Bulletin N°67
Par Michèle Hicorne
Un numéro. Un numéro pour l’Office des étrangers et au camp de Belgrade. Iyad Sabbah est un demandeur d’asile parmi tant d’autres. Mais c’est aussi un Palestinien, un Gazaoui ! Et cela complique les choses ! Nous proclamons haut et fort notre détermination à protéger des civils fuyant leur pays en guerre par l’octroi du statut de réfugiés. Mais lorsqu’il s’agit d’un Palestinien, la frilosité est grande. A croire que nous sommes sourds et aveugles au sociocide organisé d’un peuple!
Déjà réfugié sur sa propre terre, encore marqué par beaucoup du sceau de l’apatride, Iyad attend sa deuxième convocation au Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) Sa femme et ses filles sont encore à Gaza et sont –comme tous les habitants- confrontées quotidiennement aux dures réalités du blocus israélien et de l’après-bordure protectrice. Iyad attend quelque chose. Il veut un avenir. Pour lui et pour sa famille. Pour le peuple palestinien. Mais il ne sait pas ce que sera demain.
Ce professeur d’arts plastiques de l’université AL-Aqsa de Gaza est un artiste renommé. Bachelier en Beaux-Arts des universités du Caire et de Tripoli, il a exposé en France, en Belgique, en Egypte, aux USA,… Mais aujourd’hui, son visa a expiré. Il ne peut rentrer chez lui, il ne peut voyager, alors qu’il reçoit des invitations à exposer dans plusieurs pays. Impossible évidemment d’y répondre. Alors, parce qu’il n’est pas question pour lui de se recroqueviller, Iyad peint, sculpte, dessine. Des scènes de là-bas mais aussi des sujets d’ici, légers ou graves. Et surtout, le clou d’une exposition qui doit se tenir en avril à Namur : une fresque de 10 mètres inspirée par les récits bouleversants de tous ces êtres entassés dans les tentes du camp, déracinés, abîmés par la guerre, en quête, comme lui, d’un avenir.
Je demande à Iyad de me parler de sa dernière œuvre réalisée à Gaza, quand il était encore au milieu des siens. Une œuvre tellement forte, tellement réaliste qu’elle n’a pas plu à tous et qu’elle a été enlevée de la plage… Des sculptures de personnages, grandeur nature, installées dans le quartier dévasté de Shuja’iyya après le massacre perpétré par l’armée israélienne l’été 2014. Au milieu des gravats, des maisons éventrées, des hommes et des femmes, un enfant et un bébé, les vêtements tachés de sang, un grand trou dans le dos, semblent aller vers la mer, fuir vers un ailleurs. Sont-ils vivants ? Sont-ils morts ? Sont-ce des fantômes, sortes de témoins, qui reviennent pour nous dire – à nous qui les traitons de « problème » – que la Palestine est leur pays et que nous, les Occidentaux, avons laissé s’accomplir leurs massacres et leurs expulsions. Attendent-ils un regard ? Espèrent-ils qu’on bouge enfin ?
Iyad ne me parle pas de l’inflexible cruauté du gouvernement israélien et de notre incapacité, à nous Occidentaux, à faire respecter le droit international et la justice. Avec toute sa pudeur, presque en s’excusant de laisser affleurer sa souffrance, comme s’il risquait de déranger, il me dit simplement « Regarde-les. Ils sont comme moi. Ils attendent quelque chose. C’est sûr. Mais quoi ? Je ne sais. »
Sans papier, sans certitude quant à l’avenir, Iyad observe le monde et le recrée. En grand artiste, il tente d’effacer les barreaux de la cage dans laquelle l’envahisseur a enfermé tout un peuple. Il veut un Avenir. Iyad est un demandeur d’asile et, de cette situation, peut-on vraiment se sentir non-responsables ?