La décision d’inclure le Tombeau des Patriarches et le Tombeau de Rachel, sur la liste des sites du patrimoine national semblerait, à première vue, le genre de décision dont chaque Juif doit se féliciter. Et, en effet, de nombreux Israéliens croient que les sites historiques rattachés au passé juif devraient être sous contrôle juif-israélien. Ils ont tendance à ignorer le fait que le passé mis au jour par l’archéologue comprend des dizaines de strates qui racontent les histoires de diverses nations et cultures qui vivaient dans le pays. Au lieu de cela, ils se concentrent sur une couche particulière, identifiée comme juive, et l’utilisent comme une preuve et une justification de propriété.
Ce phénomène est particulièrement évident dans le cas des sites religieux sacrés, où la croyance l’emporte sur l’archéologie. Ainsi, par exemple, presque personne n’a fait référence à la Grotte des Patriarches comme une structure datant du premier siècle avant notre ère, comme l’a démontré l’analyse archéologique. Le site est considéré comme l’un des lieux les plus sacrés des Juifs, et de même l’un des plus saints des autres religions. Le caractère sacré de la Grotte des Patriarches et du Tombeau de Rachel nous empêche de voir l’histoire dans son ensemble et sa complexité et à défaut nous nous enlisons dans les récits bibliques d’événements qui, selon la tradition, s’y sont produits. Le Tombeau des Patriarches est l’une des rares structures dans le pays qui a perduré pendant plus de 2000 ans. Le Tombeau de Rachel a été construit au 19ème siècle, au centre des traditions sacrées des chrétiens, des musulmans et des juifs. L’identification du site comme l’emplacement du tombeau de Rachel est attribuée à Hélène, la mère de l’empereur Constantin, qui est venue en Palestine après que l’empire byzantin a accepté le christianisme et « découvert » les sites où les événements racontés dans la Bible s’étaient déroulés. De savoir si oui ou non elle a identifié leur emplacement exact n’est plus pertinent aujourd’hui parce que des millions de fidèles croient qu’il s’agit de lieux saints et qu’aucune masse de travaux de chercheurs ne convaincra un croyant de renoncer à sa foi. Mais les deux principaux sites religieux dans les territoires occupés sont également ceux qui témoignent de la complexité du pays et de sa richesse culturelle.
Un site comme le Tombeau des Patriarches est restée debout pendant plus de 2000 ans seulement parce que toutes les nations, les religions, les cultures et les dirigeants qui sont venus dans le pays ont reconnu son importance et parfois sa sainteté, qui a due être préservés au nom des croyants ; non seulement pour les juifs, mais aussi pour les croyants d’autres religions, en particulier les musulmans. N’était la reconnaissance de l’importance du site par les Romains, les Byzantins, les Perses, les musulmans, les croisés, les Mamelouks et d’autres, et le désir de sa conservation, il est possible que ce site aurait été moins central pour la religion juive aujourd’hui, et peut-être même moins important.
L’Etat est quand même obligé aujourd’hui de préserver les sites byzantins et croisés en relation avec le christianisme, ainsi que les sites musulmans et ceux des religions païennes, des autres nations, pas moins que ceux liés à l’histoire juive. En outre, l’idée que les sites juifs doivent être détenus par des juifs est déplacée. Le passé juif d’Hébron fait partie de la totalité de l’histoire d’Hébron. Les habitants musulmans d’Hébron ont le droit d’assumer la responsabilité de la préservation de leur passé, de l’histoire de leurs terres, à Hébron et ailleurs. L’antique synagogue de Jéricho (Naaran), l’Eglise de la Nativité à Bethléem et les autres structures religieuses dans les territoires occupés devrait être sous la responsabilité des résidents locaux, tout comme la ville de Nazareth, qui est sacrée pour les chrétiens, est sous la responsabilité d’Israël et les structures musulmanes datant du 8ème au 14ème siècles en Espagne sont de la responsabilité du gouvernement espagnol.
Le Tombeau des Patriarches et le tombeau de Rachel sont sans aucun doute des lieux saints juifs, mais leur pouvoir transcende toute vision étroite de leur passé juif. Leur singularité est basée sur l’histoire multiculturelle de ce pays, au cours de milliers d’années. Une société qui est capable d’accepter et de respecter la culture et les croyances de l’autre rencontrera un succès sans commune mesure dans le maintien de sa position dans le pays avec une société où l’on se concentrerait uniquement sur son propre passé, en ignorant sa complexité, aveugle au fait que son propre passé est également celui des autres. Lorsque les croyants de toutes confessions pratiquent leur culte sur leurs lieux saints, ces sites sont renforcés, tout comme les fidèles eux-mêmes. Plutôt que de se concentrer sur son patrimoine national, il serait préférable pour Israël de se concentrer sur le vaste patrimoine culturel du pays et de renforcer le caractère multiculturel unique de cette terre.
Yonathan Mizrachi
L’auteur est un membre de Emek Shaveh, et l’un des fondateurs du Tour archéologique alternatif à Silwan/Cité de David – voir le site From Shiloah to Silwan – An Alternative Archaeological Tour
in Ancient Jerusalem
traduction : Julien Masri