’expérience carcérale a donc aussi pour effet de changer peu à peu les rapports de genre en Palestine.
Contrebande de sperme : un défi à l’occupation Par Marianne Blume Yigal Amir, l’assassin israélien du président Itzhak Rabin en 1995, a pu se marier en prison et même y avoir un enfant. Mais les détenus palestiniens, eux, n’ont pas droit à des visites conjugales. Dès lors, des prisonniers condamnés à de longues peines et leurs femmes soutenues par les familles décident de recourir à la fécondation in vitro (FIV) pour avoir un enfant. Le secret de la contrebande est bien gardé. Aucun contact direct avec les prisonniers n’est, en effet, autorisé durant les visites de familles dans les prisons israéliennes ; chaque personne est soigneusement fouillée à l’entrée et à la sortie. Du côté israélien, on conteste donc la possibilité de passer en fraude du sperme. Néanmoins, en 2015, le porte-parole des autorités pénitentiaires israéliennes, Sivan Weitzman, a déclaré qu’il était au courant de la pratique croissante de la contrebande de sperme, mais a reconnu que le gouvernement israélien ne pouvait pas faire grand-chose pour l’arrêter. Pour Abdullah Qandeel, militant pour les droits des prisonniers palestiniens, les enfants nés de pères emprisonnés sont comme des “ambassadeurs de la liberté”. Certaines femmes considèrent leur grossesse comme une forme de résistance politique. « Si la prison existe pour effacer les gens, briser les liens sociaux et transformer la lutte collective en défaite individuelle, les enfants issus de la FIV constituent une sorte d’opposition », note Suhad Abu Fayed, une mère du camp de réfugiés d’Al-Askar ayant procréé via la FIV1. Loin des slogans politiques, pour d’autres femmes, la naissance d’un enfant est simplement une victoire contre le désespoir et le triomphe de la vie. Côté israélien, les prisonniers ne sont pas considérés comme les pères des enfants qui, en conséquence, n’ont pas — sauf exception — de droit de visite. 1 The Palestinian Sperm Smugglers, www.topic.com/the-palestinian-sperm-smugglers, 2019. |
Illustration : Peinture de Zuhdi Al Aduwi. Crédit : The Palestinian Poster Project Archive.