Saëb Erakat, chef des négociateurs palestiniens et proche du président Abbas en visite à Bruxelles, s’exprime en exclusivité au Soir. L’occasion d’évoquer l’assassinat de Dubaï, le rapport Goldstone, le blocus de Gaza, le Hamas, les négociations avec Israël…
A l’occasion du déplacement du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, ces mardi et mercredi à Bruxelles, Le Soir a pu s’entretenir en exclusivité avec l’un de ses plus proches collaborateurs, Saëb Erakat. Depuis… 1993, celui-ci occupe au sein de l’Autorité palestinienne (AP) une place de choix, celle de responsable nº 1 des négociations avec Israël. Interview.
Comment l’AP réagit-elle à l’assassinat, à Dubaï, d’un cadre du Hamas par ce que la police locale dit être un commando du Mossad, les services secrets israéliens ?
Nous condamnons avec la dernière énergie cet acte contraire au droit international. Nous avons une totale confiance dans la capacité des autorités des Emirats arabes unis d’enquêter sur cette affaire et nous espérons que toute la vérité sera mise à nu. La communauté internationale ne devrait pas tolérer ce nouveau dépassement des lignes rouges.
Les Européens n’ont-ils pas plus protesté contre l’utilisation de leurs passeports par le commando que contre l’assassinat lui-même ?
Non. D’ailleurs, le président Nicolas Sarkozy a condamné sans ambiguïté l’assassinat lundi en recevant le président Abbas.
L’Assemblée générale des Nations unies doit à nouveau débattre vendredi du rapport Goldstone. Qu’attendez-vous de cette séance sur ce texte commandité par l’ONU et qui a établi qu’Israël et des groupes palestiniens armées s’étaient rendus coupables de « crimes de guerre » pendant l’attaque israélienne sur à Gaza en 2008-2009 ?
Nous en espérons surtout une chose : que la répétition de tels crimes ne soit plus possible. Plus de sept mille Palestiniens avaient été tués ou blessés. La communauté internationale ne devrait plus faire preuve d’aucune indulgence pour de telles attaques contre des populations civiles.
Croyez-vous que les islamistes du Hamas, au pouvoir à Gaza après en avoir chassé l’AP en 2007, ont commis des crimes de guerre ?
Nous avons accepté le rapport Goldstone. Et nous avons mis sur pied un comité pour y répondre, tout en demandant au Hamas de nous y rejoindre et de collaborer car nous voulons la transparence. Mais il s’y est refusé.
Comment jugez-vous le sort réservé à Gaza ?
Bien sûr, nous condamnons le blocus appliqué par Israël à la population de Gaza, qui vit comme en prison : il s’agit d’une pratique méprisable qui montre qu’Israël, une fois de plus, agit de manière contraire au droit international comme par exemple la Feuille de route (plan international accepté par les parties NDLR). On peut d’ailleurs se demander pourquoi la communauté internationale ne tient pas Israël pour responsable de ses actes.
Bien des Palestiniens sont choqués par le fait que M. Abbas estime que l’Egypte a le droit de construire un mur souterrain à sa frontière avec Gaza pour mettre fin aux tunnels de contrebande qui sont les seuls moyens, disent-ils, de se procurer toutes sortes de biens qu’Israël prohibe avec son siège…
L’Autorité palestinienne ne laisse pas tomber les Gazaouis. Nous consacrons même 58% de notre budget à ce territoire, notamment en y versant des salaires à 77.000 fonctionnaires. Nous continuerons à faire face à nos responsabilités alors que les besoins sont immenses là-bas. Mais, s’agissant des tunnels, l’Egypte est en effet un Etat souverain qui a le droit de lutter contre la contrebande. Ce qui ne veut pas dire qu’elle ne combat pas le blocus : la vie serait bien différentes à Gaza si le Hamas acceptait, comme nous l’avons fait, de signer le document de réconciliation nationale préparé par, justement, les Egyptiens. Mais le Hamas s’y refuse car il craint les élections qui en découleraient.
Y a-t-il moyen de s’entendre avec le Hamas à vos yeux ?
Le Hamas avait clairement gagné les élections en 2006, nous lui avions transféré le pouvoir sans rechigner. Mais on l’avait prévenu : il y a une différence entre diriger un parti politique et un gouvernement, car celui-ci doit honorer les engagements pris par son prédécesseur. Même l’ayatollah Khomeyni avait fait cela : il a changé drastiquement la nature de l’Etat iranien mais il a respecté les engagements antérieurs signés par son pays. Pas le Hamas. Ce n’est pas la démocratie qui a échoué dans cette affaire, c’est le Hamas.
Les Américains comme les Européens poussent les Palestiniens à reprendre les négociations avec Israël, qui se dit prêt à les renouer depuis des mois. M. Abbas ne veut pas en entendre parler tant que la colonisation israélienne n’est pas complètement arrêtée, même à Jérusalem-Est. Pourquoi cette condition n’a-t-elle pas été soulevée avant de négocier avec le gouvernement précédent, celui de M. Olmert ?
Mais cette condition avait aussi été exigée d’Olmert ! Les Etats-Unis de M. Bush avaient alors dépêché un envoyé, le général Frazer, qui devait vérifier ce gel de la colonisation qui figure, rappelons-le, dans le premier point de la Feuille de route. Mais Israël n’a rien voulu savoir…
Il se dit que des pourparlers « indirects » vont reprendre incessamment…
Ils existent en fait depuis l’arrivée de M. Obama à la Maison-Blanche : ce dernier avait tout suite nommé un émissaire spécial, George Mitchell, qui est déjà venu… treize fois dans la région. Moi, par exemple, je me suis rendu aux Etats-Unis à onze reprises en un an. Mais, avvant d’aller plus loin et puisque nous sommes très désireux d’aboutir à un succès, notre liberté en dépendant, nous avons demandé aux Américains trois éclaircissements : 1. quels sont les termes de référence de ces négociations, 2. selon quel calendrier devraient-elles se tenir, 3. quelle sera l’attitude américaine en cas d’échec… N’oubliez pas que nous sommes les faibles : occupés, fragmentés, sans armée… Nous ne revendiquons que 22% de la Palestine originelle. Nous ne voulons plus échouer.
Le Premier ministre israélien Binyamin Netanyahou a déjà annoncé une série d’exigences qu’il veut imposer aux Palestiniens, parmi lesquelles celle qu’ils reconnaissent Israël comme un Etat juif ; qu’en pense l’AP ?
Rien de bien : nous reconnaissons Israël comme Etat. La Belgique aussi reconnaît l’Etat d’Israël, pas le fait qu’il serait ou non juif. Veulent-ils que nous devenions membres du mouvement sioniste ? Regardez ce document [Saëb Erakat nous tend une photocopie] : même le président américain Harry Truman, quand on lui demanda de signer la reconnaissance d’Israël le 14 mai 1948, a barré l’expression « Etat juif » pour écrire à la main « Etat d’Israël ».
BAUDOUIN LOOS
mercredi 24 février 2010