Les dessous de la promotion du commerce avec Israël

Les technologies de l’information, de la communication et de la santé sont au cœur de la coopération entre les Régions wallonne et bruxelloise et le régime d’apartheid.

Article paru dans le numéro 87 du bulletin Palestine.

Par Dominique Waroquiez

Depuis plusieurs années, de nombreuses associations demandent la suppression des missions organisées par les agences d’exportation et d’investissement régionales tant qu’Israël continuera à violer le droit international et les droits des Palestiniens. Mais si des élus de divers partis ont plusieurs fois relayé cet appel dans les parlements et que des missions ont été suspendues (notamment après les opérations militaires israéliennes « Plomb durci » en 2008 ou « Bordure protectrice » en 2014), les missions commerciales inter-entreprises (« business to business » — B to B) se poursuivent, avec l’aide précieuse de l’attaché commercial à Tel-Aviv. Deux secteurs particuliers sont concernés : les technologies de l’information et des communication (TIC), les biotechnologies et l’E-santé (secteur informatique de la santé).

Cette année, la demande d’annulation des missions en Israël vient d’être réitérée au Parlement bruxellois. Mais, alors que l’ONG israélienne de défense des droits humains B’ Tselem vient, dans un rapport largement documenté et relayé, de qualifier la politique israélienne envers le peuple palestinien de politique d’apartheid, les agences régionales bruxelloise et wallonne continuent de promouvoir les relations avec Israël, en collaboration avec l’ambassade de Belgique en Israël. On peut le constater sur le site des agences régionales à l’exportation hub.brussels et l’Awex, où l’on découvre, parmi les « événements » programmés, la participation de l’AWEX et de Biowin au salon Biomed21 de Tel-Aviv, avec comme « secteurs porteurs », les biotechnologies et les sciences du vivant.

Biowin et Biomed 

Biowin (biowin.org), se présente comme le pôle de compétitivité en matière de santé (sic) de la Région Wallonne et un acteur de référence pour les « parties prenantes » souhaitant investir dans des programmes innovants de recherche et développement (R & D) et/ou dans le développement des biotechnologies, et un « cluster Santé » c’est-à-dire un groupe de responsabilité sectorielle Santé qui permet de fédérer des entreprises, des fournisseurs de capitaux, des fonds de pension, des gouvernements, etc. autour de tout ce qui touche la santé et les technologies en la matière, les smart spécialisations. Biowin annonce donc qu’il aide à monter des projets d’innovation, à identifier les possibilités d’investissements et de développement à l’échelle internationale. Son siège est situé dans la région de Charleroi, à Gosselies plus précisément. Depuis sa création en 2006, Biowin est dirigée par des patrons de l’entreprise pharmaceutique britannique GSK (qui a par ailleurs un site en Israël).

Quant à Biomed, c’est un important salon centré sur la santé (version biotech et compétitivité) organisé à Tel-Aviv depuis plusieurs années. C’est donc un lieu d’exploration, de rencontres, d’excursions, de balades qui offre aussi l’occasion de participer à des conférences, de conclure des contrats, de nouer des ententes entre universités, laboratoires de recherche, chaires, élus, entreprises, start-up avec des représentants des industries d’armement ou des professeurs d’université comme ceux du Technion où sont formés de nombreux experts de l’armée israélienne. Parmi les illustrations des stands du Biomed, figurait, à côté de la reproduction de molécules géantes d’ADN, une photo d’un militaire en kaki, embusqué en position de tir, image digne d’un stand de Elbit ou d’une de ses nombreuses filiales (kenes-exhibitions.com).

Ce n’est pas la première fois que Biowin marque un intérêt particulier pour la start-up Nation. En effet, en novembre 2019, le ministre wallon de l’économie Willy Borsus, interrogé par la députée Hélène Ryckmans avait indiqué que la mission prévue en décembre répondait surtout à l’intérêt que montraient Biowin et l’Agence du numérique (qui se présente sur son site www.adn.be, comme l’entreprise conseillère privilégiée du gouvernement wallon en matière de transformation numérique du territoire mise en œuvre via Digital Wallonie) pour les réalisations d’Israël en la matière.

Au programme concocté pour les entreprises (qui n’ont pas vraiment besoin d’« officiels » vu les services qui sont organisés par l’ambassade à Tel-Aviv, où se trouve d’ailleurs le siège d’une antenne de Digital Wallonie), figuraient donc, selon le ministre, des visites d’hôpitaux et de centres de recherche actifs dans le secteur du biomédical.

Apartheid et R & D

Tout ceci est le résultat d’une volonté clairement affichée depuis plusieurs années. Ainsi, avant l’organisation de la mission conjointe multisectorielle en décembre 2006, l’Awex avait déjà indiqué, parmi les « secteurs à privilégier » en Israël (en plus du tourisme et de l’industrie alimentaire), la pharmacie, l’appareillage médical, les instruments de laboratoire, … On pouvait alors lire sur son site : « Après la crise de l’été dernier dans cette région du monde, plusieurs sources d’information confirmaient que la situation dans le monde des affaires israélien s’est rapidement organisée (…). Il en est de même pour la sécurité (…). Tous les indicateurs sont prometteurs (…). Une nouvelle augmentation des exportations a contribué à faire monter le PNB de 4,6 % (…) Il est intéressant vu la croissance des importations (l’AWEX a signalé une croissance annuelle de 6,2 %), de chercher des partenaires en Israël. »

Parallèlement, on sait la détermination avec laquelle Israël tente de nouer des liens et d’établir des partenariats avec les institutions ou universités belges et européennes. Deux exemples parmi tant d’autres illustrent bien cet embrigadement académique :

– Celui de la KUL (Université catholique de Louvain) qui (avant de s’en retirer comme l’avait fait le ministère portugais auparavant) faisait partie d’un consortium avec le SPF Justice et la Police israélienne pour la mise au point d’un programme de recherche et développement (Law-Train) sur les méthodes d’interrogatoire financé par l’UE dans le cadre de Horizon 2020.

– Les programmes de recherche et développement NanoRetox, NanoTher… qui ont permis à l’entreprise israélienne de cosmétiques Ahava d’obtenir des financements durant le FP7 (le précédent programme — cadre européen) et de diriger plusieurs projets de recherche liés aux nanotechnologies avec entre autres le JRC (Centre de recherche et développement de la Commission européenne), l’Université de Pise et le King’ s Collège de Londres (dont le Conseil des étudiants a protesté), ceci alors qu’Ahava exploitait et commercialisait les boues et sels minéraux de la Mer morte dans son laboratoire et son centre touristique installé dans des colonies (Rapport de Al-Haq, Pillage of the Dead Sea, 2012, www.alhaq.org).

Un véritable deux poids deux mesures, vu les entraves imposées par Israël aux universités palestiniennes plusieurs fois dénoncées, y compris par de nombreux académiques. C’est ainsi qu’en 2015, plusieurs universitaires qui s’étaient rendus sur place (mais n’avaient pas pu pénétrer dans la Bande de Gaza) ont souligné l’aspect cohérent et systémique de la politique israélienne à l’égard des universités palestiniennes, des académies, du personnel et des étudiants : difficultés d’obtention ou de renouvellement des visas après 3 mois (visas touristiques), chantage au « non-retour » lors de sorties via le Pont Allenby (Jordanie), fouilles au corps et interrogatoires à durée imprévisible, couvre-feu qui rendent compliquées les réservations des vols et les participations aux conférences et colloques, etc.… (Rapport de l’Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine — Aurdip — publié sur le site www.france-palestine.org).

Quelques conséquences sur la santé des Palestiniens

Nul n’ignore qu’Israël, qui adore se présenter comme une Nation start-up, à la pointe de toutes les découvertes, exerce son système de domination du peuple palestinien via un large éventail de technologies (militaires, « à double usage »…). Les exemples ne manquent pas, citons-en quelques-uns : les « terminaux » comme celui d’Eretz, de Qalandia (Atarot) ou encore de Bethléem emmurée, les innombrables checkpoints mobiles et fixes qui interdisent la libre circulation des Palestiniens entre les diverses enclaves de Cisjordanie occupée, la clôture électronique de Gaza, le Mur, ses multiples tours de contrôle, les drones, les systèmes de tirs, le fichage des Palestiniens, ou encore le contrôle des communications.

Avec, pour les Palestiniens qui vivent en quelque sorte dans un « laboratoire » technologique (allusion au documentaire The Lab du journaliste israélien Yotam Feldman) tout ce que l’on imagine comme atteintes à leur santé : accouchements prématurés aux checkpoints, enfants traumatisés pouvant être kidnappés de jour comme de nuit et emmenés pour interrogatoire et en prison, stress des personnes qui doivent se rendre à l’hôpital pour des examens et des opérations et qui à Jérusalem ou ailleurs se font arrêter par des soldats israéliens ou la « police border » sur base de données qu’ils sont seuls à posséder, l’humiliation des travailleurs et travailleuses enfermées entre les grilles et tourniquets des terminaux, coupures d’électricité dans les hopitaux à Gaza… Sans parler des gaz de diverses natures utilisés lors des manifestations contre le Mur illégal ou lors des incursions militaires par effraction de maisons palestiniennes, du blocus, des coupures d’eau, d’électricité dans les hôpitaux de Gaza…

crédit photo : courtesy

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