La première session internationale du Tribunal Russell sur la Palestine (TRP) s’est tenue à Barcelone, du 1er au 3 Mars 2010. Le TRP est une initiative citoyenne, qui se base sur le droit international pour juger les principaux acteurs complices, par leurs action ou leur inaction, de la perpétuation des violations des droits humains en Palestine.
Le TRP a été créé pour donner une nouvelle impulsion aux indispensables campagnes de lutte contre les politiques israéliennes d’apartheid et d’occupation, et les violations des droits humains. Il ne s’agit pas simplement de « prévenir le crime du silence », mais aussi de créer un nouveau forum où se faire entendre, où faire entendre des témoignages et des expertises ; et d’outiller la société civile quant aux moyens d’interpeller et de faire pression sur leurs gouvernements pour qu’ils respectent le droit.
Certes, le langage du droit international humanitaire est dense, inerte et dépassionné, et ce malgré le fait qu’il est né des luttes menées contre la colonisation et l’occupation. Pourtant, il est nécessaire de le maîtriser pour faire la jonction entre les luttes menées au quotidien sur le terrain et les décisions prises dans nos parlements. Dans ce sens, la session du TRP a été un premier pas pour faciliter l’analyse des faits à travers le prisme de traités et de conventions complexes.
A Barcelone, c’était donc l’Europe (UE) qui était visée. Après avoir entendu 21 experts et témoins pendant deux jours, le Jury du TRP a été en mesure de déclarer l’UE et ses Etats membres coupables de violations répétées du droit international et du droit interne européen. Celles-ci comprennent inter alia: l’assistance à l’acquisition de territoire par la force, suite à l’annexion par Israël de Jérusalem en juillet 1980 et à la poursuite de cette annexion ; l’assistance à la perpétration du crime d’apartheid – compris comme l’application de politiques de discrimination systématiques commises à l’égard des Palestiniens se trouvant en territoire israélien ou dans les territoires occupés – ; l’assistance aux violations du droit international humanitaire régissant l’occupation commises par Israël en implantant systématiquement des colonies de peuplement à Jérusalem et en Cisjordanie ; l’assistance aux violations des dispositions de la 4e CG du 12 août 1949 (art. 33) qui prohibent les châtiments collectifs, en laissant Israël maintenir la bande de Gaza sous blocus…
Si l’UE et les Etats membres continuent ainsi à traiter les droits inaliénables du Peuple palestinien comme une question politique plutôt qu’une obligation légale, c’est aussi parce que la société civile leur en laisse la latitude, en n’exerçant pas assez de pression. En réalité, ces Etats ne devraient pas avoir le choix. Le respect du droit international n’est pas une option, mais bien une obligation ! Ainsi, le fait que parmi ses recommandations, le jury du TRP ait apporté son appui au BDS (boycott, désinvestissement et sanctions) comme étant l’un des moyens de pousser Israël et les Etats qui lui sont complices à rendre compte des violations du droit international, est aussi un encouragement pour les groupes et les personnalités de la société civile européenne qui hésitent à adhérer à ce type d’actions.
Parmi les témoins de Barcelone, la parlementaire européenne Véronique De Keyser a rappelé que, lors d’un voyage en Israël en tant que membre d’une délégation de MPE, le Premier Ministre et Ministre des affaires étrangères de l’époque, Ehud Olmert et Tzipi Livni, lui ont expliqué qu’ils étaient décidés à instrumentaliser le Fatah pour affaiblir le Hamas. Elle a également témoigné que Israël n’avait aucun intérêt à reconnaître un gouvernement d’unité.
Meir Margalit, ancien membre du Conseil Communal de Jérusalem, a quant à lui rappelé l’épisode de la démolition d’une maison palestinienne alors qu’un Commissaire européen était présent. Quand cela a été porté à l’attention d’Ehud Olmert qui était alors le maire de Jérusalem, il a été décidé d’en retarder la démolition jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de tels témoins.
Charles Shamas, consultant juridique palestinien et fondateur du groupe MATTIN, a décrit les mécanismes qui permettraient d’utiliser certains règlements internes très précis et généralement méconnus de l’arsenal réglementaire européen. Il s’agirait de les déchiffrer et de les utiliser à l’encontre des organes décisionnels appropriés.
Il a également démontré la manière dont les lois sont modifiées quand l’UE collabore et passe des contrats avec Israël. En acceptant les interprétations israéliennes du droit international plutôt que les siennes, l’UE est de ce fait amenée à violer son propre droit interne ainsi que le droit international. Par exemple, un nouvel accord entre l’UE et Israël concernant l’aviation civile pourrait légitimer l’occupation des Territoires Palestiniens en reconnaissant comme faisant partie d’Israël l’espace aérien et les aéroports situés dans les territoires occupés. M. Shamas a aussi mentionné le défi que posait l’ébauche d’accord entre Europol et les autorités policières israéliennes, que l’on peut considérer comme étant illégal puisque le siège de la police israélienne est situé dans la partie occupée de Jérusalem Est.
Phil Shiner, avocat spécialisé dans le droit international environnemental et humanitaire, a relaté au TRP sa tentative d’utiliser le droit interne britannique pour mettre en cause le non respect par la Grande Bretagne de ses obligations en matière de droit international humanitaire en ce qui concerne les actes posés par Israël pendant l’opération « plomb durci ». Une Cour Britannique a rejeté sa plainte, qu’il avait déposée avec l’organisation juridique palestinienne Al-Haq, en considérant qu’il s’agissait d’une question de « politique étrangère de haut niveau ». M. Shiner a suggéré de rechercher des états membres plus conciliants pour déposer de telles plaintes.
L’applicabilité des conventions internationales sur les armements dans le cas de l’invasion israélienne à Gaza a été disséquée par le Colonel Desmond Travers, membre de la commission Goldstone commanditée par les Nations Unies. Dans son témoignage, le Colonel Travers a pu fournir des analyses médico-légales du chemin parcouru par une fléchette dans le corps humain. Il a aussi abordé le fait que Israël était suspecté d’avoir fait usage d’armes à base d’uranium appauvri et d’explosifs à métal dense chimiquement inerte (DIME). Enfin il a souligné l’usage de phosphore blanc comme arme et non à des seules fins de balisage et de signalisation. Tout en soulignant la nécessité d’exercer des pressions politiques pour mettre fin à l’impunité israélienne, le colonel Travers a insisté sur l’importance d’interdire totalement l’usage de certaines armes – dont le phosphore blanc – et sur l’urgence de procéder au nettoyage de l’environnement de Gaza. De manière générale, de nouvelles lois sont nécessaires dans le domaine du droit de la guerre, et il est important de plaider dans ce sens.
En tant que chercheur, spécialisée sur le Moyen Orient, Agnès Bertrand a détaillé la complicité passive de l’UE envers les violations du droit commises par Israël. Depuis 2000, Israël a détruit des infrastructures financées par l’UE pour une valeur totale de 56.35 millions d’euros. La Commission Européenne n’a pourtant aucune intention de réclamer à l’Etat israélien des réparations ou des compensations, et se contente d’affirmer que c’est à l’Autorité Palestinienne de le faire, puisque les infrastructures lui ont été données par l’UE. De plus, aucune forme d’aide légale n’a été proposée pour indiquer à l’Autorité palestinienne la manière dont elle devrait s’y prendre.
Les conclusions de cette première session du TRP ont été rendues publiques le 3 mars, au cours d’une conférence de presse internationale. Depuis, elles ont été envoyées à tous les principaux responsables politiques de l’UE et des états membres, qui n’avaient d’ailleurs pas souhaité faire valoir leurs points de vue à Barcelone. Elles doivent maintenant servir à interpeller ces différents acteurs quant à leurs responsabilités directes, de même qu’elles doivent servir à élargir tant que faire se peut la mobilisation citoyenne en faveur du droit à l’autodétermination du Peuple palestinien.
En outre, Barcelone n’est que la première étape de ce processus qui vise à remettre le droit au centre de la question israélo-palestinienne, et à mettre en exergue les complicités qui permettent à Israël de continuer à violer le droit international au détriment du Peuple Palestinien. La prochaine session internationale du TRP aura lieu en novembre 2010 à Londres, pour aborder les complicités des entreprises et des multinationales. Elle sera suivie d’une session en Afrique du Sud sur l’applicabilité du crime d’Apartheid aux actes commis par Israël à l’encontre des Palestiniens, et aux Etats Unis sur les responsabilités des Etats Unis et des Nations Unies. Une session finale clôturera enfin le processus.
Le texte complet des conclusions de la Première session du TRP est accessible sur http://www.russelltribunalonpalestine.org/.
Auteurs
Ewa Jasiewicz – journaliste freelance, Coordinatrice du Free Gaza Movement et témoin lors de la session de Barcelone du TRP
Frank Barat et Virginie Vanhaeverbeke, coordinateurs du TRP.