Blackout à Gaza : à qui la faute ?

Bulletin 52, juin 2012

 

Gaza without electrivity © Asmaa Waguih/IRIN
Gaza without electrivity © Asmaa Waguih/IRIN

Les pénuries de carburant ont des conséquences énormes sur la vie des habitants de la bande de Gaza. Suite à une mission de Solidarité Socialiste sur place, un membre de l’ONG  belge dévoile la façon dont la population gazaouïe est prise en otage entre le blocus imposé par Israël, les taxes mirobolantes imposées par le Hamas, l’Egypte qui cesse de délivrer du carburant et l’unité palestinienne annoncée qui tarde à venir.

De février à début avril, la bande de Gaza a connu des coupures générales d’électricité à un niveau jamais vu auparavant. L’Egypte a décidé de fermer les vannes et il n’y a plus de carburant. Les générateurs de l’unique centrale électrique de Gaza sont éteints pour une durée indéterminée et l’étroite bande de territoire est forcée de retourner à l’âge de pierre : 18h d’obscurité par jour pour plus de la moitié des Gazaouïs. Les pompes à eau sont à l’arrêt et les robinets sont à sec. Le secteur agricole n’est pas en reste et des milliers de tonnes de pommes de terre sont jetées dans un territoire où, rappelons-le, 80% de la population dépend de l’aide alimentaire internationale. Les cas de décès se multiplient : des incendies se déclarent à cause des générateurs qui surchauffent ; les hôpitaux fonctionnent à 20% de leur capacité et des dizaines d’ambulances sont hors service. Les rares usines sont obligées de fermer, de même que les boulangeries et les gens font la file aux stations d’essence, dans le meilleur des cas pendant près de 4h, pour obtenir quelques litres de carburant à un prix prohibitif.

Alors, on tente de s’organiser : certains essayent l’huile alimentaire pour faire tourner le moteur de leur voiture, d’autres font du « covoiturage » avec leurs ânes et les plus chanceux utilisent des batteries pour disposer de quelques lampes dans leurs foyers. Le Hamas lui- même ordonne à ses fonctionnaires véhiculés de prendre des autostoppeurs au bord des routes. Mais les gens sont à bout. L’exaspération peut difficilement être contenue. D’ailleurs, les visages traduisent cette tension, perceptible à chaque coin de rue. Et cette question qui me brûle les lèvres : à qui la faute ?

Responsabilités partagées

Bien sûr, il y a d’abord ce blocus inhumain qui étrangle les vies des 1,7 million d’habitants depuis la prise de contrôle du Hamas en 2007. Alors qu’Israël avait annoncé un « assouplissement » de son siège après l’assaut contre la première flottille en mai 2010, rien n’a changé sur le terrain. Ils ne sont toujours que quelques-uns à pouvoir entrer et sortir du territoire et Gaza est officiellement devenue la plus grande prison à ciel ouvert au monde. Les importations sont plafonnées à un niveau plus de trois fois inférieur à celui de 2005 et des milliers de produits de base figurent toujours sur la liste noire. Parmi ceux-ci, on trouve le ciment, certains produits alimentaires, mais aussi tous les types de carburants. Cette situation a favorisé le développement d’une économie clandestine à travers une forêt de tunnels dits « de contrebande » entre l’Egypte et Rafah, au sud du territoire. Mais il s’agit bien là de tunnels de survie, sans lesquels la crise humanitaire actuelle à Gaza serait bien plus aiguë. Quand ce n’est pas l’Egypte qui les dynamite ou Israël qui les bombarde, on y fait passer tout ce qui est possible et imaginable : des ordinateurs, des voitures même et bien sûr, du carburant.

Seulement voilà, l’Egypte subventionne officieusement ce carburant pour le rendre plus accessible aux Palestiniens et ces derniers mois, le Hamas taxe de plus en plus lourdement tous les produits provenant des tunnels. Il vise essentiellement à assurer, seul, le fonctionnement de son administration, tout en accordant une bonne part du gâteau à ses dirigeants… On parle d’un niveau d’imposition, parfois supérieur à 100% ! Alors que l’Egypte fait elle-même face à de fréquentes pénuries, elle n’accepte plus de voir les responsables du mouvement palestinien s’enrichir grâce à la vente de son carburant. Certains disent aussi qu’elle veut pousser les autorités du Hamas à s’engager une fois pour toutes dans un accord de réconciliation avec le Fatah et l’Autorité palestinienne de Ramallah.

Quoi qu’il en soit, ses livraisons sont interrompues. Officiellement, elle souhaite voir Israël assumer ses responsabilités en tant que puissance occupante et propose de livrer son carburant par le passage de Kerem Shalom, frontière la plus méridionale entre l’Etat hébreu et Gaza. Le Hamas s’y oppose. Il ne veut pas donner à Israël l’opportunité de bloquer l’approvisionnement en période de tensions et privilégie des relations commerciales directes avec l’Egypte, ce qui réduirait notamment sa dépendance vis-à-vis de la Cisjordanie, tout en renforçant l’économie de Gaza, la popularité du Hamas…et les bourses de ses cadres !

Querelles intra-palestiniennes

On est dans l’impasse. Le Hamas veut s’en tenir à sa ligne et commence à s’en prendre à l’Autorité palestinienne. Les vieux démons des divisions intra-palestiniennes refont surface : c’est l’Autorité de Ramallah, et ses soutiens étrangers, qui seraient à l’origine de cette crise. D’ailleurs, n’est-ce pas de sa faute si près de 70.000 fonctionnaires sont payés à ne rien faire depuis 5 ans ? Car, malgré la prise du pouvoir du Hamas à Gaza, l’Autorité continue de lui transférer plus de 100 millions de dollars par mois pour couvrir les salaires et les pensions de ses fonctionnaires. L’objectif est de montrer au monde qu’en dépit des divisions politiques, les Palestiniens restent unis à travers un seul et unique système administratif. Mais dans la pratique, les fonctionnaires payés par l’Autorité ont reçu la consigne de rester chez eux. Par conséquent, le Hamas a dû recruter son propre personnel, environ 30.000 fonctionnaires, pour faire tourner son administration.

Sans surprise, le gouvernement Abbas a également des griefs à l’égard du gouvernement gazaoui. Tandis que ce dernier devrait récolter des taxes de douanes au profit de l’Autorité de Ramallah, il sous-évalue très souvent ses importations – certains estiment la fuite fiscale à près de 400 millions de dollars depuis 2007 – et refuse encore de transférer 95 millions de dollars de recettes sans avoir la garantie que cet argent lui reviendra. Par ailleurs, alors qu’elle devra faire face à un déficit de plus d’un milliard de dollars en 2012, l’Autorité paye plus de 50 millions de dollars par mois à une compagnie israélienne pour des transferts de carburant vers Gaza. Le gouvernement du Hamas est censé régler la note grâce aux factures d’électricité, mais il s’est souvent montré, ces derniers temps, réticent à rembourser ses dettes.

Bref, il s’agit là d’une situation d’une complexité sans nom et malheureusement, cet imbroglio nous montre bien que l’unité palestinienne reste encore un mirage lointain. Un accord avait pourtant été signé au Caire en mai 2010 : un gouvernement de technocrates devait assumer le pouvoir pendant une phase de transition avant que des élections nationales soient organisées au mois de mai 2012. A défaut, les responsables égyptiens et palestiniens se sont mis d’accord, du moins provisoirement, sur la question des pénuries d’essence : actuellement, 500.000 litres d’essence sont livrés quotidiennement par le passage de Kerem Shalom. Le mois prochain, la centrale sera réhabilitée et sa capacité, augmentée et bientôt, inch’Allah, le réseau électrique de Gaza sera relié à celui de l’Egypte.

Rester humain à Gaza

Dès lors, que reste-il de cette affaire ? D’abord, une population au bord du gouffre. Avec le blocus du territoire, rester humain à Gaza relève d’un combat quotidien. Les habitants ont besoin de tout, sauf d’une querelle interne qui les pousse tous les jours dans leurs derniers retranchements. Car le blackout de Gaza n’est que la partie visible de l’iceberg. En fonction de leur appartenance politique, les Gazaouïs doivent aussi faire face aux discriminations à l’emploi, au favoritisme dans les distributions d’aide alimentaire, à un coût de la vie de plus en plus élevé, à un repli sécuritaire du Hamas… Mais ne croyons pas que ce phénomène n’est à imputer qu’à un parti. Tous ont contribué à cet état de fait et en tout premier lieu, Israël, qui se satisfait fort bien d’un front palestinien divisé. Alors que faire ? Changer de politique ? Certainement. Les partis traditionnels ont perdu leur crédibilité et ils ont besoin de se rénover pour retrouver une vraie légitimité. Mais pour la plupart des Palestiniens, qui voient leurs besoins élémentaires relégués au second plan dans cette lutte fratricide, seule l’unité nationale viendra à bout des crises.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Top