Rapport annuel des chefs de mission de l’UE

Bulletin 64, Juin 2015

Chaque année depuis 2005, les diplomates des Etats membres de l’Union européenne postés à Jérusalem et Ramallah, aussi appelés « chefs de mission », établissent un rapport sur l’évolution (politique, économique, culturelle, religieuse) de la situation à Jérusalem-Est au cours de l’année écoulée. Le constat dressé, ils formulent des recommandations. Cette base de travail est ensuite transmise aux ministères des Affaires étrangères des Etats membres.

Procédure

La délégation de l’UE auprès de Jérusalem et Ramallah rédige une première version du rapport qui est retravaillée par les chefs de mission des Etats membres. La version commune sur laquelle ils se sont accordés est envoyée à Bruxelles. Aux prises avec la réalité de terrain, les diplomates en poste dans la région posent un constat plus lucide et avancent des recommandations plus audacieuses que celles qui seraient formulées à Bruxelles où le document est fortement édulcoré. Les recommandations sont en effet d’abord discutées au sein du groupe de travail du Conseil de l’Union européenne en charge du dossier, puis par les ambassadeurs des Etats membres au sein du Comité politique et de sécurité et, enfin, par les ministres des Affaires étrangères. Des blocages se manifestent tout le long du processus : certains Etats membres rejettent tout bonnement certaines recommandations et refusent que d’autres soient rendues opérationnelles. In fine, peu, voire aucune, ne sont appliquées.

Les rapports, censés être confidentiels, se retrouvent presque systématiquement dans la presse. Européens et Israéliens s’en accusent mutuellement : les premiers voudraient ainsi accroître la pression sur Bruxelles afin de s’assurer qu’il y ait des avancées, les seconds voudraient tuer la poule dans l’œuf et empêcher qu’un débat serein puisse avoir lieu sur la question.

Principaux constats des chefs de mission

Les chefs de mission estiment que presque tous les problématiques couvertes par leur rapport ont connu une détérioration sérieuse en 2014 : « l’expansion de la colonisation s’est poursuivie, y compris dans les zones très sensibles ; des politiques très restrictives sur les constructions palestiniennes à Jérusalem ont été maintenues avec force et ont été suivies par des vagues de démolitions et d’expulsions ; l’éducation pour les Palestiniens reste inéquitable ; les Palestiniens continuent d’affronter des difficultés pour bénéficier des soins de santé ; l’économie de Jérusalem-Est ne montre aucun signe d’amélioration. De surcroît, Israël a remis en vigueur des mesures punitives, comme la révocation des droits de résidence et la démolition des habitations des Palestiniens impliqués dans des attentats. » Les politiques mises en œuvre de longue date par Israël font peser un sentiment de « menace existentielle » sur la présence palestinienne à Jérusalem. La colonisation dans des zones très sensibles (Har Homa, Givat Hamatos,…) s’est poursuivie, ce qui menace la solution des deux Etats. Les actes violents commis par Israéliens et Palestiniens se sont multipliés, ce qui a fait de 2014 l’année la plus troublée depuis la seconde Intifada. Les consuls ajoutent que « si l’on ne s’attaque pas aux causes profondes de cette violence, le résultat probable sera une poursuite de l’escalade, et une aggravation de la division extrême dont la ville a souffert au cours des six derniers mois de 2014 ». Les mesures prises par Israël afin de répondre aux troubles ont notamment « perturbé la liberté de mouvement, le commerce et les activités économiques et culturelles à Jérusalem-Est ». La montée des tensions autour du Haram Al-Sharif / de l’Esplanade des Mosquées « menace d’ajouter une composante religieuse au conflit ». Le régime de planification urbaine de la municipalité de Jérusalem reste une source de préoccupation importante en ce qu’il « soumet à de très sévères restrictions les activités de construction des Palestiniens, ce qui crée une grave pénurie de logements et d’infrastructures pour les résidents palestiniens et paralyse le développement ». Les révocations des droits de résidence de Palestiniens à Jérusalem se poursuivent. La proposition de révoquer le droit de résidence de tout membre de la famille d’un Palestinien qui aurait commis un acte violent ou qui aurait exprimé son soutien à de tels actes a été soumise à la Knesset.

En conclusion, les consuls soulignent qu’une action urgente est nécessaire. Sinon, 2014 pourrait s’avérer un tournant dans le processus qui mène à la perte du caractère unique de la ville et des perspectives de paix basées sur la solution à deux Etats.

Recommandations

Les recommandations des chefs de mission sont regroupées autour de quatre axes : la préservation de la viabilité de Jérusalem comme capitale des deux Etats, le renforcement de l’identité religieuse et culturelle de Jérusalem, la fin de l’isolement socio-économique de Jérusalem et le renforcement du rôle, de la visibilité et des politiques de l’Union européenne.

Les 40 recommandations n’apportent rien de neuf. Certaines visent à renforcer des politiques déjà existantes (par exemple accentuer les efforts pour attirer l’attention des entreprises européennes sur les risques de travailler avec les colonies). D’autres proposent l’adoption de mesures déjà dans les tiroirs (l’avancement des travaux sur les lignes directrices pour éviter que des opérateurs touristiques ne soutiennent des activités économiques dans les colonies et l’adoption de mesures supplémentaires afin que les consommateurs européens puissent exercer leur droit à un choix informé sur les produits des colonies). D’autres encore sont impossibles à mettre en œuvre (notamment l’adoption de mesures contre les colons connus comme étant violents, ce qui suppose qu’ils soient condamnés – dans les faits ceci n’arrive presque jamais).

Fait intéressant et positif, la recommandation sur la labellisation des produits provenant des colonies renvoie également à « d’autres mesures possibles », sans stipuler lesquelles. L’interdiction de toute importation des colonies semble néanmoins la suggestion la plus probable.

En général, les mesures proposées visent à résoudre les problèmes constatés (par ex. encourager Israël à reconnaitre et respecter la dimension multiculturelle de Jérusalem ou assurer l’intervention de l’UE lorsque des Palestiniens sont arrêtés ou intimidés par les autorités israéliennes pour des activités non violentes). Aucune d’entre elles ne permet d’agir sur les causes structurelles du problème. Par ailleurs, les recommandations sont faibles au regard du constat sans appel qui est posé. De surcroit, les mesures reprises dans le rapport seront probablement réduites à peau de chagrin une fois remontées jusqu’aux ministres des Affaires étrangères, qui ne se priveront pas d’achever d’anéantir toute action possible.

Par Katarzyna Lemanska

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