Bulletin N°77
En 1993, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) négociait les accords d’Oslo avec le gouvernement Rabin. Parce que depuis longtemps éloignée du territoire occupé, l’OLP a sous-estimé la réalité de la colonisation qui gangrenait déjà le territoire palestinien. Les accords d’Oslo n’ont par ailleurs jamais explicitement reconnu le droit du peuple palestinien à l’autodétermination ou à un Etat, se limitant à lui accorder de vagues « droits légitimes ». Vingt ans plus tard, le nombre de colons israéliens a plus que doublé en Palestine occupée. Aujourd’hui, les voix sont nombreuses qui qualifient l’occupation israélienne d’illégale, d’autant qu’elle s’accompagne d’une annexion de plus en plus flagrante du territoire palestinien. Et le cadre mis en place par les accords d’Oslo a constitué un contexte idéal pour la stratégie israélienne d’annexion.
Le droit international hors-jeu
Mis en place pour une période provisoire, le système d’Oslo a jusqu’ici servi de cadre aux tentatives de résolution du conflit. La division du territoire palestinien en trois zones, A, B et C et le contrôle total exercé par Israël sur la zone C, seule zone territorialement continue et représentant 60% du territoire palestinien, ont facilité le développement de la colonisation israélienne. Par ailleurs, la création de l’Autorité palestinienne a permis à Israël de ne plus se préoccuper du sort de la population palestinienne, rôle qui lui incombe pourtant en tant que puissance occupante d’après le droit international.
Israël est ainsi passé maître dans l’art de décrédibiliser le droit international comme cadre pour la résolution du conflit. Les territoires occupés deviennent des territoires disputés. La zone C étant sous sa souveraineté, la colonisation se transforme en extension naturelle des municipalités israéliennes. Le protocole de Paris, arrangement technique qui accompagne les accords d’Oslo, permet par ailleurs de maitriser et donc d’asphyxier l’économie palestinienne. En tant que principal bailleur de fonds de l’Autorité palestinienne, l’UE permet enfin à tout ce système de fonctionner financièrement.
Comme le souligne une analyse récente de l’European Council for Foreign Relations (« Rethinking Oslo. How Europe can promote peace in Israel-Palestine », juillet 2017), les Palestiniens se retrouvent dès lors pris entre le marteau et l’enclume, ne pouvant plus s’appuyer dans la négociation sur le droit international, ni prétendre à une égalité des droits au sein de l’Etat israélien.
Une annexion dans les faits
Partout la le même objectif prévaut toujours: annexer le plus de terres avec le moins de population palestinienne. Ce principe a sans nul doute guidé la délimitation de la zone C lors des accords d’Oslo, puisque celle-ci exclut systématiquement les villes (zone A) et les villages (zone B), tout en accaparant les terres les plus fertiles, les moins peuplées, et donnant accès aux ressources en eau.
De 262 500 en 1993, la population de colons est aujourd’hui passée à plus de 600 000, avec 399 000 colons en Cisjordanie et 208 000 à Jérusalem-Est. Pour favoriser la colonisation, les gouvernements israéliens successifs, de gauche comme de droite, ont déployé un arsenal de mesures comme la création par décret de terres d’Etat, l’attribution de terres aux colons, le soutien agissant aux avant-postes, l’appui aux activités économiques des colonies, la création par décret de zones militaires, de parcs nationaux ou de sites archéologiques. Depuis le début de 2017, on note néanmoins une accélération sans précédent des constructions dans les colonies. Peace Now annonçait en 2017 2783 nouvelles habitations dans les colonies, ce qui représente une augmentation de 17% par rapport à la moyenne depuis 2009. Le gouvernement israélien a également annoncé l’établissement de deux nouvelles colonies à Amihai et à Hébron.
La colonisation va par ailleurs de pair avec la destruction d’infrastructures palestiniennes en zone C et à Jérusalem-Est. Ces destructions ont atteint un maximum de 1094 structures détruites en 2016. Cet été, l’attention internationale s’est portée sur les villages palestiniens de Khan al Ahmar et Abu Nuwar, en bordure du territoire E1 (situé entre Jérusalem-Est et la colonie de Ma’ale Adumim), et menacés de démolition parce qu‘Israël projette d’y établir une nouvelle colonie. Le projet de construction de cette colonie a toujours été particulièrement sensible étant donné qu’elle séparerait définitivement Jérusalem-Est de la Cisjordanie, tout en coupant cette dernière en deux parties, nord et sud.
Le Mur a lui aussi permis à Israël d’annexer les grands blocs de colonies au territoire israélien, coupant de nombreux villages palestiniens de leurs terres. C’est ainsi que 9,4 % supplémentaires de la Cisjordanie, situés entre la Ligne verte et le Mur, se retrouvent de facto annexés à Israël.
A Jérusalem même, le Mur expulse ainsi certains quartiers du territoire de la ville. Jusqu’ici ces quartiers appartiennent en théorie à la municipalité de Jérusalem, même si en pratique, ils n’en reçoivent que peu d’attention. Mais un projet de loi en discussion à la Knesset menace aujourd’hui d’exclure de la municipalité les quartiers de Kufr’Aqab, du camp de réfugiés de Shu’fat et d’Anata. Quelque 140 000 Palestiniens perdront par conséquent leur droit de résidence. Parallèlement, les colonies de Ma’ale Adumim, Gush Etzion, Efrat, Beitar Illit et Giv’at Ze’ev, qui entourent Jérusalem-Est et sont entourées par le Mur, feront partie intégrante du Grand Jérusalem. Dès lors, 150 000 nouveaux électeurs juifs participeront aux scrutins municipaux à Jérusalem. Cette perspective ne serait qu’une étape de plus dans la judaïsation de la ville, ou autrement dit la normalisation de l’annexion de Jérusalem-Est par Israël.
Un apartheid dans les lois
Outre les « faits sur le terrain » qui ancrent la présence israélienne toujours plus profondément en Palestine occupée, la droite israélienne au pouvoir s’emploie à étendre l’application des lois israéliennes au territoire palestinien. La Knesset discute pour le moment une douzaine de ces « lois d’annexion ». La plus connue d’entre elles, la « loi de régularisation », adoptée en février 2017, permet de régulariser la présence des colons sur des terres privées palestiniennes, accordant au propriétaire palestinien le droit de demander des compensations mais lui refusant tout recours en vue de récupérer sa terre. Cette loi est la première loi votée par la Knesset applicable à un territoire pour lequel elle n’est pas juridiquement compétente.
Le mouvement vers l’annexion se poursuit ainsi toujours un peu plus sous l’impulsion du mouvement des colons. La stratégie de ce dernier visant à infiltrer le Likoud porte aujourd’hui ses fruits. Fin décembre 2017, le Comité central du parti a en effet voté, contrairement à l’avis du Premier ministre Netanyahou, en faveur de l’annexion définitive de la zone C par Israël afin de permettre la construction sans entraves de nouvelles colonies. L’adoption le 19 juillet dernier de la très controversée loi définissant Israël comme « l’Etat nation du peuple juif » montre également la surenchère à laquelle Benjamin Netanyahou est contraint pour ne pas se faire dépasser sur sa droite par le parti pro-colons de Naftali Bennett. Parmi les principes qu’elle édicte, la loi sur l’Etat nation stipule également que « l’État encouragera la colonisation juive ».
Que ce soit en Cisjordanie ou en Israël, les lois israéliennes instituent chaque jour un peu plus un véritable système d’apartheid. En Israël avec la loi sur l’Etat nation juif, les citoyens non juifs sont désormais officiellement des citoyens de seconde zone. En Cisjordanie, les colons juifs relèvent de plus en plus du droit civil israélien tandis que les Palestiniens continuent à vivre sous la juridiction d’ordres militaires et doivent dès lors comparaitre le cas échéant devant les tribunaux militaires israéliens.
Les deux options de l’UE
Face à ces développements, l’UE reste attachée au cadre des accords d’Oslo. Elle continue de répéter qu’il est nécessaire de sauvegarder la solution à deux Etats, mais échoue à adopter une politique cohérente avec ce leitmotiv. Or les relations économiques que l’UE et ses Etats membres entretiennent avec Israël contribuent à alimenter l’économie de la colonisation.
Il est pourtant nécessaire que l’UE réalise que rien n’arrêtera le glissement progressif vers une annexion israélienne du territoire palestinien. Le statu quo est en effet bien trop confortable pour qu’Israël y préfère un désengagement des colonies. Il est donc urgent que l’Union européenne renforce sa politique de différenciation. En effet, en distinguant dans ses relations avec Israël le territoire israélien et ses colonies, tel que le prescrit la résolution 2334 du Conseil de Sécurité de l’ONU, l’UE augmenterait le coût de la colonisation et rendrait le statu quo moins commode pour les Israéliens. Si, au contraire, l’UE s’obstine à défendre le « business as usual » avec Israël, elle se retrouvera inévitablement confrontée à la nécessité d’un changement de paradigme face à l’avènement d’une réalité à un seul Etat, dans lequel prévaudra un système d’apartheid.