La révolte actuelle menacera-t-elle l’Autorité palestinienne à sa perte ?  

Bulletin N°66

La révolte actuelle mènera-t-elle l’Autorité palestinienne à sa perte ?

Analyse de Lina Kennouche, journaliste à L’Orient le Jour[1]

Les affrontements sanglants n’ont cessé de s’intensifier à Jérusalem-Est au cours de ces dernières semaines entre Palestiniens, colons et forces de sécurité israéliennes. Le durcissement de la répression a conduit à la radicalisation d’une confrontation, qui s’enracine dans une lutte historique.

Les heurts entre Palestiniens et forces de sécurité israéliennes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie se sont accentués en début de semaine après l’assassinat dimanche d’un Palestinien de 18 ans, Houzeifa Souleimane, criblé de balles à Tulkarem. Le regain explosif de violences depuis jeudi dernier, après que quatre Israéliens eurent été tués dans des attentats en Cisjordanie et dans la vieille ville de Jérusalem, a entraîné un durcissement de la politique du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu qui a donné toute latitude aux forces de sécurité israéliennes pour réprimer la révolte. Elles ont ainsi pu procéder hier à la démolition de deux maisons de Palestiniens, une mesure punitive contre les auteurs présumés des attaques.

Les affrontements opposant Palestiniens et policiers israéliens ont repris à la mi-septembre, au moment des fêtes de la nouvelle année juive, quand touristes et juifs israéliens se sont rendus par milliers sur le site de l’esplanade. La multiplication des provocations faisait craindre aux Palestiniens une remise en cause du statu quo. Le durcissement de la confrontation a été précédé par trois semaines de restriction arbitraire (levée hier soir) de la part des autorités israéliennes pour l’accès à l’esplanade des Mosquées pour les femmes palestiniennes et les hommes de moins de 50 ans, afin de « sécuriser » l’entrée des colons et autres groupes israéliens.

Si ces récents incidents ont ravivé les tensions, l’explication des violences chroniques qui secouent Jérusalem est à rechercher dans le contexte sociopolitique historique et une stratégie systématique de colonisation et de répression menée depuis 1967 de manière plus ou moins discrète ou ostentatoire.

Dès l’annexion illégale de la ville, les autorités israéliennes ont mis en œuvre un ensemble de politiques visant à transformer l’espace géographique, accélérer le processus de judaïsation de Jérusalem et gommer l’identité palestinienne pour contrer le péril démographique. Barah Mikail, spécialiste du Moyen-Orient et chercheur à la Fondation pour les relations internationales et le dialogue extérieur à Madrid, explique que les causes du déchaînement de violence actuel sont d’abord structurelles. Il réinscrit la mobilisation populaire dans le cadre plus large de la lutte historique du peuple palestinien depuis plusieurs décennies contre l’occupation qui s’est maintenue et renforcée. Cependant, il précise que le contexte s’est aggravé avec la marginalisation économique progressive, la dégradation sensible des conditions d’existence des Palestiniens de Cisjordanie et l’absence de perspective de dépassement de la situation existante.

 

L’exacerbation des tensions a également, selon le chercheur, des causes conjoncturelles qu’il résume par « la violence, les provocations répétées, le blocus sur l’esplanade des Mosquées et les différentes attaques des colons sans oublier la sécuritisation (désignation d’un objet comme étant une menace, par une autorité légitime et acceptée comme telle par une audience significative, NDLR) en cours par le gouvernement de Netanyahu qui prend des tournures dramatiques avec le durcissement des dispositions sécuritaires et antiterroristes ». En juillet dernier, la Knesset (Parlement israélien) a en effet adopté le projet de loi gouvernemental visant à appliquer des mesures d’une excessive sévérité contre les lanceurs de pierres qui encourent une peine de 10 à 20 ans de prison. Mais un pas décisif dans la répression a été franchi jeudi dernier avec la décision du cabinet de sécurité israélien d’autoriser les tirs à balles réelles contre les lanceurs de pierres. La brutalité des pratiques a donc conduit à une radicalisation de la protestation qui en outre, comme le rappelle Barah Mikail, s’exerce dans un contexte de déstructuration totale de la scène politique palestinienne et d’absence de leadership.

Oslo, l’écran de fumée

De fait, l’Autorité palestinienne (AP) ne semble aujourd’hui que l’ombre d’elle-même, trop longtemps confinée, aux yeux de nombreux Palestiniens, dans son rôle de sous-traitant du dispositif d’occupation dans l’esprit des accords d’Oslo de 1993 dont cet appareil d’État est issu. L’AP a longtemps empêché la généralisation de la contestation à l’ensemble de la Cisjordanie, agissant comme une force tampon par la mise en œuvre de politiques de maillage social, de coopération sécuritaire avec Israël et de répression des actes des groupes de résistance. Si le président Mahmoud Abbas a annoncé la semaine dernière devant l’Assemblée générale des Nations unies « qu’il ne se sentait plus lié par les accords signés avec Israël », cette déclaration semble tardive pour une Autorité discréditée et accusée par des Palestiniens d’être le supplétif de l’occupant. Durant les discussions d’Oslo, l’OLP avait accepté de renvoyer la question de Jérusalem à des négociations ultérieures sur le statut final du territoire palestinien occupé. Depuis, l’attachement de l’AP à Oslo, qui a fait de Ramallah la capitale de fait des territoires palestiniens, et son désinvestissement progressif de Jérusalem ont renforcé le sentiment d’abandon des Palestiniens de Jérusalem. Traversée par des tensions internes, la question de la survie de l’AP ressurgit dans ce contexte de crise ouverte.

Inévitable délitement ?

Barah Mikail revient sur l’évocation croissante d’une scission interne ou du départ de Mahmoud Abbas qui se verrait obligé de quitter le pouvoir. Selon lui, « la seule bouée de sauvetage dont dispose encore Mahmoud Abbas est le soutien de la communauté internationale, et notamment de la France ; ce facteur a notamment permis l’admission de la Palestine à l’Unesco et une évolution favorable dans la reconnaissance d’un possible statut juridique de la Palestine comme État ». Cependant, le risque d’une mise à l’écart n’est pas à exclure, dans la mesure où, comme l’explique le chercheur, ces avancées sont contrebalancées par la mort du processus de paix et la politique du fait accompli par la poursuite de la colonisation intensive, rendant impossible la création d’un État palestinien.

 

Encart : Nathalie Barbier, qui travaille pour une ONG à Ramallah, témoigne

Je ne peux pas dire si nous allons vers une troisième Intifada ou si nous la vivons déjà. Ce qui est sûr, c’est que nous avons affaire à des révoltes de jeunes contre l’occupation et son lot d’humiliations. Une jeunesse qui n’accepte plus une vie au rabais et un horizon bouché. La jeunesse palestinienne exprime également et indirectement sa frustration à l’égard de l’Autorité palestinienne. Un récent sondage indiquait que 70 % des Palestiniens étaient en faveur d’une “agression armée”. Une partie importante discréditait également la classe politique.

Nous n’avons pas affaire à des heurts sporadiques mais à des affrontements réguliers qui se répandent un peu partout. Des affrontements en Cisjordanie contre les forces israéliennes qui ont fait, à ce jour, trente morts et des centaines de blessés chez les Palestiniens (en incluant les événements dramatiques de ce week-end à Gaza). Les attentats qui ont eu lieu en Israël  ont entraîné la mort de sept personnes. On observe des jeunes qui n’ont pas peur de sacrifier leurs vies et de s’en prendre aux symboles de l’occupation.

Pourquoi cette explosion maintenant ?

Les affrontements actuels trouvent leur source dans les provocations des Juifs religieux qui viennent prier sur l’esplanade des Mosquées, remettant ainsi en cause le statu quo de 1967. L’armée y accompagne les Juifs religieux, ce qui renforce la provocation.

Cet été, l’attaque contre le village de Douma qui a causé la mort d’un bébé et de ses parents a profondément traumatisé les Palestiniens. De plus, leur dépossession des terres s’est accélérée avec une augmentation des démolitions à un niveau inégalé depuis cinq ans et des déplacements forcés de population. Enfin, les colonies se sont considérablement étendues en 2014.

La dégradation de la situation signe aussi l’échec de la communauté internationale à trouver une solution politique juste et viable. Je pense que les Palestiniens paient le prix de cette absence de réaction et la jeunesse ne l’accepte plus[2].

[1] Article publié le 7 octobre dans L’Orient le Jour.

[2] Message reçu le 13 octobre.

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