Bulletin N°79
Pendant des années, les États-Unis ont été le plus important dispensateur d’aide aux Palestiniens. Avec l’arrêt soudain du financement des programmes de soins de santé, d’éducation et d’assainissement, ce sont les femmes et les filles qui sont le plus durement touchées.
Par Henriette Chacar
Lorsque le mari de Nawal a dû cesser de travailler il y a deux ans en raison de fortes douleurs à l’estomac, elle est devenue le principal soutien de la famille. Nawal (qui a demandé à n’utiliser que son prénom) vit avec ses sept enfants dans le camp de réfugiés de Dheisheh, près de Bethléem. Auparavant, Nawal avait droit à des allocations de l’UNRWA qui lui permettraient de couvrir les frais médicaux de la famille, mais elle a récemment appris que cette aide ne serait plus disponible.
Zahia Al Mubasher est une veuve qui se bat contre un cancer à Gaza. À 61 ans, elle est toujours le soutien de dix-sept de ses enfants, petits-enfants, frères et sœurs. Elle vit de la culture de tomates dans une serre de son jardin financée par l’USAID, l’agence gouvernementale américaine en charge de l’aide civile à l’étranger et de l’aide au développement.
Nawal et Zahia ne sont que deux des milliers de femmes palestiniennes directement touchées par la décision de l’administration Trump de mettre fin au financement de l’aide accordée aux Palestiniens. L’administration a récemment fermé la mission de l’USAID en Cisjordanie et à Gaza, tout en ayant déjà réduit de plus d’un demi-milliard de dollars le financement de projets palestiniens en 2018. Des critiques affirment qu’il ne s’agit que de la dernière tentative de faire chanter l’Autorité palestinienne sur un accord de paix avec Israël.
Quand la société ou les institutions commencent à s’effondrer à cause du manque d’investissements, les femmes sont encore plus accablées dans les responsabilités domestiques auxquelles elles sont traditionnellement assignées, a déclaré Susan Markham, ancienne Coordinatrice principale de l’USAID pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. La conciliation entre les responsabilités professionnelles et le «travail ménager», ajoute-t-elle, devient un défi encore plus grand. «C’est quelque chose qui n’est pas souvent mesuré, mais qui a un impact réel sur la vie quotidienne des femmes», dit-elle.
Les effets d’un tel effondrement sur les femmes sont doubles: les programmes centrés sur le genre financés par les États-Unis ont maintenant été supprimés, réduisant ainsi le nombre d’initiatives qui se concentraient exclusivement sur la promotion des droits et des opportunités des femmes, tandis que des projets plus vastes liés aux infrastructures – comme dans le secteur de la santé et de l’assainissement – restent inachevés. Cela peut avoir un impact négatif sur le rôle des femmes et des filles dans la société.
Aux États-Unis, des centaines de milliers de dollars d’aide ont été alloués aux programmes de défense des droits des femmes palestiniennes au cours des dernières années. Kayan, une organisation féministe de défense des droits et d’avancement du statut des femmes palestiniennes en Israël, figurait parmi les bénéficiaires de l’aide. Elle a reçu une subvention du gouvernement américain pour un projet visant à mettre un terme au harcèlement sexuel sur les lieux de travail. En Cisjordanie et à Gaza, le projet «Tribunaux des Femmes», financé par les États-Unis, visait à réduire la violence sexiste dans les communautés palestiniennes au moyen de réformes législatives et de changements de politiques.
La Palestine est le seul pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord à avoir adhéré à la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmessans réserve ni remarque. Les femmes palestiniennes sont parmi les plus instruites de la région et, même s’il y a davantage de femmes qui entrent dans le monde du travail qu’il ya dix ans, les taux sont toujours inférieurs aux moyennes régionales, selon un rapport de 2017 de la Banque mondiale.
«L’USAID s’est vraiment attachée à aider les femmes [palestiniennes] à acquérir une plus grande autonomie économique», a déclaré Markham. Il s’agissait de programmes permettant aux filles de fréquenter l’école secondaire, de financer des stages et du tutorat et d’aider les femmes à créer leur propre entreprise, créant ainsi un cycle positif dans lequel les femmes «étaient valorisées par la communauté en tant que propriétaires d’entreprise ou en tant que travailleuses soutiens de famille». Ces changements, dit-elle, ont contribué à faire évoluer les attitudes basées sur le genre dans la société palestinienne.
Au cours des deux dernières décennies, les financements par les États-Unis ont aidé plus de 200 000 étudiantes de Cisjordanie et de Gaza à avoir accès à une meilleure éducation grâce à des investissements dans la rénovation d’écoles et la formation. Ces initiatives ont maintenant pris fin.
L’un des cas les plus graves est une école dans la région de Bethléem qui ne va que jusqu’à la dixième année, explique Sean Carroll, directeur d’Anera, l’une des plus grandes ONG fournissant une assistance humanitaire aux Palestiniens. Anera travaillait à la réhabilitation et à l’agrandissement de cette école pour offrir aux étudiants un enseignement secondaire. «Si vous vouliez continuer vos études, vous deviez vous rendre à 50 km de là. Beaucoup d’enfants ne l’ont pas fait, en particulier les filles. L’éducation des filles de cette ville s’arrêtait donc à la 10e année », explique-t-il.
Maintenir les filles à l’école est également l’un des moyens les plus efficaces pour éviter le mariage des enfants, qui reste un problème important en Palestine, selon une déclaration commune du Centre d’aide juridique et de conseil pour les femmes(WCLAC) et de Human Rights Watchen juillet dernier. Selon les données publiées par le Bureau central des statistiques de Palestine, en 2016, le nombre de mariages d’enfants atteint 20,5% chez les femmes et 1% chez les hommes du total de la population mariée en Palestine.
Un facteur important décourageant les filles d’aller à l’école est le manque d’accès à des toilettes appropriées durant leurs règles, en raison de l’insuffisance d’accès à l’eau et d’hygiène adéquate. L’abandon des investissements dans les infrastructures pour l’eau, qui raccordent les maisons aux réseaux d’approvisionnement en eau et aux égouts, est donc probablement davantage susceptible d’affecter défavorablement les femmes et les filles.
En outre, les pénuries d’eau exercent une pression supplémentaire sur les femmes, qui se voient souvent assigner les tâches ménagères, notamment la cuisine et le nettoyage, ainsi que le soin des enfants atteints de maladies transmises par l’eau. Dans les zones qui ne sont pas reliées aux réseaux de distribution d’eau, les femmes et les filles sont généralement responsables de la recherche et de la collecte d’eau pour leurs familles, ce qui peut les empêcher de fréquenter l’école ou d’avoir un travail rémunéré, selon EWASH (Emergency Water and Hygiene in the Occupied Palestinian Territory), un groupe de plus de trente organisations travaillant sur l’eau, l’assainissement et l’hygiène dans les territoires occupés.
«Le montant le plus important de notre projet financé par l’USAID au cours des dix dernières années a été consacré à l’eau et à la lessive», déclare Carroll, «et avec les réductions actuelles, nous savons que 57 000 Palestiniens n’auront pas accès à de l’eau salubre, ce qui était prévu grâce à un projet qui aurait été mis en œuvre d’ici la fin de l’année. »
La domination israélienne sur les Palestiniens limite l’entrée des marchandises dans les territoires occupés, en ce compris les médicaments et le matériel médical. En conséquence, des services de santé vitaux, tels que le traitement du cancer et les soins intensifs néonataux, ne sont pas disponibles en Cisjordanie et à Gaza. De nombreux patients palestiniens se rendent à Jérusalem-Est pour recevoir des soins dans l’un des six hôpitaux du Réseau d’hôpitaux de Jérusalem-Est. En septembre dernier, l’administration Trump a supprimé les 25 millions de dollars qu’il était prévu d’allouer au réseau.
Selon Bassem Abu Libdeh, directeur de l’hôpital Al Makassed, les fonds alloués par les États-Unis couvraient 40% des coûts des six hôpitaux. A la suite des coupes dans l’aide fournie à l’UNRWA en septembre dernier, ce qui représentait une réduction de 30% du budget alloué à l’agence des Nations Unies chargée de fournir des services à des millions de réfugiés palestiniens au Moyen-Orient, de nombreux Palestiniens ne peuvent plus se permettre les soins dont ils ont besoin. Pour les femmes, cela signifie un accès limité au traitement du cancer du sein ou au suivi des grossesses à haut risque disponibles uniquement dans les hôpitaux de Jérusalem-Est.
Cette pénurie de fonds a de plus miné le fonctionnement des cliniques mobiles, gérées par un groupe d’ONG palestiniennes et internationales appelé «Health Cluster», qui fournissent des services de santé à plus de 220 000 Palestiniens de Cisjordanie. Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires dans les territoires occupés, «les plus vulnérables dans ces communautés sont les femmes durant la grossesse et l’accouchement, les enfants et nourrissons malades, les personnes âgées, et les malades chroniques ou les handicapés.» Cela a non seulement un effet direct sur les programmes de soins de santé des femmes, mais ajoute également une pression sur les femmes qui, généralement, jouent le rôle de soutiens de famille, comme Nawal.
L’occupation israélienne entrave gravement l’économie palestinienne. Les restrictions imposées à la circulation des biens et des personnes, l’accaparement des terres et le blocus imposé à Gaza, entre autres, empêchent le succès des politiques économiques arrêtées par l’Autorité palestinienne. En conséquence, les donateurs internationaux jouent un rôle de premier plan dans la mise en œuvre des réformes et la fourniture de services en Palestine, selon la Banque mondiale. Tant les entités gouvernementales que les organisations de la société civile dépendent fortement de l’aide étrangère pour fonctionner.
«L’économie nationale palestinienne ne peut pas être soutenue en raison de l’occupation et de sa politique», a déclaré la Dr Sahar Qawasmi, qui a été élu membre du Conseil législatif palestinienen 2006 et siège au conseil d’administration du WCLAC. «Lorsqu’une femme est soumise à la violence, qu’elle se voit refuser toute opportunité économique et tout pouvoir politique, cela affecte considérablement le sort des générations futures.»
Article original paru sur +972. traduit de l’anglais par Thierry Bingen.
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