La décision de l’administration Obama de ne plus presser Israël à renouveler le gel sur les nouvelles constructions dans les colonies est le dernier revers en date infligé au projet de paix et d’unité nationale de Mahmoud Abbas – président de l’Autorité Palestinienne (AP).
Quelques heures avant que le communiqué américain ne soit publié, lors d’une interview télévisée à Ramallah, le mot « si » faisait encore partie du vocabulaire d’Abu Mazen. Abbas y affirmait que si les négociations de paix avec Israël venaient à échouer, les Palestiniens pourraient unilatéralement demander que soit reconnu un État sur la Cisjordanie, la bande de Gaza, et Jérusalem-Est.
« Si tous les efforts échouent, je dirai aux Américains et aux Israéliens “de venir et de mettre fin à tout ceci. Je ne peux continuer ainsi. Je ne peux présider une autorité qui n’existe pas. Gardez là toute entière et libérez moi de mes responsabilités” ».
Interrogé pour savoir s’il pensait vraiment ce qu’il disait, Abbas a répondu : « Oui, je vais dire ceci aux Israéliens : “Vous pouvez rester [dans notre pays] en tant qu’occupants, mais la situation ne va pas rester telle quelle” ».
Les remarques d’Abbas semblent traduire son profond désenchantement par rapport à la stérilité du processus de paix, constamment mis à mal par les constructions de colonies, et auquel s’ajoutent les veines tentatives de l’administration Obama d’amener Israël à accepter un compromis qui pourrait inciter l’AP à revenir à la table de discussions incertaines.
La menace d’Abbas – qui n’est pas la première – arrivait apparemment après que l’administration Obama ait informellement informé la direction de l’AP de son échec à renouveler le gel des colonies – afin de donner une chance aux négociations de paix.
L’Autorité Palestinienne affirmait n’avoir reçu aucun message définitif et attendre toujours un tel message de Washington. Comme divulgué dans la presse, l’administration Obama aurait proposé à Israël d’étendre partiellement le gel des colonies pour une durée de 90 jours en échange d’une aide militaire importante et de concessions diplomatiques. Certains commentateurs occidentaux les ont qualifiées de « pitreries » et de « scandaleuses ».
Il n’est pas certain qu’Abbas soit vraiment sérieux par rapport à sa menace de dissoudre le régime de l’Autorité Palestinienne dans son entièreté. Les critiques du régime décrivent l‘AP comme quelque chose d’énorme, de séduisant à la base, mais qui entrave la réalisation d’un État palestinien et l’indépendance véritable.
« L’existence de l’Autorité Palestinienne, qu’on l’aime ou pas, sert à consolider et perpétuer l’occupation israélienne. Le nombre de colons juifs dans les territoires occupés a triplé sous le régime de l’AP, et les Israéliens utilisent l’AP pour fuir et éviter leurs responsabilités légales – en tant que puissance occupante – liées à la Quatrième Convention de Genève », explique Hazem Kawasmeh – un économiste renommé de Jérusalem-Est. « En fait, Israël utilise l’AP pour dire au monde que l’occupation a pris fin. »
Kawasmeh souligne que l’AP assume le pire rôle qu’une agence gouvernementale subissant une occupation militaire étrangère puisse assumer : la “coordination sécuritaire” avec l’ennemi. « C’est pourquoi nous voyons les membres des agences de sécurité palestiniennes (membres entrainés par des Américains) disparaitre à chaque fois que les forces d’occupation entrent dans les villes et villages palestiniens pour arrêter, réprimer ou tuer des Palestiniens. »
Les partisans de ce point de vue affirment que le peuple palestinien ne devrait pas se laisser prendre en otage par une situation comme celle-là où ils doivent choisir entre une autorité manquant de souveraineté et une occupation militaire permanente. Néanmoins, depuis quelques années, un grand nombre de carrières, et les moyens d’existence et le bienêtre financier associés sont étroitement liés à l’existence et à la survie de l’Autorité Palestinienne. Encore une fois, parler de démanteler l’AP est une chose, le faire est une autre.
On estime qu’il y a près de 130 000 fonctionnaires recevant un salaire de l’AP à la fin de chaque mois. Auxquels il faut ajouter les 60 à 70 000 membres du personnel de sécurité répartis dans différentes agences et qui aident à établir ordre et droit, tout en maintenant « les éléments bellicistes » – un euphémisme pour militants islamistes – hors d’état de nuire. Qu’adviendrait-il de ces centaines de milliers de personnes qui pourraient perdre leurs emplois et sources de revenu ?
Est-ce que les forces policières et paramilitaires de l’AP rendraient également leurs armes, équipements, et infrastructures aux Israéliens avant de rentrer chez eux ? Israël n’est pas particulièrement enthousiaste à l’idée de reprendre à sa charge la responsabilité des affaires au jour-le-jour de près de trois millions de Palestiniens désenchantés et en colère. Malgré l’opposition de quelques colons messianiques qui voulaient prendre possession de la terre et expulser ses habitants, Israël voyait l’établissement d’une autonomie palestinienne comme une bonne chose. Elle lui permettait de garder en main tous les atouts palestiniens – en tant que puissance occupante – tout en sous-traitant les responsabilités au gouvernement palestinien qui devait lui-même répondre à Israël.
Encore une fois, et quand bien même la direction palestinienne voulait dissoudre l’Autorité Palestinienne, il est fort improbable qu’Israël permette un retour au statu quo antérieur aux Accords d’Oslo de 1993. Une telle situation représente un cauchemar pour les architectes israéliens dont les calculs sont basés sur l’annexion par Israël d’un maximum de territoire palestinien possible avec un minimum de Palestiniens vivant à l’intérieur de celui-ci.
En attendant, l’AP a reçu un soutien moral méchamment nécessaire de la part de trois États sud-américains (Brésil, Argentine, et Paraguay) ayant annoncé leur reconnaissance de l’État-nation « Palestine » sur base des frontières de 1967. D’autres pays pourraient suivre cet exemple, et ainsi créer une réalité nouvelle et un nouvel élan conduisant à une possible résolution du conflit le plus long au monde toujours en cours. Une reconnaissance internationale réduirait également à néant les plans américains et serait cause d’embarras et d’isolement pour Israël.
Khaled Amayreh, depuis la partie occupée de Jérusalem, Al-Ahram Weekly
Traduction : NVC