Dans son introduction au livre collectif « Catastrophe Remembered »1, Nur Masalha écrit, en vue de classifier les déplacés internes palestiniens : « La classification et la définition des réfugiés internes/déplacés internes palestiniens, à l’intérieur de la Ligne verte, doivent être comprises sur la base de trois entités politiques et trois périodes historiques différentes : la Palestine mandataire, l’Etat d’Israël et les territoires occupés en 1967. »
Distinguer entre “réfugiés” et “déplacés internes” est compliqué, d’abord à cause de l’absence de reconnaissance internationale des frontières entre Israël et la Palestine et ensuite, par le fait que le législateur israélien n’a pas reconnu le terme de réfugié pour les Arabes palestiniens à l’intérieur de l’Etat d’Israël.
On peut toutefois distinguer quatre catégories de déplacés internes palestiniens à l’intérieur de la Ligne verte, la première et la seconde catégories étant souvent désignés par les “présents absents”.
1. Les Déplacés internes palestiniens en 1948 : Il s’agit de la plus vaste des catégories des déplacés internes. Ils vivent à l’intérieur de l’Etat d’Israël. Ce sont les Palestiniens déplacés et dépossédés de leurs maisons et de leurs terres au cours ou immédiatement après la guerre de 1948.
2. Les Déplacés internes palestiniens après 1948 : Un autre groupe, plus restreint est celui des Palestiniens vivant dans l’Etat d’Israël qui ont été déplacés après 1948 par le transfert interne et l’éviction, l’expropriation des terres et la destruction de leurs maisons. Une grande partie de cette catégorie est constituée des Bédouins palestiniens.
3. Les Déplacés internes palestiniens de 1967 : Cette catégorie comprend les déplacés internes palestiniens qui furent déplacés au cours de la guerre de 1967, que ce soit en Cisjordanie, à Jérusalem Est ou dans la bande de Gaza, sans inclure ceux qui ont été appelés les réfugiés palestiniens de 1967 souvent appelés “les déplacés en 1967” car au temps de leur déplacement, la Cisjordanie était sous administration jordanienne, les réfugiés n’ayant pas “traversé une frontière internationale” pour trouver refuge en Jordanie.
4. Les Déplacés internes palestiniens après 1967 : ce sont les Palestiniens déplacés à l’intérieur de la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza, après 1967, par le biais des expropriations de terres, des démolitions de maisons, de la révocation des droits de résidence à Jérusalem et d’autres moyens de transfert interne incluant, plus récemment, les séparations forcées selon des critères ethniques, religieux et nationaux. Ce groupe inclut un grand nombre de Bédouins palestiniens.
“Compliquant ces définitions, les Palestiniens déplacés internes de l’ouest vers l’est de Jérusalem, en 1948, sont considérés comme des réfugiés à cause de la création d’une “frontière”, la ligne d’armistice de 1949, coupant la ville en deux.
Selon le centre Badil pour les droits des réfugiés palestiniens, situé à Bethléem, il y a approximativement 260.000 Palestiniens déplacés internes en 1948 (catégorie 1), représentant le quart de la population palestinienne à l’intérieur de la Ligne verte.
Ce chiffre n’inclut pas les déplacés après 1948, les Bédouins palestiniens du Naqab déplacés après 1948 ni les Palestiniens citadins des villes comme Haïfa ou Akka, qui ont été autorisés à retourner dans leur ville d’origine, sans toutefois pouvoir retrouver leurs maisons ni leurs biens.
S’il faut prendre en compte toutes ces catégories et d’autres encore de déplacés locaux, le nombre des déplacés internes à l’intérieur de l’Etat d’Israël se situerait entre 300.000 et 350.000 Palestiniens.
Dans les années 50, les déplacés internes palestiniens furent considérés, à l’intérieur de l’Etat d’Israël, comme des « présents absents », avec l’application de la loi sur les « Propriétés des Absents » de 1950. Ils étaient physiquement présents mais considérés comme légalement absents pour ce qui concerne leurs propriétés (maisons et terres).
Cette appellation paradoxale signifie qu’ils vivent dans leur pays, mais l’Etat les a expropriés de leurs terres et maisons, faisant d’eux des exilés et des réfugiés dans leur propre pays. La plupart d’entre eux furent forcés de quitter leurs villages au cours de la guerre de 48-49; ils avaient fermé leurs maisons, pris leurs clefs et les titres de propriété de leurs terres, pensant y retourner dès que l’armée d’occupation le leur permettrait.
Le déplacement des Palestiniens n’a pas cessé après la guerre de 1948.
Les autorités israéliennes ont continué à déplacer et à transférer les Palestiniens tout au long des années 50. Les forces militaires israéliennes détruisaient la plupart des villages palestiniens dépeuplés et déclaraient ces villages “zones militaires fermées” pour empêcher le retour des déplacés palestiniens dans leurs villages. Pour cacher les traces des villages palestiniens, le fond national juif a financé la plantation de forêts de conifères. (voir encadré « Canada park »)
Dans la plupart des cas, sur les terres de ces villages ont été implanté des villes, des villages et des moshav dont certains ont même pris le nom des villages palestiniens d’origine. Ainsi la ville de Beit Dagan a pris le nom du village palestinien de Bayt Dajan, le kibboutz Sa’sa’ est bâti sur le village palestinien Sa’sa’. Le moshav Amka est implanté sur les terres du village palestinien ‘Amqa, et le moshav Elonit (arbre en hébreu) sur les terres d’al-Shajara (arbre, en arabe).
Sur les 162 villages dépeuplés du nord de la Palestine, au cours de la guerre de 48, 44 villages représentent les lieux d’origine des déplacés internes palestiniens.
Parmi ces 44 villages, 10 avaient une population de plus de 500 personnes, 17 étaient peuplés de 100 à 500 personnes et 17 avaient moins de 100 personnes.
Avançant des prétextes de sécurité, l’armée israélienne a continué, pendant les années 50 à expulser la population palestinienne des agglomérations arabes. Il s’agissait de briser toute continuité démographique palestinienne, en vue de faciliter la judaïsation de la Palestine, en y implantant des colonies, et notamment les fermes collectives (kibboutz), deux modèles sionistes de la colonisation de peuplement.
Bien que devenus citoyens israéliens en 1952, les déplacés internes n’ont pu réintégrer leurs villages ni leurs biens. Ils continuent d’être, ainsi que leurs descendants, les présents–absents. Ils sont systématiquement empêchés de retourner chez eux et de reprendre possession de leurs biens, par une série de mesures et de lois israéliennes, qui visent à assurer une majorité juive dans le pays.
Les présents-absents se sont retrouvés dans une situation unique.
En dépit de leurs liens historique, géographique, culturel et national avec le peuple palestinien, ils sont réfugiés à l’intérieur de leur propre pays. Ils bénéficient de la citoyenneté israélienne, ce qui les distingue de l’ensemble des autres réfugiés palestiniens, mais ils n’ont pu être considérés réfugiés par les programmes de l’ONU ni aidés à ce titre. De fait, les interventions de l’UNRWA dans l’Etat d’Israël furent arrêtées en 1952.
La majorité des déplacés internes sont originaires et vivent actuellement dans la région nord, les provinces de Safad, Akka, Haïfa, Baysan et Tabaraya de la Palestine mandataire.
Bien que certains déplacés internes vivent dans des villes comme Nazareth ou Shefa’Amr, ou dans les “villes mixtes” comme Haïfa, Akka, Lid, Ramleh et Yafa, la majeure partie des déplacés internes vit dans des villages proches de leurs villages d’origine.
Selon l’étude menée par le sociologue palestinien, Majid al-Haj en 1994, dans les villages hôtes de Galilée, plus de la moitié des déplacés internes interviewés ont affirmé s’être installés dans leur village actuel après avoir été déplacés dans d’autres villages auparavant.
Seul le tiers des déplacés internes a été directement transféré du village d’origine au village ou à la ville hôte. Dans quelques cas, les autorités israéliennes ont “aidé” les déplacés internes à se loger dans des villages ou des maisons, mais les déplacés devaient en contrepartie, céder leurs droits propres sur leurs terres et propriétés dans leurs villages d’origine.
Les terres sur lesquelles furent construites les maisons devant loger les déplacés internes furent confisquées aux villageois palestiniens des villages hôtes.
Nur Masalha,
« Catastrophe Remembered »,
Zed books, Londres, 2005.
(en vente à l’ABP)