Au camp de réfugiés de Bourj al-Barajneh, au Sud de Beyrouth, un centre pour personnes âgées fait office d’oasis par rapport aux conditions de surpeuplement et de saleté à l’extérieur de ses portes en métal.
Récemment, en un jeudi matin, un groupe d’hommes et de femmes dans leur soixantaine et septantaine s’est réuni autour d’une table afin de dessiner et colorier des photos, alors que d’autres résolvent des mots-croisés. Une femme assise dans un coin se concentre minutieusement alors qu’elle brode une robe traditionnelle palestinienne. Ce lieu dans le camp de réfugiés est un endroit où ils peuvent passer du temps, socialiser, et partager des repas.
On les appelle les « Enfants de la Nakba » – une génération de Palestiniens qui fut témoin de, et qui survécut à, l’expulsion forcée et les violences commises en 1948 par les groupes paramilitaires sionistes – au nom de l’État israélien naissant.
Ils ont chacun une histoire concernant la manière dont leurs parents réussirent à fuir leur terre natale il y a plus de soixante ans. Et les blessures sont toujours vives.
Quelques six millions de réfugiés palestiniens sont éparpillés de par le monde – dont 400 000 rien qu’au Liban. Ici, on les prive des droits élémentaires, ils ne peuvent acheter ou vendre une propriété, et l’exercice d’une septantaine de professions leur est interdit. Embourbés dans une pauvreté abjecte, ils dépendent de l’aide de l’agence des Nations Unis de plus en plus incapable.
Un « nombre symbolique » de retours
Les Papiers Palestiniens (Palestine Papers) montrent que les négociateurs de l’Autorité Palestinienne étaient prêts à faire d’énormes concessions en ce qui concerne le droit au retour de ces réfugiés : sur le nombre qui pourrait éventuellement retourner dans leur foyer situé aujourd’hui en Israël ; sur le fait que les réfugiés pourraient ou donner leur avis sur un quelconque accord de paix ; et sur le nombre de réfugiés qui pourraient s’installer dans un futur état palestinien.
Dans un courriel, Ziyad Clot – conseiller juridique des négociateurs palestiniens en ce qui concerne les réfugiés – écrit « le Président Mahmoud Abbas a fait une proposition extrêmement basse en ce qui concerne le nombre de retours en Israël quelques semaines à peine après le début du processus. »
Les Papiers révèlent également qu’Ehud Olmert, l’ancien premier ministre israélien, proposa que 1000 réfugiés palestiniens puissent revenir annuellement en Israël et ce durant une période de cinq ans – totalisant à peine 5000, une infime portion des déplacés lors de la création d’Israël.
Le 15 janvier 2010, Erekat déclara à David Hale – diplomate américain – que les Palestiniens avaient proposé à Israël le retour d’un « nombre symbolique » de réfugiés.
Selon les documents, les officiels palestiniens n’ont pas seulement proposé un faible nombre de retours, mais Saeb Erekat – chef des négociateurs de l’OLP – alla même jusqu’à déclarer que les réfugiés n’auraient pas le droit de voter sur un éventuel accord de paix avec Israël.
Des notes d’une réunion du 23 mars 2007, entre Erekat et Karel De Gucht (ancien ministre belge des affaires étrangères), révèlent qu’Erekat ait dit, « Je n’ai jamais dit que la Diaspora voterait. Ça n’arrivera pas. Le referendum concernera les Palestiniens de Gaza, de la Cisjordanie, et de Jérusalem-Est. On ne peut le faire au Liban. On ne peut le faire en Jordanie. »
Alors que durant de telles rencontres Erekat concède le droit des réfugiés à déterminer leur propre sort, les négociateurs israéliens ne cachent pas leur vision par rapport à la question des réfugiés.
Le 27 janvier 2008 lors d’une réunion de négociation, Tzipi Livni – alors ministre israélienne des affaires étrangères – informa ses interlocuteurs palestiniens que « Votre état sera la réponse pour tous les Palestiniens, en ce compris les réfugiés. Mettre fin aux revendications (du droit au retour) signifie la réalisation de nos droits nationaux à tous. »
Erekat semble être séduit par cette idée. Lors d’une rencontre avec des diplomates américains et George Mitchell, l’envoyé spécial américain pour le Moyen Orient, Erekat dit, « les Palestiniens devront savoir que cinq millions de réfugiés ne pourront pas revenir. Leur nombre sera déterminé comme l’une des options. Le nombre de réfugiés qui pourra aussi retourner vers leur propre état dépendra de la capacité annuelle d’absorption. »
Donc même un futur état palestinien ne pourrait pas s’accommoder de millions de déplacés qui voudrait s’y installer.
Al Jazeera s’est entretenu avec près de quarante réfugiés du camp de Burj al-Barajneh, âgés entre 16 et 88 ans, et ils expriment tous un même sentiment : ils veulent retourner vers leur terre natale, et avoir leur dire dans l’accord final qui serait conclu entre l’OLP et Israël.
Shafiqa Shalan, âgée de 60 ans et qui est née à Burj al-Barajneh, dit ne pas vouloir être relogée en Palestine. « Quelle est la différence ? Nous sommes des réfugiés au Liban et nous serions des réfugiés en Cisjordanie. Donc autant rester ici. Je ne considérais pas la Cisjordanie comme ma maison. Ma terre natale est le village dont mes parents ont été expulsés. »
Ce sentiment trouve un écho parmi les jeunes habitants du camp. Ruwaida Al-Daher, 47 ans et également née à Burj al-Barajneh s’exprime de la sorte : « Nous demandons le droit de retourner parce que celui qui n’a pas de pays n’a pas de dignité. Nous vivons ici comme des chiens. Mais je continuerai à m’opposer à un retour vers la Cisjordanie ou Gaza. Pourquoi voudrais-je retourner quelque part si ce n’est pour mon village natal ? »
Al-Daher dit ne pas vouloir devenir citoyenne libanaise si l’opportunité lui était offerte suite à un accord de paix et que les négociateurs palestiniens n’avaient aucun mandate pour faire de telles concessions en son nom.
« Le droit au retour est un droit personnel. Il est sacré. Personne ne peut l’annuler ou me l’enlever. »
« Nous mourrons ici »
Hussam Assairy, mécanicien de 22 ans, explique qu’il irait à Haïfa – ville natale de ses grands-parents – si l’opportunité lui en était donnée.
« Je préfèrerais vivre dans le camp que de devenir citoyen libanais et renoncer à ma nationalité palestinienne, » dit-il. Quant à voter sur un futur accord, il est évident pour lui que « tout Palestinien devrait pouvoir voter. La Palestine ne concerne pas uniquement ceux qui y habitent. C’est également la nôtre. »
« C’est la nôtre plus que la leur, » s’exclame Sara Ghannoum âgée de 20 ans. « Ils peuvent y vivre là, alors que nous en sommes privés. »
Pour les réfugiés de Burj al-Barajneh, le retour vers la ville ou le village natal est la seule option concevable.
« Je suis prêt à marcher vers la Palestine, vers mon pays, » affirme le septuagénaire Kamel Shraydeh. « J’y pense jour et nuit, car comme le dit le proverbe « Celui qui marche en terre étrangère se perd » ». Après tant de décennies, le Liban demeure un contrée étrangère qu’il ne peut appeler maison.
Malgré ces rêves, beaucoup se sont résignés à une vie passée dans les camps. Au centre pour personnes âgées autour du déjeuner, un groupe de femmes se remémorent leurs dizaines d’années passées à Burj al-Barajneh.
« Nous sommes nées ici et nous vieillissons ici, » explique Asiya al-Ali, 65 ans. « Et nous mourrons ici, » ajoute une autre avec résignation.
Même ainsi, à travers le camp, les réfugiés s’accrochent à l’espoir qu’un jour leur situation changera. Il y a des signes qui indiquent qu’ils placent cet espoir dans leurs dirigeants – ces mêmes dirigeants qui ont montré leur bonne volonté à compromettre ce droit au retour.
Pour nourrir ces espoirs, des posters aux murs délabrés avec la photographie d’un souriant Mahmoud Abbas – président de l’AP – et les mots : « Ferme sur les principes ».
Laila Al-Arian, 25 janvier 2011, AJE : PA selling short the refugees
Traduction : NVC