L’Histoire est écrite par les vainqueurs mais un jour vient où les archives sont déclassées. Et alors l’histoire, que les vaincus racontaient sans être entendus, devient Histoire tout court.
Jusqu’à l’ouverture des archives de la Croix-Rouge, malgré les récits des prisonniers palestiniens, on ne parlait pas de ces camps mis en place lors de la guerre de 1948. Il aura fallu que, dans les années nonante, Salman Abu Sitta et Terry Rempel aient accès aux archives déclassifiées de la Croix-Rouge pour que leur réalité devienne historique. A partir de là, les deux chercheurs vont interroger des témoins.
Vingt-deux camps
Avant la proclamation de l’Etat d’Israël, il y eut peu de prisonniers : on préférait de loin les expulsions. Par après, les Israéliens ont fait prisonniers à la fois des soldats des armées arabes et des civils palestiniens non combattants. Tous ont été versés par les autorités israéliennes dans la catégorie des prisonniers de guerre.
Les Israéliens admettaient l’existence de 4 camps : ces camps étaient administrés par des militaires britanniques qui avaient déserté lors de la fin du Mandat et gardés pour la plupart par des membres des milices extrémistes du Stern et de l’Irgoun, intégrés dans l’armée israélienne (973 personnes). Un cinquième camp fut érigé dont le but avoué était de faire travailler les prisonniers. A côté de ces 5 camps « reconnus », les auteurs en ont découvert au travers des témoignages 17 autres. La plupart de ces camps étaient installés dans la partie assignée à l’Etat juif sauf 5 qui l’étaient en zone arabe.
Les camps officiels étaient entourés de fil de fer barbelé et surveillés par des miradors.
Ces camps ne correspondaient pas aux normes internationales, même dans les camps officiels. Emile Moeri, délégué du CICR, décrit comme suit la situation dans l’un d’eux: tentes déchirées, pas de préparation pour l’hiver, latrines non couvertes, cantines à l’arrêt, viande de mauvaise qualité, fruits gâtés, légumes rares. D’autres témoignages font état de prisonniers enfermés à plusieurs dans des cages…
Qui étaient les prisonniers ?
Le nombre total de prisonniers est difficile à établir et varie entre 5 000 (chiffres officiels israéliens) et 7 000 (chiffre obtenu par recoupements) voire 9 000 selon le journal intime de Ben Gourion. La majorité des prisonniers étaient des civils palestiniens (82%), le reste des soldats des différentes armées arabes. Jacques de Reynier, alors représentant du CICR, écrira que la situation des internés civils était « absolument confondue » avec celle des prisonniers de guerre, et que les autorités juives traitaient tous les Arabes entre 16 et 55 ans comme des combattants et les enfermaient comme prisonniers de guerre. Emile Moeri, délégué du CICR, note, quant à lui : « Il est pénible de voir ces pauvres gens, surtout âgés, arrachés de leurs villages et mis sans raison dans un camp, obligés de passer l’hiver sous des tentes mouillées, loin de leurs familles; ceux qui ne pouvaient pas survivre à ces conditions sont morts. Des petits enfants (10-12 ans) se retrouvent également dans ces conditions. »
Travail forcé, conditions dégradantes
Les prisonniers étaient contraints au travail : assécher des marais, rassembler et transporter les biens pillés dans les maisons des réfugiés, charrier les pierres des maisons palestiniennes détruites, paver des routes, creuser des tranchées militaires, transporter des munitions, enterrer les morts, travailler comme domestique ou encore moissonner les champs palestiniens au profit de l’armée, d’une communauté juive, etc. Un rapport du CICR daté du 11 novembre 1948 note que les prisonniers reçoivent un traitement en vue simplement « d’obtenir d’eux un travail extrêmement utile à l’économie de l’Etat ». Quant à de Reynier, il parle carrément d’esclavage.
La ration quotidienne était maigre ; un témoin raconte que, travaillant à la pointe du fusil toute la journée dans une carrière, il recevait 1 pomme de terre le matin et un demi-poisson séché le soir.
Les prisonniers subissaient des humiliations. Par ailleurs, les mauvais traitements et les passages à tabac étaient le lot quotidien. Quiconque désobéissait était frappé. Plus d’un témoignage fait état de tirs contre les prisonniers et d’exécutions pures et simples. Emile Moeri dit avoir vu les traces de sévices et avoir constaté des blessures par balles.
Libération ?
Sous les auspices du CICR, les prisonniers des armées arabes furent progressivement libérés lors d’échanges de prisonniers dès 1949 mais les derniers prisonniers palestiniens durent attendre jusqu’en 1955. Leur sort était scellé : ils furent expulsés de l’autre côté de la ligne d’armistice sans nourriture, sans vivres et il leur fut ordonné de marcher et de ne jamais revenir.
[1] S. ABU SITTA et T. REMPEL, The ICRC and the Detention of Palestinian Civilians in Israel’s 1948 POW/Labor Camps, sur www.academia.edu.
par Marianne Blume