Bulletin 64, Juin 2015
Observer de plus près la problématique des prisonnier palestiniens, c’est appréhender le fondement même de l’occupation. Israël utilise l’emprisonnement pour casser toute volonté de révolte au sein de la population palestinienne. Les mouvements exigeant la libération de tous les prisonniers palestiniens sont de plus en plus nombreux dans le monde. La mise en avant de certains cas de prisonniers emblématiques sert à attirer l’attention sur les milliers d’autres Palestiniens détenus en Israël.
Khalida Jarrar
La fille de Khalida, Yafa Jarrar, l’explique bien sur le site d’information Mondoweiss (2 avril 2015) : « Cette occupation est vicieuse et les antécédents montrent que toute personne qui dénonce son agression est une cible ». Khalida Jarrar ne cesse en effet de dénoncer les violations des droits de l’Homme commises par Israël. Militante palestinienne de gauche, membre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), elle a été directrice de l’organisation de défense des prisonniers Addameer pendant 12 ans. Elle est par ailleurs députée au Conseil législatif palestinien depuis 2006.
La nuit du 1er au 2 avril, 50 à 60 soldats israéliens ont fait irruption au domicile de Khalida et l’ont emmenée. Le motif d’arrestation : « incitation et participation au terrorisme ». Khalida Jarrar a été retenue en détention administrative (sans preuves, ni procès) jusqu’au 5 mai. Depuis, Khalida Jarrar est néanmoins maintenue en détention dans la prison de HaSharon dans l’attente de son procès. Elle comparaitra devant une cour militaire pour des chefs d’accusation uniquement politiques : appartenance au FPLP, appel à la libération des prisonniers politiques palestiniens, prise de parole dans des événements publics… Mais Israël n’a rien à craindre, personne ne trouvera à y redire. Comme personne ne viendra lui reprocher d’incarcérer Khalida en dehors du territoire occupé, c’est-à-dire en totale violation de l’art. 49 par. 1 de la IVe Convention de Genève, ou tout simplement d’arrêter un membre élu du parlement palestinien, empêchant ainsi le fonctionnement démocratique palestinien.
Lina Khattab
Lina Khattab est étudiante en première année de communication à l’université de Birzeit, près de Ramallah. Elle est engagée dans l’activité politique étudiante, ainsi que dans la troupe de danse palestinienne El-Founoun. Le 13 décembre dernier, alors qu’elle manifestait avec d’autres étudiants près de la prison d’Ofer, Lina Khattab a été arrêtée pour « jet de pierres » et « participation à une manifestation non autorisée ». Elle a écopé de 6 mois de prison ainsi que de 6000 shekels (1200 euros) d’amende.
Lors de sa comparution devant la cour militaire d’Ofer le 12 janvier, Lina s’est vu refuser sa libération conditionnelle sans aucun motif. Une fois la séance levée, la juge a laissé échapper : « En la regardant, je peux distinguer les caractéristiques d’une leader ». Et c’est là le principal motif de son emprisonnement : Lina Khattab est charismatique. En l’emprisonnant, Israël entend envoyer un message de dissuasion à tous ceux qui, comme elle, veulent organiser la société palestinienne pour résister à l’occupation.
Lina est interdite de visites familiales pour un mois parce qu’elle a, comme cinq autres prisonnières palestiniennes enfermées dans la prison d’HaSharon, hissé un drapeau palestinien dans sa cellule le jour de l’indépendance d’Israël.
Shirin, Samer et Medhat Issawy
Parmi les cinq femmes punies pour avoir arboré le drapeau palestinien dans leur cellule ,se trouve également l’avocate Shireen Issawy. Comme Khalida Jarrar, Shireen milite pour les droits des prisonniers palestiniens. Le 6 mars 2014, Shireen a été arrêtée à son domicile sans mandat. Elle a d’abord été retenue pendant un mois en détention arbitraire à Jérusalem, sans pouvoir recevoir de visites de sa famille, avant d’être transférée dans la prison d’HaSharon en Israël. Elle y est retenue depuis dans l’attente de son procès.
Le frère de Shireen, Samer, est lui aussi en prison. Membre du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP), Samer avait été arrêté une première fois en 2002 et condamné à 26 ans de prison pour appartenance à une organisation illégale, tentative de meurtre et détention d’explosifs. En octobre 2011, Samer a été libéré en même temps que 1027 autres prisonniers palestiniens dans l’échange négocié par le Hamas pour la libération du soldat israélien Gilad Shalit. Le 7 juillet 2012, Samer est à nouveau arrêté. D’août 2012 à avril 2013, Samer entreprend une grève de la faim pour protester contre sa détention abusive. Il est finalement libéré en décembre 2013…. Et réarrêté fin juin 2014 en représailles au meurtre des trois jeunes colons.
Le plus jeune frère de Shireen et Samer, Mehdat, a également été arrêté le 30 mars 2014 pour avoir participé à des activités de solidarité avec les prisonniers palestiniens et pour appartenance au FDLP. Leur mère, Leila, a ainsi trois enfants en prison.
Les garçons d’Hares
Mohammad Suleiman, Ammar Souf, Mohammed Kleib, Tamer Souf et Ali Shamlawi sont tous du village de Hares, situé près de la Route n°5, dans le gouvernorat de Salfit en Cisjordanie occupée. Lors des faits, ils avaient tous entre 16 et17 ans. Le 14 mars 2013, une habitante de la colonie israélienne de Yakir rentrait chez elle quand elle a fait un accident sur ladite route. Ses enfants furent blessés, dont un gravement. Elle a attribué la cause de son accident à des jets de pierre. La nuit suivante, une cinquantaine de soldats israéliens ont fait irruption dans les maisons du village d’Hares en demandant à voir les adolescents. Plusieurs adolescents furent arrêtés. Les soldats revinrent encore quelques fois durant la semaine qui suivit et arrêtèrent au total 19 adolescents. Ces mineurs furent tous emmenés dans un endroit inconnu de leur famille. Aucun d’eux n’avait un passé de lanceur de pierres. Après des interrogatoires violents, la plupart d’entre eux furent relâchés sauf cinq, les garçons d’Hares.
Les médias israéliens les avaient déjà tous condamnés avant même qu’ils ne « confessent » sous la torture le jet de pierres. Ils ont tous été inculpés pour 2 chefs d’accusation de tentative d’assassinat. Le procureur israélien requiert 20 ans de prison à leur encontre. Plus de 60 personnes sont venues témoigner à charge à leur procès, alléguant qu’elles aussi avaient reçu des pierres le même jour. Netanyahou a lui-même déclaré lors de l’arrestation des garçons « on a arrêté les terroristes qui ont fait ça ». Le verdict est donc annoncé depuis longtemps. Ils comparaissent maintenant, deux ans après leur arrestation, en avril et mai 2015, sans grand espoir. L’affaire des garçons d’Hares représente un dangereux précédent qui permettrait à une cour militaire israélienne d’inculper des enfants palestiniens qui jettent des pierres pour tentative d’assassinat.
Sociocide
Certains des prisonniers sont des leaders charismatiques, mais tous ne le sont pas. Certains sont des militants armés, mais certains ne sont même pas militants… Leur point commun : ils sont tous Palestiniens. Femmes, hommes, adultes et enfants, peu importe. Les motifs de la détention sont souvent laissés à l’entière discrétion des autorités d’occupation israéliennes. La justice militaire israélienne – car c’est devant elle que comparaissent également les civils palestiniens – n’observe pas les mêmes règles que la justice civile. Il arrive aussi souvent qu’elle ne suive même pas ses propres règles. Cela rend ce système judiciaire à part aléatoire et opaque, en d’autres termes arbitraire, non démocratique.
Israël maintient en permanence 4000 à 6000 Palestiniens dans ses prisons. 20% de la population palestinienne, 40% de la population masculine ont déjà fait un séjour plus ou moins long dans les geôles israéliennes. Tous les Palestiniens ont un proche, ami ou parent, en prison. Les différents parcours de prisonniers relatés dans cet article démontrent qu’Israël utilise la détention comme un outil pour détruire la société palestinienne et sa volonté de résistance. Israël se rend coupable, par ce moyen et par bien d’autres, de sociocide ou, en d’autres termes, de la destruction systématique de l’espace, du paysage, des maisons, de la politique, de l’économie, de la force de résistance mais aussi de la culture palestinienne.
Par Nathalie Janne d’Othée