Deux opérations militaires, un même but : détruire la Palestine

Bulletin 61, septembre 2014

En réaction à la disparition/à l’enlèvement de 3 adolescents israéliens, Israël enclenche une vaste opération de ratissage en Cisjordanie, Brother’s keeper. Sans la moindre preuve, Netanyahou en accuse le Hamas et fait bombarder la bande de Gaza. Commence alors le 8 juillet l’opération Bordure protectrice

 

Une priorité pour Israël : sortir de l’impasse

Fin mars, alors que le médiateur américain John Kerry tente toujours d’aboutir à un accord entre Israël et l’Autorité palestinienne, Israël refuse de libérer le troisième contingent de prisonniers palestiniens et en avril, se retire des négociations. La patience de John Kerry est à bout : il impute l’échec des négociations à Israël (8 avril) et fustige la poursuite de la colonisation. Il ira même plus loin en déclarant qu’Israël pourrait devenir un Etat d’apartheid si aucune solution n’est trouvée. Bien sûr, les réactions en Israël ne se sont pas fait attendre mais le fait est là : Israël est pointé du doigt par son allié indéfectible, les USA. Par ailleurs, l’Union européenne (UE), par la voix de Mme Ashton, réitère sa condamnation de la politique de colonisation et une vingtaine de pays européens mettent en garde leurs ressortissants contre toute activité économique avec les colonies israéliennes. Du côté palestinien, l’Autorité palestinienne (AP) introduit des demandes d’adhésion à plusieurs agences de l’ONU et Hamas, Fatah, OLP s’entendent pour former ensemble un gouvernement d’union (2 juin), événement aussitôt bien accueilli par l’UE, par les USA et l’ONU et par la suite, par la Chine, l’Inde et la Turquie. Au grand dam d’Israël qui tempête et le disqualifie d’emblée. L’intense activité diplomatique déployée par Israël à ce moment-là montre à quel point la perspective de l’unité palestinienne effraye le gouvernement israélien qui a toujours tablé et joué sur la division palestinienne.

Toujours du côté palestinien, le mouvement pour la libération des prisonniers mobilise la société civile et dépasse les frontières pour atteindre une dimension internationale.

Quant au mouvement BDS, il s’intensifie : de nombreuses entreprises européennes retirent leurs investissements du pays, de crainte d’être associées à la politique israélienne d’occupation des territoires palestiniens et à la poursuite de la colonisation. Les entrepreneurs israéliens eux-mêmes commencent à se plaindre des effets du boycott. Au niveau européen, les choses bougent aussi : l’initiative de la Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères visant l’étiquetage des produits issus des colonies israéliennes fait son chemin.

En résumé, Israël est en mauvaise posture. Le meurtre des trois jeunes Israéliens va donner à Nétanyahou l’occasion rêvée d’inverser la machine.

 

Brother’s Keeper : reprendre l’initiative

Dès l’annonce de la disparition des trois jeunes Israéliens[1], le gouvernement israélien lance l’opération Brother’s Keeper, une opération de ratissage menée du 12 au 30 juin[2], par 2000 à 3000 soldats. Puis, sans preuve aucune, Nétanyahou déclare que le Hamas est responsable de l’enlèvement et qu’il en paiera le prix. Venant en renfort, le porte-parole de l’armée Peter Lerner précise que l’opération n’a pas seulement pour but de mettre fin à l’enlèvement mais aussi d’affaiblir les capacités terroristes du Hamas, son infrastructure et ses institutions. Israël n’hésite donc pas à bombarder la bande de Gaza. On apprendra par la suite que la mort des trois adolescents était connue dès le début de l’opération mais qu’elle a été tenue secrète pour en permettre l’extension. Mieux encore, un officier en poste à Jénine a affirmé dans un journal ultra-orthodoxe que l’opération avait été en partie planifiée avant l’enlèvement. Enfin, deux mois après, des responsables israéliens déclarent ouvertement que le Hamas ne l’a pas commandité…

Avec cette opération, le gouvernement israélien réussit à mobiliser toute sa population derrière lui : on va assister à de véritables pogroms contre les Palestiniens dont le cas particulièrement atroce de Mohammed Abu-Khdeir, brûlé vif. Et les colons vont se livrer partout à des représailles contre les biens et les personnes des Palestiniens. Le gouvernement israélien réussit aussi à mobiliser aussi la communauté internationale en remettant au centre du problème le Hamas, désigné comme organisation terroriste.

Le but était clairement de faire voler en éclats le gouvernement d’union nationale. Netanyahou ne s’en cache d’ailleurs pas puisqu’il en demande par ailleurs la dissolution. En accusant le Hamas d’être responsable de l’enlèvement, Netanyahou pensait sans doute éveiller un écho auprès de Ramallah. Dans un premier temps, par la bouche de son président, l’AP non seulement condamne l’enlèvement mais encore déclare que la coordination sécuritaire avec Israël est dans l’intérêt de la Palestine. Le Hamas qui nie toute implication réagit en affirmant que cette déclarationnuit à l’intérêt national et est contraire à l’accord du Caire. L’opération se poursuivant, l’AP va changer de discours : Mahmoud Abbas assurera que l’accusation contre le Hamas est sans fondement et il dénoncera les violences, les destructions et les meurtres perpétrés au cours de l’opération. Les plus ardents pourfendeurs du Hamas feront eux aussi une courbe rentrante.

Mais au final, l’AP a perdu de son crédit et un nombre croissant de Palestiniens vont jusqu’à l’accuser de trahison. Quant au Hamas, il est sans doute affaibli mais la répression qui le vise en particulier le désigne comme le héros de la lutte.

L’autre but était certainement de casser la résistance à l’occupation : les arrestations massives, de leaders mais aussi de citoyens ordinaires, visent évidemment à terroriser et à casser les reins aux organisations civiles et politiques en lutte.

 

Bordure protectrice: annihiler toute résistance

L’opération commence le 8 juillet et prétend avoir pour objectif de stopper les tirs de roquettes sur Israël[3]. Peter Lerner, porte-parole de l’armée, reprend à peu près le même discours que pour l’opération en Cisjordanie : porter un coup dur au Hamas mais cette fois pour la paix des habitants du sud d’Israël. Dans la narration officielle, reprise par la plupart des médias, si les tirs de roquettes sont mis en avant, on passe sous silence, par contre, les violations de la trêve de 2012 : en effet, du 19 janvier 2012 au 7 juillet 2014, les exécutions extrajudiciaires et les tirs mortels dans la zone frontière ou sur la mer ont tué 486 Palestiniens. Or le Hamas, pendant ce temps, lui, avait respecté la trêve. C’est à la suite de l’assassinat, le 8 juillet à Khan Younis, de sept membres de la famille Al-Kaware, que le Hamas reprend ses tirs de roquettes. A la septième semaine de l’agression israélienne, au vu du bilan des morts, majoritairement des civils (2127 actuellement) et des destructions des infrastructures de vie, y compris celles qui transportent l’eau et l’électricité, il apparaît clairement que Bordure protectrice » un massacre sinon un génocide.

En attaquant Gaza, Israël a certainement cherché à en attaquant Gaza éliminer toute résistance mais aussi à diviser les Palestiniens. Or, même si la police de l’AP réprime des manifestations de solidarité avec Gaza en Cisjordanie et emprisonne des opposants, même si Mahmoud Abbas a fait a fait une sortie contre les roquettes, il a été poussé à prendre parti et a fini par louer le combat du Hamas.

En effet, même si le désastre est incommensurable dans la bande de Gaza, tous les Palestiniens y ont retrouvé leur dignité et, dans un élan comparable à celui de la Première Intifada et le peuple a retrouvé son unité dans la résistance à Israël. Les roquettes qui atteignent Tel Aviv, Jérusalem, Haïfa et d’autres villes sont acclamées car elles portent comme message : « Nous ne sommes pas des victimes consentantes et nous continuons à lutter contre l’occupation ».

Finalement, même matériellement affaibli, le Hamas en sort moralement renforcé car c’est lui qui incarne la résistance face au Fatah qui semble incapable de combattre l’occupation. Ses exigences pour un cessez-le-feu de longue durée sont réalistes : levée du blocus, ouverture des points de passage, des port et aéroport et libération de prisonniers. Le refus d’arrêter la lutte, même au prix de plus de morts et de davantage de destructions, a démontré qu’on peut faire face à Israël. C’est ce qui explique sans doute le soutien massif à sa stratégie, sans oublier le fait que, vu les pertes humaines et les destructions immenses, la population ne pouvait accepter une reddition sans condition. Par ailleurs, pour discuter avec Israël, c’est le gouvernement d’union qui est présent et d’une certaine manière, le Hamas a poussé l’AP à endosser le combat. La question de l’entrée du Hamas et du Jihad islamique dans l’OLP va se reposer avec insistance. De la même manière, une véritable pression s’exerce maintenant sur le président pour que la Palestine adhère au statut de Rome et porte plainte à la CPI : en effet, toutes les factions ont récemment donné leur accord sur ce point.

Du côté israélien, malheureusement, la majorité a soutenu l’agression contre Gaza malgré les pertes infligées, anormalement élevées (60 soldats et 5 civils tués). D’ailleurs, depuis l’annonce d’un cessez-le-feu de longue durée, la popularité de Netanyahou est en chute libre. D’un autre côté, les manifestants anti-guerre ont été vilipendés, menacés et agressés physiquement au point que Michel Warschawski parle de fascisation de la société israélienne… Néanmoins, vu la violence des attaques israéliennes, il n’est pas sûr que l’opération ne se retourne pas en définitive – et ce, malgré l’apathie de l’UE et la complicité des USA – contre Israël.

 

 

Marianne Blume

 

[1]Tout le monde a bien entendu oublié les deux jeunes Palestiniens tués de sang froid le jour de la commémoration de la Nakba.

[2]Résultat: 6 Palestiniens tués, 2200 perquisitions, 422 arrestations (566 d’après Palestine Prisoners Society) dont 355 membres du Hamas et 56 prisonniers libérés lors du deal Shalit. La ville d’Hébron est encerclée et l’armée se déploie largement, entrant à Bethléem, Naplouse et Jénine notamment. Les universités elles-mêmes sont investies.

[3]Tirs de roquettes en réaction aux événements en Cisjordanie et tirés par des groupes non-Hamas.

 

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