L’armée « la plus morale du monde » en action

Bulletin 60, avril 2014

Les Forces de Défense israéliennes croient que la force brutale est la seule façon d’agir; les Israéliens refusent d’entendre ce qu’Amnesty international et d’autres leur disent.

 

par Gideon Lévy

 

L’armée la plus morale du monde a tiré un missile antichar sur une maison dans laquelle se cachait un jeune Palestinien recherché. L’armée la plus morale du monde a fait passer un bulldozer sur le toit de la maison et l’a détruite.   L’armée la plus morale du monde a utilisé des chiens pour fouiller les ruines. L’armée la plus morale du monde a utilisé une perceuse qu’elle appelle une cocotte-minute, une perceuse plutôt dégoûtante qu’elle a inventée pour son propre usage.   C’est arrivé jeudi dernier (le 27 février), à Birzeit en Cisjordanie. Les soldats de l’armée la plus morale du monde sont arrivés tôt le matin pour une autre opération d’arrestation, comme celles qui ont lieu chaque nuit et dont vous entendez rarement parler.   Elle consiste à semer la peur dans les villages au milieu de la nuit, en envahissant à grand bruit des maisons dont les habitants – parmi lesquels des enfants – dorment ; le tout accompagné de fouilles brutales et de destructions. Parfois, comme jeudi dernier, cela se termine aussi par la mort.  Tout ceci se produit à un moment où les opérations terroristes sont très limitées.

Parfois, ces opérations militaires sont justifiées par une nécessité opérationnelle mais parfois aussi, ce ne sont que des entraînements de routine pour maintenir en éveil la réactivité des soldats et faire une démonstration de leur puissance en direction des habitants.   Les forces de défense d’Israël ont aussi donné à tout cela un nom qui fait chaud au cœur : l’Instrument de perturbation – se déchaînant contre une communauté de civils dans l’intention de provoquer la panique et la crainte et d’en perturber la vie – comme l’a exposé, devant un tribunal militaire, l’organisation de défense des droits de l’Homme Yesh Din (= Il y a une loi).

A Birzeit, c’était pour trois jeunes gens, membres du Front populaire de libération de la Palestine, une organisation qui n’est pas particulièrement active.

Et même si les correspondants militaires se sont précipités pour dire, comme à leur habitude que, selon les FDI, « les trois avaient l’intention d’exécuter une attaque terroriste à brève échéance » – oui, l’armée la plus morale du monde est aussi une armée qui devine les intentions – il est douteux qu’ils aient mérité la mort.

Mais les FDI, prétendant qu’il avait un fusil, ont tué Muataz Washaha, qui refusait de se rendre – un assassinat dans la troisième phase de surveillance, sans bombe à retardement, et Israël a accueilli cette histoire d’un bâillement d’ennui. C’est ainsi que l’armée la plus morale du monde agit et croit qu’elle doit agir. Il n’y a pas d’autre moyen d’arrêter un jeune homme que de le tuer avec un missile antichar et de détruire sa maison familiale.

Le hasard a voulu que, le même jour, une opinion de professionnels soit publiée sur la vraie moralité des FDI : Amnesty International a publié un rapport, intitulé Gâchette facile, dans lequel il établit que les soldats des FDI font preuve d’un mépris grossier de la vie humaine, qui se manifeste par l’assassinat de dizaines de citoyens palestiniens, y compris des enfants. L’organisation affirme qu’il s’agit là d’un meurtre intentionnel et probablement même d’un crime de guerre.

Bien sûr, cela n’a pas réussi à briser la croyance enthousiaste des Israéliens en la haute moralité de leur armée. « Allez voir en Syrie » rétorquent-ils fréquemment.

Le ministre des Affaires étrangères et les FDI ont expliqué qu’Amnesty International souffre « d’un manque total de compréhension des enjeux opérationnels ».

Et en vérité, que comprend Amnesty ? A la fin de la semaine dernière, le régime militaire qui gouverne le Myanmar (Birmanie) a suspendu sur son territoire les activités de l’association Médecins Sans Frontières, pour des raisons semblables. S’il le pouvait, Israël interdirait aussi le travail d’Amnesty et des groupes du même type.   Mais un citoyen responsable n’a pas besoin d’Amnesty International pour savoir. Il y a deux jours seulement, les FDI ont tué une femme à la frontière de Gaza, à Khan Younès, après avoir mis en œuvre contre elle un autre protocole –le Protocole d’éloignement. Le meurtre de manifestants près de la clôture qui étrangle la bande de Gaza est routine –qu’y a-t-il donc là à rapporter ? C’est comme le fait de tirer sur des pêcheurs.

En Cisjordanie aussi, des manifestants, des lanceurs de pierres, des enfants et des jeunes sont visés et tués.  Il y a environ deux mois, l’enfant Wajih Al-Ramahi a été abattu à Jalazun. Il y a deux semaines, B’Tselem – le Centre israélien d’information sur les droits de l’Homme dans les Territoires occupés – a publié ses conclusions d’autopsie : Al-Ramahi a été atteint dans le dos par un tir, d’une distance de 200 mètres.   Cela a aussi été le sort du jeune Samir Awad de Budros et de dizaines d’autres personnes tuées ; alors qu’elles ne menaçaient la vie de personne, elles ont été visées par quelqu’un à la gâchette facile et sont mortes sans raison.   Personne n’est passé en jugement pour ces actes meurtriers. Dans le cas d’Awad, atteint dans le dos lors d’un guet-apens, un dossier a été constitué sur les circonstances de sa mort mais le procureur militaire l’a laissé se couvrir de poussière pendant plus d’un an.   Et tout cela de la part de l’armée la plus morale du monde. Essayez seulement de contester cela. Essayez seulement d’affirmer que les FDI sont la seconde armée la plus morale du monde – disons, après l’armée du Luxembourg.

 

Source : The most moral army in the world, in Haaretz, 3 March 2014

Traduction : Association France Palestine Solidarité

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