Chronique de morts annoncés en Territoire palestinien occupé

En décembre dernier, l’armée israélienne a adopté de nouvelles lignes directrices libéralisant considérablement le recours à la force létale à l’égard des civils en Territoire palestinien occupé (TPO). Ces nouvelles règles sont illégales et témoignent de l’accélération de la violence à l’égard des civils palestiniens.

Par Zoé Dubois

Ces récents assouplissements s’inscrivent dans un contexte de libéralisation continue de l’usage de la violence par l’armée israélienne depuis la première Intifada. Avant la fin des années 80, l’usage de la force létale contre des populations civiles était limité aux cas de légitime défense et uniquement en dernier recours. L’usage d’armes à feu devait être proportionné à la menace et ne pouvait être autorisé qu’en réponse à l’usage d’armes explosives. Ces règles étaient conformes au droit international. Mais les soulèvements précédant la première Intifada se sont accompagnés d’un premier allègement qui autorisait les soldats à tirer sur des Palestiniens, y compris en cas d’attaques à l’aide de moyens non létaux1.

Durant la deuxième Intifada, l’armée a adopté une politique de recours à la force létale particulièrement permissive, abandonnant notamment l’obligation de faire précéder les attaques de l’armée par des tirs de sommation2.

En décembre dernier, l’armée israélienne a autorisé les soldats à tirer sur des civils palestiniens du seul fait de leur présence en « zone de combat ». Ces assouplissements successifs, illégaux au regard du droit international, se sont toujours traduits par une augmentation significative du nombre de victimes civiles palestiniennes.

Une instrumentalisation du droit international humanitaire

L’usage de la force en TPO est réglementé par le droit international humanitaire (DIH) et le droit international des droits humains (DIDH). Selon l’article 43 du règlement de La Haye sur les lois et coutumes de guerre, Israël, en tant que puissance occupante, à l’obligation d’assurer le maintien de l’ordre et les droits fondamentaux dans les territoires qu’il contrôle3.

Théoriquement, la force létale à l’égard des populations civiles ne peut être utilisée qu’en cas d’absolue nécessité et de manière proportionnée.

Dans le cadre de la conduite des hostilités, le DIH autorise le recours à la force létale mais uniquement à l’égard de combattants. Les civils sont protégés par le DIH et le DIDH et ne peuvent subir d’attaque de la part des forces armées, sauf lorsqu’ils participent directement aux hostilités et aussi longtemps qu’ils y participent. Le simple jet de pierre ou la simple présence de civils près d’une zone de combat n’entre cependant pas dans la définition de la « participation directe aux hostilités »4.

Les nouvelles règles équivalent à considérer tout Palestinien présent en « zone de combat » comme un combattant et donc comme une cible légitime. Une telle interprétation prive ainsi les civils palestiniens de la protection à laquelle ils ont droit en vertu du DIH d’une part, et en vertu de leur droit à la vie d’autre part. Elle témoigne en outre d’une instrumentalisation du DIH en vue de légitimer l’usage de la violence à l’égard des Palestiniens.

Un contexte d’accroissement de la violence à l’égard de la population palestinienne

Les soldats de l’armée israélienne avaient déjà tendance à user de la force de manière disproportionnée en TPO. Ces nouvelles lignes directrices tendent à légitimer ces usages excessifs de la force. Ce, dans un contexte où l’impunité règne en maître, l’armée ne diligentant que très rarement des enquêtes en cas de morts de civils palestiniens.

L’année 2021 a été la plus meurtrière qu’aient connue les Palestiniens depuis la guerre de Gaza en 2014. Ces faits sont d’autant plus préoccupants qu’ils s’inscrivent dans un climat particulièrement délétère pour les droits humains en TPO. L’État israélien mène en effet une attaque en règle contre la société civile palestinienne, qui joue un rôle fondamental dans la documentation et la dénonciation des exactions de l’armée, alors qu’Israël se refuse à le faire. Cette gradation de la violence et l’impunité qui l’accompagne rappellent, enfin, la nécessité et l’urgence pour les États tiers de mettre tout en œuvre afin de faire respecter le DIH par Israël, de respecter leurs obligations internationales et prévenir des morts civiles annoncées.

1 Marco Longobardo, The Use of Armed Force in Occupied Territory, Cambridge University Press, 2018, p. 251.

2 Ibidem.

3 Notons que l’État d’Israël ne reconnaît pas son obligation de faire respecter le DIDH en TPO. Cette obligation à toutefois été réaffirmée par la Cour Internationale de justice dans son avis de 2004 sur la construction du mur en TPO.

4  Voir notamment l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme dans l’affaire Andreou contre Turquie.

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