Le nouvel ordre d’expulsion de Cisjordanie : questions et réponses

Le 13 avril 2010 l’ordre n° 1650 («l’ordre» ou «le nouvel ordre») est entré en vigueur en Cisjordanie en tant qu’amendement à un ordre existant sur la « prévention de l’infiltration». Un autre ordre, le n° 1649, un amendement à un ordre existant sur les « dispositions de sécurité », avait également été publié, traitant des questions de procédure découlant du nouvel ordre. Le nouvel ordre est rédigé de manière très vague, de sorte qu’il n’est pas tout à fait clair à qui il s’applique et ce qu’il signifie. Le document suivant a été préparé pour répondre aux questions sur la signification de l’ordre, autant qu’il peut se comprendre à partir de son texte, des procédures qui ont précédé sa modification et de diverses déclarations de responsables israéliens.

1) Qu’est-ce qui est nouveau dans l’ordre modifié ?

Le nouvel ordre, qui s’applique à toutes les parties de la Cisjordanie (à l’exception de Jérusalem-Est), modifie la définition de « infiltré », la peine pour l’infiltration et la façon dont une personne peut prouver qu’elle n’est pas un élément infiltré.

a) La définition d’« infiltré »

Dans l’ordre précédent : toute personne entrant en Cisjordanie sans permis après avoir été dans l’un des pays suivants : Jordanie, Syrie, Egypte, Liban. En d’autres termes, l’ordre ancien s’appliquait principalement aux réfugiés palestiniens et autres qui venaient de pays qui, lorsque l’ordonnance a été modifiée en 1969, étaient « pays ennemi ».

Dans le nouvel ordre : toute personne entrant dans la Cisjordanie « illégalement » de n’importe où et n’importe qui étant entré régulièrement mais qui « ne détient pas légalement un permis ». Le nouvel ordre définit en fait tout le monde comme un élément infiltré à moins qu’il ou elle puisse prouver que son entrée en Cisjordanie et sa présence est légale.

b) La peine pour « infiltration » :

Dans l’ordre précédent : Jusqu’à 15 ans de prison et/ou une amende.

Dans le nouvel ordre : La peine pour être entré illégalement est fixée à un maximum de 7 ans de prison, et pour être entré légalement, mais résider illégalement va jusqu’à 3 ans de prison.

c) Prouver la « présence régulière » :

Dans l’ordre précédent : Présentation d’un document d’identification du porteur comme étant résident de Cisjordanie. Un résident de Cisjordanie a été défini comme toute personne dont le lieu permanent de résidence est en Cisjordanie. En d’autres termes, selon l’ordre ancien une personne peut prouver la légalité de sa présence avec un document prouvant sa résidence en Cisjordanie, la résidence étant déterminée uniquement par le lieu de résidence effective, à savoir le site du domicile.

Dans le nouvel ordre : un document ou un permis délivré par le commandant militaire ou les autorités d’Israël autorisant la présence en Cisjordanie. Par conséquent, dans le nouvel ordre, la régularité du séjour ne peut être prouvée que par un document ou un permis délivré par l’Etat d’Israël. La définition de « résident de Cisjordanie » comme une personne dont le lieu permanent de résidence est en Cisjordanie a été supprimée du nouvel ordre. Israël, qui contrôle le registre de la population palestinienne, détermine donc qui est « résident » de Cisjordanie au lieu que cette détermination découle du lieu du domicile ou du centre de vie.

2) A qui s’applique l’ordre ?

Il est difficile de déterminer à qui s’applique l’ordonnance parce qu’il est écrit dans une langue plutôt floue. Le nouvel ordre crée une présomption selon laquelle toute personne est un « élément infiltré » à moins qu’il ou elle puisse prouver que son entrée et sa présence en Cisjordanie ont été approuvées par le commandant militaire ou les autorités israéliennes compétentes. L’ordre pourrait apparemment s’appliquer à tout le monde : porteurs de cartes d’identité palestiniennes, résidents de Jérusalem-Est, citoyens israéliens et étrangers. Toutefois, à en juger par la politique militaire actuelle vis-à-vis des résidents de Cisjordanie, on peut supposer que l’ordre est destiné à s’appliquer aux trois groupes principaux :

a) les résidents palestiniens qui détiennent des cartes d’identité palestiniennes dans lesquelles leur adresse est répertoriée comme étant dans la bande de Gaza (puisqu’Israël refuse d’enregistrer les changements d’adresse des personnes qui se déplacent entre Gaza et la Cisjordanie) ;

b) Les personnes « sans statut », principalement les conjoints de résidents de Cisjordanie qui détiennent des cartes d’identité palestiniennes, qui sont entrés avec des permis de visiteur qu’Israël refuse de prolonger ;

c) Les ressortissants étrangers, y compris les hommes d’affaires, les employés des organisations internationales et autres qui ont reçu des visas pour Israël (permettant ainsi la présence en Cisjordanie) ou des visas spéciaux pour la Cisjordanie, mais dont le visa expiré et qu’Israël refuse de renouveler.

3) Comment le nouvel ordre va changer la politique en vigueur jusqu’à maintenant ?

Parce que l’ordre est rédigé en termes vagues, il est difficile de savoir exactement quelles sont les intentions qui guideront son application. Toutefois, le nouvel ordre indique deux principaux changements inquiétants : tout d’abord, pour les dizaines de milliers de Palestiniens qui vivent en Cisjordanie et dont Israël refuse de reconnaître la résidence, le décret impose un maximum de 7 ans de prison pour une personne présente dans sa propre maison. En second lieu, l’ordonnance indique une tentative de « légiférer » ou de codifier dans la législation militaire de Cisjordanie la politique de déportation et la séparation entre Gaza et la Cisjordanie. Même s’il y avait des expulsions avant que l’ordonnance ne soit entrée en vigueur, l’émission de l’ordre indique son intention de « faire respecter » la politique d’expulsion de groupes qu’Israël avait promis dans le passé de ne pas expulser. Par exemple, dans le cadre d’une requête d’HaMoked – Centre pour la Défense de l’Individu (HCJ 6685/09 Kahouji vs commandant militaire de la Cisjordanie), l’État a déclaré que même s’il estime qu’un habitant palestinien dont l’adresse est inscrite à Gaza, mais qui réside en Cisjordanie le fait illégalement, il n’avait pas alors l’intention d’expulser cette personne si elle se trouvait en Cisjordanie avant le déclenchement de la deuxième Intifada en Septembre 2000, sauf en cas de réclamations de la sécurité à son encontre. Le nouvel ordre semble notifier à chaque soldat dans chaque poste de contrôle de détenir et d’expulser toute personne qui ne peut pas prouver qu’elle est légalement présente en Cisjordanie, contrairement à la déclaration faite dans le cas Kahouji. Le fait même que le nouvel ordre a été émis entraîne de graves restrictions à la circulation des résidents palestiniens qui, par crainte d’arrestation, renoncent à voir leur famille, à recevoir un traitement médical ou à se rendre dans les institutions économiques et éducatives dans des villes voisines ou à l’étranger.

4) Est-ce une carte d’identité palestinienne dans laquelle l’adresse se trouve en Cisjordanie constitue un permis valide pour « rester » en Cisjordanie ? Est-ce que le lieu de délivrance de la carte d’identité est pertinent ?

Même si le nouvel ordre ne le précise pas explicitement, il implique que toute personne en possession une carte d’identité palestinienne dont l’adresse, figurant sur la carte d’identité et d’après le registre de la population palestinienne sous contrôle israélien, est en Cisjordanie, sera considéré comme « légal ». Le lieu où la carte a été émise n’est pas pertinent, seulement l’adresse figurant sur la carte.

5) Est-ce le lieu de naissance est pertinent pour le nouvel ordre?

Non, si une personne est née dans la bande de Gaza mais a changé son adresse pour la Cisjordanie et que le changement a été enregistré par les autorités israéliennes dans le registre de la population palestinienne, la définition d’« infiltré» ne semble pas s’appliquer à cette personne.

6) Quel type de régime de permis l’ordre met en place en Cisjordanie ?

Le nouvel ordre exige que chaque personne présente dans la seule Cisjordanie posséde un permis indiquant explicitement que sa présence en Cisjordanie est légale. Cela comprend un permis de « séjour », une sorte de permis qui n’existait pas avant 2007 et qu’Israël a mis en place pour distinguer entre les personnes dont il considère la présence en Cisjordanie légale (sans indiquer un changement d’adresse) et celles qu’il ne considère pas comme étant légalement présentes. Jusque-là, les autorités israéliennes et le commandant militaire n’ont demandé, ni émis de « permis de séjour » pour les habitants palestiniens dont les adresses, dans le registre de la population palestinienne contrôlé par Israël, sont répertoriées comme étant dans la bande de Gaza. Par conséquent, un résident palestinien dont l’adresse est enregistrée dans la bande de Gaza mais qui a déménagé en Cisjordanie avant 2007 a invoqué le fait qu’aucun permis n’était nécessaire et que cette autorisation n’existait pas. Gisha estime que le porteur d’une carte d’identité palestinienne n’a pas besoin de permis pour être présent en Cisjordanie, indépendamment du lieu inscrit comme étant son adresse. En outre, depuis 2000, Israël a refusé d’enregistrer les changements d’adresse de Gaza vers la Cisjordanie, à l’exception de cas très limités et a gelé le processus de délivrance des cartes d’identité pour les conjoints de résidents de Cisjordanie qui sont entrés avec des permis de visite ayant expiré. Une vague de cartes d’identité a été délivré pour les conjoints de résidents de la Cisjordanie dans un geste ponctuel ces dernières années, une exception au gel. Selon le nouvel ordre, il faut donc que des milliers de personnes résidant en Cisjordanie aient une sorte de permis qu’il est presque impossible de recevoir en raison du manque de volonté propre d’Israël de l’émettre ; si elles n’ont pas le bon permis, ils doivent affronter l’éventualité d’un emprisonnement et de la déportation.

7) les dispositions de l’ordre au regard des exigences du droit international ?

Les dispositions de l’ordre violent le droit international et les dispositions qu’Israël a signées avec les Accords d’Oslo. La Quatrième Convention de Genève interdit complètement l’expulsion forcée de leurs foyers de résidents protégés. La violation de cette interdiction est considérée comme une violation particulièrement grave de la Convention. De même, la Convention internationale sur civils et les droits politiques protège le droit de toute personne à circuler librement dans son territoire et à choisir son lieu de résidence. Les Accords d’Oslo protègent le droit des Palestiniens disposant d’une cartes d’identité palestinienne à vivre soit en Cisjordanie ou à Gaza selon leur choix.

8 ) l’ordre n’améliore-t-il pas réellement la situation, en fournissant une procédure régulière aux personnes susceptibles d’expulsion ?

Non. L’ordre renforce et perpétue la politique de déportation et d’expulsion, tout en exposant des dizaines de milliers de personnes qui habitent et vivent en Cisjordanie à l’arrestation et à la déportation. Même les protections procédurales qu’il est censé mettre en place sont extrêmement problématiques. L’ordre permet à l’armée de détenir une personne pendant un maximum de huit jours avant même qu’il soit amené devant un comité militaire pour contester la menace d’expulsion, si la personne ne peut prouver, au moment de l’arrestation, que sa présence dans le Cisjordanie est légale. Un enfant de moins de 18 ans peut être détenu pendant quatre jours avant d’être amené devant le comité militaire. Au contraire de la loi en Israël, l’ordre n’établit pas de procédure de révision judiciaire des ordres d’expulsion, mais plutôt un examen devant une commission militaire composée d’officiers de l’armée israélienne. Après que le comité militaire a approuvé l’expulsion, il n’existe aucune disposition dans l’ordre demandant un sursis d’exécution jusqu’à ce que l’affaire puisse être portée devant la Cour suprême. L’expérience passée montre que l’armée ne respecte pas de bonne grâce le droit des résidents palestiniens d’accéder à la cour. Un exemple de ce qui constitue la conduite de l’Etat dans le cadre de l’affaire HCJ 8731/09 Azzam contre le commandant de la Cisjordanie (non publié, le 9 décembre 2009), une pétition déposée après que les représentants de l’armée ont violé une promesse faite aux avocats de Gisha de ne pas expulser une étudiante de l’Université de Bethléem vers la bande de Gaza avant qu’elle ne puisse saisir la Cour suprême. Une personne qui n’est pas expulsée, mais plutôt accusée du « crime » d’infiltration va se  retrouver inculpée par un tribunal militaire, qui manque des garanties procédurales de base et dans lequel les juges sont des officiers militaires. Bien que l’ordre prévoie qu’une personne ne peut être expulsé dans les 72 heures après que l’ordre d’expulsion soit pris – ce qui semble une amélioration par rapport à la situation antérieure – l’ordre permet également l’expulsion immédiate dans les cas où la personne est entrée en Cisjordanie « récemment » et qu’un soldat ou agent de la police des frontières a « des motifs raisonnables de croire que la personne a infiltré le secteur ».

9) Israël n’a-t-il pas le droit d’expulser toute personne qui est en illégalement Cisjordanie ?

Israël, en tant que puissance occupante en Cisjordanie, a le pouvoir de prendre des mesures pour maintenir la sécurité de la région, tandis que dans le même temps il doit y faciliter une vie normale et sauvegarder de plus aussi bien les résidants vivant sous occupation en Cisjordanie que leurs droits. La grande majorité des dizaines de milliers de Palestiniens confrontés à la menace d’expulsion est entrée légalement en Cisjordanie, soit avec un permis de visiteur fourni par Israël soit avec d’un permis d’entrée en Israël donné aux habitants palestiniens qui ont demandé à voyager entre la bande de Gaza et la Cisjordanie au cours des ans ou par l’intermédiaire du « passage sécurisé », qui a permis de voyager entre Gaza et la Cisjordanie de 1999 à 2000. Ce sont des gens qui ont construit leur maison en Cisjordanie, ont fondé des familles, sont inscrits pour des études, ont fondé des entreprises, ont avancé dans leur carrière et quoi qu’il en soit se sont enracinés là. Ceci en s’appuyant sur les permis qui leur ont été donnés par Israël et sur la base d’une garantie dans les Accords d’Oslo de permettre aux Palestiniens de choisir leur lieu de résidence en Cisjordanie ou à Gaza. Le nouvel ordre ouvre la voie pour Israël de supprimer les permis et de les déporter, non pas pour des raisons de sécurité, mais plutôt dans le cadre d’une politique visant à empêcher les Palestiniens dont les adresses sont enregistrées dans la bande de Gaza à résider en Cisjordanie et à empêcher les Palestiniens qui ne sont pas dans le registre [militaire ndt] de la population palestinienne de résider en Cisjordanie. Par conséquent, l’ordre dépasse les attributions du commandant militaire, qui n’est pas autorisé à utiliser son pouvoir pour faire avancer des objectifs politiques au détriment des droits des résidants protégés.

10) Si une personne est arrêtée en Cisjordanie, que peut-elle faire pour éviter l’expulsion ?

Conformément à l’ordre, un ordre d’expulsion ne peut être délivré après qu’une personne ait eu la possibilité de présenter ses réclamations à un officier militaire ou à un agent de la police des frontières et qu’ensuite les demandes soient portées devant un commandant militaire. En règle générale, chaque détenu, après avoir été arrêté et même avant la délivrance d’un ordre de détention ou d’expulsion, a le droit, d’en informer immédiatement sa famille et d’engager un avocat s’il le désire. L’armée et la police militaire sont tenus de formuler ces droits, et même de permettre au détenu de donner un avis sur la détention. L’expulsion ne peut être effectuée pendant 72 heures après la production de l’ordre d’expulsion par écrit. Le futur déporté doit être traduit devant un comité pour l’examen de l’ordre d’expulsion dans les huit jours (pour les mineurs : dans les quatre jours) à partir de la date d’émission de l’ordre d’expulsion.

source : Gisha

traduction : Julien Masri

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