Bulletin N°66
Encart : Témoignage d’Anne Paq, photographe membre du collectif « ActiveStills »
Je suis arrivée il y a quelques jours au milieu de fortes tensions.
Dès que je suis arrivée à Jérusalem samedi, je suis tombée sur le site d’une attaque, un jeune Palestinien – Ishaq Badran, 16 ans, de Kafr Aqab, venait d’être abattu par la police israélienne après avoir effectué une attaque présumée au couteau. J’avais encore ma valise que j’ai laissée à des Palestiniens pour prendre mes premiere photos de ce nouveau chapitre en Palestine. Les membres de la police israélienne étaient nerveux et nous criaient dessus.
J’ai continué mon chemin au camp Aida. La famille avec qui je vais rester est encore traumatisée par l’assassinat d’Abed al-Rahman Shadi Obeidallahe, agé de seulement 13 ans, tué il y a seulement quelques jours.
Il a été abattu, encore vêtu de son uniforme scolaire près du coeur, par les forces israéliennes lors d’affrontements dans le camp de réfugiés. Le garçon de la famille qui m’accueille était son camarade de classe. « Nous avons beaucoup pleuré », m’a dit sa mère. « Les enfants n’ont pas le coeur à étudier », ajoute-elle. Pas étonnant. L’aînée de la famille, 16 ans, est triste et ne parvient pas à dormir à cause de la situation. Elle avait l’habitude de sourire beaucoup, maintenant le sourire a disparu.
Partout, de la douleur et de la colère. Des décennies d’occupation militaire et de colonisation ont affecté tous les Palestiniens, leur rendant la vie misérable. Que peut-on encore espérer lorsque toutes les négociations n’ont abouti à rien, sinon d’être privés de plus de droits et de terres? Comment les enfants peuvent-ils reagir face aux images des enfants palestiniens tués à Gaza (plus de 500) l’année dernière en toute impunité ?
La seule manière de cesser le bain de sang est d’en finir avec l’occupation.
Les médias traditionnels se contentent de présenter la situation comme un « cycle de violence », une nouvelle vague de terreur avec comme sous-titres que la violence exercée par les Palestiniens – le peuple occupé – est égale à celle utilisée par des décennies par la puissance occupante et coloniale – les Israéliens. Ce n’est pas equivalent, il faut mettre dans l’équation la répression brutale menée par l’Etat d’Israël contre les Palestiniens depuis sa création, et le déni de leurs droits les plus élémentaires.
Aussi les médias sont prompts à présenter la version officielle israélienne des attaques, comme une vérité inébranlable tandis que dans certains cas il est apparu qu’il était peu probable que les Palestiniens avaient une arme sur eux et, même si c’était le cas pour certains, ils auraient pu être neutralisés être abattus.
La tension est très palpable. Je demandais à un chauffeur de taxi s’il voulait une Intifada. Il m’a répondu un retentissant « oui – oui on en a marre! C’en est assez! ». Je lui ai aussi demandé ce qu’il pensait de l’Autorité palestinienne. Il a répondu: « Aussi assez ! Ils aident seulement les Israéliens ! ».
Je suis allée de nouveau à Jérusalem hier, et je me suis vite retrouvée dans un taxi en suivant les voitures de la police israélienne. Quelque chose était arrivé. C’était une autre attaque. Une adolescente palestinienne identifiée plus tard comme Marah al-Bakri, âgée de 17 ans, avait été blessée par plusieurs balles. Il a également été allégué qu’elle a attaqué un Israélien. Un camarade de classe interviewé par « Shehab News Agency » a expliqué qu’elle était entourée par les différents membres de la police et a entendu au moins 10 coups de feu. Les forces israéliennes qui prétendent être parmi les meilleures ne pouvaient-elles pas arrêter une jeune de 17 ans sans tirer plusieurs coups de feu?
Pourquoi autant de fusillades maintenant? C’est parce qu’il y a eu un véritable « permis de tuer » délivré par le gouvernement israélien de Netanyahou qui a poussé et obtenu de nouvelles consignes de tir, qui permettent essentiellement à la police israélienne de tirer chaque fois qu’ils soupçonnent une attaque. Autrement dit n’importe quand.
Les chiffres sont frappants. Depuis le 1er octobre, 27 Palestiniens ont été tués, parmi eux 10 enfants, tandis que 7 Israéliens ont été tués dans la même période. Plus de 1.300 Palestiniens ont été blessés, beaucoup avec des balles réelles.
Hier, je couvrais les affrontements qui se déroulent près de Bet El, un camp militaire près de Ramallah. Quelque 200 Palestiniens, essentiellement des jeunes, étaient là, peut-être 50 étaient actifs à lancer des pierres sur des soldats israéliens qui les visaient avec leurs armes sophistiquées, protégés derriere leurs équipements de « robocop ». Il n’y eu aucune blessure grave cette fois, mais cela pouvait arriver, d’une minute à l’autre, à n’importe quelle personne présente. Il y a quelques jours, une chercheuse de « Human Rights Watch », a été blessée par balle à la même place, en dépit d’être clairement marquée «presse».
À un moment donné, deux jeeps militaires israéliennes ont décidé d’aller plus loin et ont contourné les Shebabs (jeunes Palestiniens), pour des raisons qui ne sont pas claires. Certains Palestiniens ont couru après la jeep et lui ont jeté un cocktail molotov. Le haut de la jeep s’est enflammé, ce qui a poussé les soldats israéliens à se retirer rapidement. Cela a été suivi par des acclamations de la foule. Un sentiment de fierté était palpable.
L’humiliation des Palestiniens par leurs occupants dure depuis des décennies, et est très bien comprise et ressentie par ces jeunes. Cette génération de jeunes, qui est moins dépendante des lignes de partis habituelles et de l’Autorité palestinienne, n’en veut plus et pourquoi devrait-elle s’y plier? Qu’a-t-elle à perdre, alors que le futur que les Israéliens et la communauté internationale lui trace ne lui appartient pas? Le chemin de la révolte, meme difficile, sera au moins le sien.
Alors que j’écris ces lignes j’entends beaucoup de sirènes et les bruits sourds des grenades lacrymogènes lancés par les soldats. Probablement plus de jeunes palestiniens sont blessés dans les affrontements devant le Mur qui longe le camp de réfugiés de Aida[1].
[1] Ce témoignage a été publié sur le blog d’Anne Paq le 13 octobre. Voir http://chroniquespalestine.blogspot.fr/