Les réfugiés palestiniens : entre négation et reconnaissance

La résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations Unies, adoptée le 29 novembre 1947, attribue 55% (14.100 km2) des terres au futur Etat juif, 45% (11.500 km2) au futur État palestinien, Jérusalem et les Lieux saints étant sous juridiction internationale. A ce moment, la population palestinienne est de 1.314.000 personnes pour 673.000 Juifs. Le territoire attribué au futur Etat juif comporte 498.000 Juifs et 407.000 Arabes. A l’issue de la première guerre israélo-arabe, l’Etat d’Israël englobe 77%[1] du territoire total et il n’y reste plus que 160.000 Palestiniens.

La guerre de 1948 et l’expulsion des Palestiniens

Que s’est-il donc passé ? Le débat a longtemps fait rage en Israël et dans les pays arabes. Les Palestiniens ont toujours affirmé qu’ils avaient été expulsés de leurs foyers tandis que les Israéliens prétendaient qu’ils avaient fui de leur plein gré, à la suite des appels répétés des dirigeants arabes qui souhaitaient avoir «le champ libre» pour mener leur guerre contre Israël. Les nouveaux historiens[2] israéliens ont établi que la majeure partie de la population palestinienne avait bel et bien été chassée par les troupes juives et les groupes extrémistes juifs ; sur 369 villes et villages, seuls 6 auraient répondu aux appels des dirigeants arabes[3]. Au total, ce sont entre 776.000 à 900.000 Palestiniens[4] qui ont été chassés de chez eux.

L’objectif de cette expulsion massive et rapide? Qu’Israël soit démographiquement le plus homogène possible.

La mise en œuvre de l’expulsion

Si Benny Morris, l’un de ces nouveaux historiens, estime qu’il n’y pas eu de plan coordonné d’expulsion, l’étude des archives israéliennes a révélé l’existence du Plan Dalet. Conçu par David Ben Gourion (futur Premier ministre israélien), ce plan a pour objectif essentiel de « nettoyer le territoire futur de l’Etat juif de toutes les forces hostiles ou potentiellement hostiles »[5]. Comme la plupart des villages sont considérés comme activement ou potentiellement hostiles, les destructions de villages et l’expulsion de leurs habitants devient pratique courante. Les ordres des commandants militaires sont d’ailleurs tout à fait explicites : il faut expulser, vider de la population arabe et ne pas laisser revenir les réfugiés[6]. Les forces juives commirent de nombreux massacres, dont le plus connu est celui de Deir Yassin : une centaine de villageois y furent assassinés par lIrgoun, organisation sioniste dirigée par Menahem Begin. Ce massacre créa un choc psychologique sans précédent au sein de la population arabe palestinienne. Interdits de rentrer dans leurs villes ou villages, les Palestiniens se réfugièrent en Cisjordanie, dans la bande de Gaza, en Syrie, en Jordanie et au Liban. Ils seront rassemblés dans 49 camps officiels, gérés par l’UNRWA[7]. Le parcours d’exil de certains les mènera en Europe et aux Etats-Unis où ils donneront naissance à la diaspora palestinienne.

Les réfugiés de 1967

Lors de la guerre de 1967, Israël conquiert la bande de Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem- Est, le plateau du Golan syrien et le Sinaï égyptien (rendu ensuite à l’Egypte). Près d’un demi-million de Palestiniens connaissent l’exode, certains pour la seconde fois. La plupart se réfugient en Jordanie. La majorité d’entre eux seront  interdits de retour par le gouvernement israélien[8]. Dix nouveaux camps devront être aménagés pour les abriter. L’UNRWA  ne les considère pas pour autant comme des réfugiés.

Le droit au retour des réfugiés

Le 11 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies vote la résolution 194, qui stipule «qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers[9] et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gouvernements ou autorités responsables

Même si Israël a formellement entériné cette résolution lors de la conférence de Lausanne en 1949, son application n’a jamais vu le jour. Près de 400 villages palestiniens seront détruits pour empêcher tout retour. Les biens des « absents » seront confisqués sur base de la loi sur les « propriétés abandonnées » qui permet la saisie des biens de toute personne « absente », c’est-à-dire qui, pendant la période du 29 novembre 1947 au 1er septembre 1948, se trouvait à l’extérieur du territoire d’Israël,  soit en Cisjordanie, dans la bande de Gaza ou dans d’autres pays[10]. Pour ce qui est des villes et des villages non détruits, le gouvernement israélien y installera les nouveaux immigrants juifs.

En Israël, l’ensemble de la classe politique, de gauche comme de droite, y compris le Mouvement de la paix  « Peace Now »,  refuse le retour des réfugiés au nom de la menace que ce retour représenterait pour le caractère juif de l’État d’Israël. Les Palestiniens, eux, exigent qu’Israël reconnaisse le droit au retour qui n’est pas négociable et assume sa responsabilité dans l’origine du drame des réfugiés. En échange, ils sont prêts à en négocier l’application : limitation du nombre de retours, compensations financières pour les biens perdus, etc.

Encart : Statistiques au 31 mars 2006

Zone géographique

Nombre de camps officiels

Nombre de réfugiés

Jordanie

10

1.835.704

Liban

12

405.425

Syrie

10

434.896

Cisjordanie

19

705.207

bande de Gaza

8

993.818

Total

59

4.375.050

Source : United Nation Relief and Work Agency (UNRWA), 2006     http://www.un.org/unrwa

Les réfugiés aujourd’hui

Aujourd’hui, on compte plus de six millions de Palestiniens dans le monde dont quatre millions ont le statut officiel de réfugiés[11]. Parmi eux, 30% vivent encore dans des camps sordides.

Dans les pays arabes, leur situation varie suivant le pays d’accueil. C’est en Jordanie que le nombre de réfugiés palestiniens est le plus élevé. A la suite de la guerre de 1948, la Jordanie accueille sur son territoire plus de 500.000 réfugiés palestiniens. La nationalité jordanienne leur a été octroyée pour éviter toute tentation séparatiste et leur statut de réfugiés maintenu afin qu’ils bénéficient de l’aide internationale.

Les réfugiés du Liban sont les plus mal lotis : le gouvernement libanais continue de les considérer comme des résidents étrangers et leur refuse toute une série de droits sociaux. De nombreuses professions leurs sont interdites par la loi. C’est donc l’UNRWA qui les prend entièrement en charge.

En Syrie, les réfugiés palestiniens ont des droits assez semblables à ceux des nationaux. Aucune profession ne leur est interdite et ils se sont rapidement intégrés à la société syrienne.

Les camps de réfugiés seront la base de développement de la résistance palestinienne. Ils deviendront le lieu de transmission de la mémoire et des traditions culturelles. Cette identité traditionnelle va se doubler d’un réel développement politique dans les années soixante. A ses débuts, cette émancipation politique des camps a reçu l’aval des pays d’accueil mais par la suite, par crainte pour leur pouvoir, les autorités locales vont à plusieurs reprises mater la résistance dans le sang. Ce sera le cas en Jordanie en 1970 («Septembre noir ») et au Liban en 1975 (massacre de Tell Al-Zatar) et en 1982  (massacres de Sabra et Chatila par des milices chrétiennes soutenues par l’armée israélienne).

Dans les Territoires palestiniens occupés, il existe 8 camps de réfugiés dans la bande de Gaza (par ex. Jabalia, Rafah) et 19 en Cisjordanie (Jénine, Deheishe, Balata). Ces camps vétustes et surpeuplés ont été et sont toujours la cible d’attaques meurtrières de l’armée israélienne. Coexistent donc, en Cisjordanie et dans la bande des Gaza, des Palestiniens qui ont toujours vécu là et d’autres, ou leurs descendants, qui vivaient sur le territoire de ce qui est devenu l’Etat d’Israël ou dans d’autres territoires palestiniens, et qui ont été chassés de chez eux en 1948 et en 1967.

Qu’est-ce qu’un camp de réfugiés ?

A l’origine, devant le flot de réfugiés, l’UNRWA crée des camps de tentes. Petit à petit, vu l’impossibilité du retour, les camps ont été construits en « dur » sauf les toits faits de tôles ondulées. Conçus pour être temporaires, les camps bénéficient de services de base via l’UNRWA mais n’ont pas de système d’égouts, pas d’électricité, pas de rues pavées, pas d’espaces verts ou cultivables. L’espace réservé à une famille ayant été défini en 1948 ou parfois 1967, les habitations sont rapidement devenues trop petites avec la croissance naturelle des familles. Les habitants se sont souvent regroupés suivant leur lieu d’origine et le camp est donc comme une géographie et une histoire de la Palestine : on y trouve d’anciens paysans, d’anciens citadins et aussi des Bédouins qui ont tous, la plupart du temps, conservé leurs traditions et leur dialecte d’origine. Suivant le pays où les camps sont implantés, les conditions de vie y sont plus ou moins dures.

Aujourd’hui, dans les TPO, avec l’arrivée de l’Autorité palestinienne, les habitants peuvent, sur l’emplacement alloué, reconstruire une maison en dur ou ajouter des étages au bâti d’origine. Par ailleurs, certaines rues sont asphaltées et un système d’égouts  est partiellement mis en place. Néanmoins, dans l’ensemble, les camps s’apparentent aux quartiers insalubres d’autres pays dits « en développement ».

Les Arabes israéliens : une minorité nationale discriminée

Malgré la guerre de 1948, des Palestiniens sont restés sur le territoire d’Israël. La plupart n’ont pu cependant rester dans leur ville ou village d’origine détruits ou occupés par les nouveaux immigrants juifs : ce sont donc des réfugiés de l’intérieur.  Jusqu’en 1965, ils seront d’ailleurs soumis à la loi militaire, considérés comme des ennemis potentiels.

Ils représentent actuellement 20% de la population (1,3 million). Cette population est composée de 75% de musulmans (dont les Bédouins), 15% de chrétiens et 10% de Druzes. Souvent accusés de soutenir la cause palestinienne au détriment d’Israël, les Arabes israéliens sont victimes d’innombrables discriminations en matière d’accès aux services publics, à l’éducation, à la santé et à l’emploi, aux logements sociaux. Le budget alloué aux villes arabes est nettement inférieur à celui des villes juives, leurs écoles et hôpitaux sont sous-financés et le chômage frappe 40% des hommes de 45 à 54 ans contre 17% chez les Juifs. Pire, cette population subit un racisme croissant . Ainsi en 2005, selon un sondage du Jaffa Center for Strategic Studies, 31% des Israéliens sont favorables à son transfert hors d’Israël.

http://www.momento-production.com/article.php3?id_article=254: référence au film “Un arpent sur la lune” : l’histoire du village de Ein Houd, pris en 1948 ; confrontation nouveaux/anciens habitants.


[1] Voir le site de l’ONU : http://www.un.org/depts/dpa/ngo/history.html

[2] Groupe d’historiens israéliens qui ont étudié les archives britanniques et israéliennes après qu’elles  aient été ouvertes en 1978. Ils remettent en cause l’histoire officielle de la naissance d’Israël. Parmi eux : Ilan Pappé, Benny Morris.

[3] Benny Morris cité dans Dominique VIDAL, Le péché originel d’Israël. L’expulsion des Palestiniens revisitée par les « nouveaux historiens » israéliens, Paris, 1998. pp. 61-62

[4] Chiffres variant suivant les sources. Dominique VIDAL, ibidem, p.82, note 2.

[5] Benny Morris cité par Dominique VIDAL, ibidem, p. 69.

[6] Dominique VIDAL, ibidem, chapitre III.

[7] Voir fiche « Nations Unies : résolutions et institutions »

[8] Voir http://www.badil.org/Refugees/refugees.htm

[9] Le problème est faussé puisque, dès le début, Israël empêche leur retour.

[10] Cette loi est restée d’application notamment pour les réfugiés de 1967.

[11] Les « déplacés » de 1967 ne sont pas inscrits comme tels. La définition de réfugiés par l’UNRWA est : “toute personne qui a eu sa résidence normale en Palestine au moins pendant deux ans avant le conflit de 1948 et qui, en raison de ce conflit, a perdu à la fois son foyer et ses moyens d’existence et a trouvé refuge en 1948 dans l’un des pays où l’UNRWA assure des secours”. En fait, aujourd’hui, 60 % de la population palestinienne est réfugiée.

Pour en savoir plus :

http://www.france-palestine.org/article17.html : la question des réfugiés palestiniens

http://www.france-palestine.org/article1877.html : texte d’une intervention d’Elias SANBAR, sur le droit au retour

http://assembly.coe.int/Documents/WorkingDocs/Doc03/FDOC9808.htm : description de la situation des réfugiés palestiniens en 2003 (document de l’Assemblée parlementaire européenne)

http://www.deiryassin.org/index1.html

http://www.alnakba.org/villages/villages.htm

http://www.un.org/unrwa

http://www.badil.org

Encart : Statistiques au 31 mars 2006

Zone géographique

Nombre de camps officiels

Nombre de réfugiés

Jordanie

10

1.835.704

Liban

12

405.425

Syrie

10

434.896

Cisjordanie

19

705.207

bande de Gaza

8

993.818

Total

59

4.375.050

Source : United Nation Relief and Work Agency (UNRWA), 2006     http://www.un.org/unrwa

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