Les conséquences de l’avis de la Cour International relatif à l’occupation du territoire palestinien

La Cour internationale de justice (CIJ) a rendu un avis historique le 19 juillet 2024, condamnant l’occupation israélienne du Territoire palestinien et déclarant cette occupation illégale. Cet avis affirme
qu’Israël viole le droit à l’autodétermination du peuple palestinien et se rend responsable de graves violations du droit international, notamment à travers la colonisation, le déplacement forcé de populations et des mesures discriminatoires assimilées à de la ségrégation et de l’apartheid.
Bien que non contraignant, cet avis pourrait avoir des conséquences juridiques et politiques importantes, notamment en confortant les enquêtes de la Cour pénale internationale et en encourageant les États à cesser toute relation économique avec les colonies israéliennes.

par François Dubuisson*

Le 19 juillet dernier, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu un avis crucial sur les
conséquences des politiques et pratiques israéliennes dans le Territoire palestinien occupé,
y compris Jérusalem-Est. Cet avis, sollicité par l’Assemblée générale des Nations Unies, conclut
à l’illégalité de l’occupation israélienne en tant que telle1. Selon la CIJ, cette occupation équivaut
à une annexion de fait de vastes portions de la Cisjordanie et constitue une violation du droit
à l’autodétermination du peuple palestinien. La Cour souligne que plusieurs pratiques israéliennes
enfreignent le droit international, notamment la colonisation, le déplacement forcé de la
population palestinienne, les restrictions à la libre circulation, la destruction de maisons, la confis-
cation de terres et l’exploitation des ressources naturelles palestiniennes.
Israël est également reconnu responsable d’avoir instauré un système de lois et de mesures
discriminatoires envers les Palestiniens, violant ainsi l’interdiction de la ségrégation raciale et de
l’apartheid. En conséquence, la CIJ exige qu’Israël mette fin à son occupation «dans les
plus brefs délais» et qu’il démantèle les colonies, tout en réparant les préjudices causés à la
population palestinienne. Bien que l’avis ne soit pas contraignant en lui-même, il constitue
désormais une autorité juridique difficile à ignorer.

Malgré cela, il est incertain que cet avis produise des effets immédiats sur le terrain. L’avis de
la CIJ sur la légalité du mur construit par Israël, rendu en 2004, a eu peu d’effets concrets en
raison de l’absence de volonté politique des États à prendre des mesures contraignantes
contre Israël. La mise en œuvre des exigences de l’avis de 2024 dépendra donc de la mobilisa-
tion politique, en particulier des gouvernements occidentaux. Néanmoins, au-delà du caractère hasardeux d’une modification radicale du comportement des États alliés d’Israël, une série de constats, de raisonnements et de conclusions juridiques opérés par la Cour tout au long des 83 pages de son avis sont susceptibles d’avoir des conséquences concrètes et assez immédiates.

L’EXIGENCE DE LA FIN DE L’OCCUPATION «DANS LES PLUS BREFS DÉLAIS»

Tout d’abord, l’avis deviendra un point de référence incontournable pour la société civile et les États
dans leurs discussions sur les aspects juridiques de la question israélo-palestinienne. Bien que l’avis
n’ait pas le statut d’un arrêt, il émane de la plus haute juridiction internationale et revêt une autorité
certaine. De plus, l’avis renforce l’idée selon laquelle Israël doit mettre fin à son occupation sans condition, et non pas après des négociations, lesquelles sont aujourd’hui inexistantes. Ainsi, la fin
de l’occupation ne peut plus être subordonnée à une quelconque approbation d’Israël. La CIJ rejette également toute revendication de souveraineté d’Israël sur les territoires palestiniens occupés, définis par les lignes d’armistice de 1967. Elle rappelle que Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est constituent une «unité territoriale» sur laquelle s’applique exclusivement le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. De plus, elle écarte les justifications israéliennes basées sur des liens historiques ou sur une interprétation contestée de la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations Unies. En outre, la CIJ précise que les accords d’Oslo ne peuvent en aucun cas justifier la poursuite de l’occupation. L’avis de la Cour pourrait également inciter les États réticents à reconnaître officiellement l’État de Palestine, sans conditionner leur reconnaissance à l’issue de négociations avec Israël. La Cour ayant clairement défini les frontières du futur État palestinien, il n’y a plus de doute qui puisse légitimement en freiner la reconnaissance.

L’avis deviendra un point de référence incontournable pour la société civile et les Etats dans leurs discussions sur les aspects juridiques de la question israélo-palestinienne.

UN ÉLARGISSEMENT DE L’ENQUÊTE OUVERTE PAR LE PROCUREUR DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE ?
Un autre aspect important concerne l’enquête en cours, ouverte en mars 2021, menée par la Cour
pénale internationale (CPI) sur la situation en Palestine. Cette enquête porte sur les crimes de
guerre commis durant la guerre de Gaza en 2014, la répression de la «Grande marche du
retour» en 2018 ainsi que sur la politique de colonisation israélienne. À la suite de l’attaque du
Hamas du 7 octobre 2023 et la réponse militaire d’Israël, le Procureur de la CPI a étendu son
enquête à ces événements récents. Trois 2 hauts responsables du Hamas ainsi que le Premier
ministre israélien et son ministre de la Défense sont visés par des mandats d’arrêt (lire encadré
page 31). L’avis de la CIJ, en constatant de graves violations du droit international, telles que le
transfert forcé de la population palestinienne, la destruction de maisons, la politique de
ségrégation et d’apartheid, renforce la base juridique qui permet que la CPI puisse élargir ses
investigations et engager la responsabilité pénale de dirigeants israéliens, civils et militaires.
Il est possible que le Procureur de la CPI envisage désormais des poursuites pour des crimes contre l’humanité, y compris des accusations de crimes d’apartheid et de persécution.

L’INTERDICTION DES RELATIONS ÉCONOMIQUES AVEC LES COLONIES

En outre, l’avis devrait également conduire à une intensification des campagnes prônant l’interdic-
tion des relations économiques avec les colonies israéliennes. La CIJ a souligné que les États ne
doivent pas reconnaître les effets de l’occupation illégale ni soutenir, directement ou indirectement,
le maintien des colonies. Cela inclut l’arrêt du commerce avec les colonies et la cessation des
investissements dans ces zones. Actuellement, l’Union européenne se contente d’exiger un
étiquetage des produits issus des colonies, mais ne les interdit pas. Cependant, des campagnes
internationales, telles que «Made in Illegality» et des propositions de lois nationales (en Irlande,
en Belgique et au Portugal) poussent dans cette direction. En avril dernier, le Conseil des droits
de l’Homme des Nations Unies, composé de 47 États membres de l’ONU, a adopté une résolution
demandant aux États «de prendre des mesures pour cesser d’importer des produits, quels qu’ils
soient, provenant des colonies de peuplement implantées dans le Territoire palestinien occupé»
et aux entreprises «de mettre fin à leurs activités dans les colonies israéliennes ou en lien
avec celles-ci. » L’avis de la CIJ apporte une contribution essentielle à l’adoption de mesures
restrictives relatives aux relations économiques avec les colonies israéliennes illégales.
La mise en œuvre de l’avis de la Cour ne se fera pas de manière automatique mais exigera un en-
gagement à la fois des États et de la société civile; celle-ci pourra appuyer ses campagnes et ses

demandes sur le fondement solide que lui apportent désormais les constats judiciaires effectués par la Cour internationale de justice. L’exercice de pressions suffisantes sur Israël sera très certainement un processus long et progressif, mais des effets concrets ciblés pourront être obtenus,
dans l’attente d’une résolution globale de la question israélo-palestinienne, à laquelle l’avis du
19 juillet 2024 apporte une contribution majeure.

*Professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles

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