Les Palestiniens se battent pour leur vie

Bulletin N°66

Les Palestiniens se battent pour leur vie ; Israël se bat pour l’occupation

Par Amira Hass, journaliste à Haaretz[1]

Traduction Julien Masri

Oui, ceci est une guerre, et le Premier ministre Benjamin Netanyahou, avec le mandat qu’il tient du peuple, en a ordonné l’intensification. Il n’écoute pas les messages de conciliation et d’accommodement du président palestinien Mahmoud Abbas dans des périodes plus calmes, pourquoi devrait-il le faire maintenant ?

Netanyahou intensifie la guerre en particulier à Jérusalem-Est, par des débauches de punitions collectives. De cette manière, il manifeste à nouveau qu’Israël a réussi à déconnecter physiquement Jérusalem de la plus grande partie de la population palestinienne, soulignant l’absence de direction palestinienne à Jérusalem-Est et la faiblesse du gouvernement de Ramallah – qui tente d’enrayer la dérive dans le reste de la Cisjordanie.

La guerre n’a pas commencé jeudi dernier, elle ne commence pas avec les seules victimes juives et ne s’achève pas lorsque plus aucun Juif n’est assassiné. Les Palestiniens se battent pour leur vie, au plein sens du terme. Nous, les Juifs israéliens, nous nous battons pour nos privilèges en tant que nation de maîtres, dans la pleine laideur du terme.

Que nous ne réalisions qu’il y a une guerre en cours que lorsque des Juifs sont assassinés n’enlève rien au fait que des Palestiniens sont tués tout le temps et que tout le temps, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour leur rendre la vie insupportable. La plupart du temps, il s’agit d’une guerre unilatérale, que nous menons pour les amener à dire « oui » au maître, « je vous remercie beaucoup de nous laisser en vie dans nos réserves ». Lorsque quelque chose dans l’unilatéralité de la guerre est perturbé, et des Juifs sont assassinés, alors seulement nous y prêtons attention.

Les jeunes Palestiniens ne vont pas assassiner des Juifs parce qu’ils sont juifs mais parce que nous sommes leurs occupants, leurs tortionnaires, leurs geôliers, les voleurs de leurs terres et de leur eau, ceux qui les ont exilés, les démolisseurs de leurs maisons, ceux qui leur bouchent l’horizon. Les jeunes Palestiniens, assoiffés de vengeance et désespérés, sont prêts à perdre leur vie et à causer une immense douleur à leurs familles car l’ennemi auquel ils sont confrontés prouve chaque jour que sa malveillance n’a pas de limites.

Même le langage est malveillant à leur égard. Les Juifs sont assassinés, les Palestiniens sont tués et meurent. Est-ce vrai ? Le problème ne commence pas avec le fait que nous ne soyons pas autorisés à écrire qu’un soldat ou un agent de police a assassiné des Palestiniens, à bout portant, alors que sa vie n’était pas en danger, et qu’il l’a fait par télécommande, ou bien à partir d’un avion ou d’un drone. Mais c’est une partie du problème. Notre compréhension est tenue captive d’un langage censuré rétroactivement qui déforme la réalité. Dans notre langage, des Juifs sont assassinés parce qu’ils sont Juifs et les Palestiniens trouvent la mort et la détresse parce que sans doute, c’est ce qu’ils cherchent.

Notre vision du monde est façonnée par la trahison permanente des médias israéliens de leur devoir de rapporter les événements, ou leur manque des capacité technique et émotionnelle nécessaires pour maitriser tous les éléments de la guerre mondiale que nous menons afin de préserver notre supériorité sur le territoire entre le fleuve [Jourdain] et la mer [Méditerranée].

Pas même ce journal ne dispose des ressources financières nécessaires pour employer 10 journalistes et remplir 20 pages d’articles sur toutes les attaques en période d’escalade [de la violence] et sur toutes les attaques de l’occupant en période de calme, depuis les tirs de coups de feu jusqu’à la légalisation d’un avant-poste de colonisation, en passant par la construction d’une route qui détruit un village, sans parler d’un million d’agressions supplémentaires. Quotidiennement. Les exemples pris au hasard que nous parvenons à développer ne sont qu’une goutte dans l’océan et ils n’ont aucun impact sur la compréhension de la situation pour une grande majorité d’Israéliens.

Le but de cette guerre unilatérale est de forcer les Palestiniens à renoncer à toutes leurs revendications nationales dans leur patrie. Netanyahou veut l’escalade parce que l’expérience a prouvé jusqu’à présent que les périodes de calme après le bain de sang ne nous ramènent pas à la ligne de départ mais conduisent plutôt à une dégradation supplémentaire du système politique palestinien et apporte de nouveaux privilèges aux Juifs dans un Grand Israël.

Ces privilèges sont le principal facteur qui déforme notre compréhension de notre réalité, en nous aveuglant. A cause d’eux, nous ne parvenons pas à comprendre que même avec une direction «présente-absente » faible, le peuple palestinien – dispersé dans ses réserves indiennes – n’abandonnera pas et continuera à trouver la force nécessaire pour résister à notre malveillante domination.

[1] Opinion publiée le 7 octobre dans Haaretz.

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