Aeham Ahmad : L’oiseau chanteur de Yarmouk

Bulletin N°67

Par Sophie Feyder

L’image fit sensation sur les réseaux sociaux en 2014 : planté au beau milieu d’un paysage apocalyptique de destruction totale, un pianiste jouant à son piano, défiant la folie d’une guerre civile avec sa musique et ses chansons. Le pianiste, compositeur et chanteur palestinien Aeham Ahmad, 28 ans, devint une icône internationale incarnant l’espoir pour avoir joué dans les rues de Yarmouk, un camp de réfugiés palestiniens à la périphérie de Damas. Etabli en 1957 pour accueillir les Palestiniens fuyant la guerre en Israël, Yarmouk abritait la plus grande communauté palestinienne de la Syrie, avant que la guerre civile ne réduise sa population à néant. Sur les vidéos d’amateurs qui ont fait le tour du web, on voit Ahmad pousser son piano, peint aux couleurs du drapeau palestinien et monté sur un petit chariot, se frayer un passage dans les ruines et les décombres, accompagné d’une chorale improbable composée de personnes de tous âges.

Ahmad commença l’étude du piano à l’âge de 6 ans. Il étudia au conservatoire de Damas, puis à celui de Homs, le berceau de la révolte anti-al Assad. La guerre civile l’obligea à interrompre ses études de musique et à rentrer à Yarmouk en 2012. Ahmad trouva dans la musique une voie pour résister aux pressions à rejoindre une milice. « Nos choix sont limités et glauques dans Yarmouk—nous devons soit rejoindre une des parties du conflit soit attendre la mort. Je dis qu’il vaut mieux chanter en attendant la mort ».

En 2014, Ahmad commença ses récitals en plein air, offrant ses chansons aux habitants de Yarmouk, ceux qui n’avaient pas les moyens de fuir le siège imposé depuis juillet 2013 par les forces gouvernementales. Ses chansons devinrent vite populaires, car leurs paroles décrivaient les difficultés que les habitants de Yarmouk rencontraient au quotidien: le manque de nourriture, d’eau et de médicaments, la propagation de maladies (notamment la typhoïde et la jaunisse), le poids de l’absence des milliers d’habitants qui avaient pris la route. Ses chansons imploraient d’ailleurs ses pairs de rester à Yarmouk et de résister aux appels à la violence. Surnommé l’oiseau chanteur de Yarmouk, Aeham Ahmad insufflait un vent d’espoir et de joie grâce à la musique qu’il répandait autour de lui.

Mais tout s’arrête brutalement en avril 2015 lorsque les forces de l’Etat islamique prennent le contrôle du camp. Hostiles à tout art et donc à toute musique, ses milices finissent par brûler son instrument. « Ils l’ont brûlé en avril, le jour de mon anniversaire. C’était l’objet que je chérissais le plus au monde. C’était pour moi comme la mort d’un ami». Pendant un temps, il s’entête à jouer sur un clavier électronique. Mais après trois ans de siège, de famine et de bombardements, Aeham se sent las. Il quitte Yarmouk avec sa femme et ses deux fils, et se prépare au  périple qu’il refusait d’envisager jusqu’alors :d rejoindre l’Europe à pied, comme des milliers d’autres Syriens.

Des trafiquants de chair humaine 

Son voyage commence fin août à Damas, «sous une pluie de roquettes». Il rejoint Homs, Hama et Idleb et parvient jusqu’à la frontière turque. A chaque étape, il rencontre « des trafiquants de chair humaine ». Pour éviter les contrôles, il emprunte une route montagneuse risquée, se cachant trois nuits de suite dans une forêt avec un groupe d’hommes, de femmes et d’enfants. « Il nous est arrivé de rester 24 heures presque sans nourriture. Les enfants pleuraient tant ils avaient faim. C’était horrible. »

Arrivé en Turquie, il est logé dans un appartement «plein de rats et d’insectes» par un trafiquant qui l’emmène ensuite dans un mini-bus entassé presque jusqu’à l’étouffement vers un lieu où ils doivent embarquer pour l’île grecque de Lesbos. Il paie 1250 dollars pour rejoindre la Grèce sur un canot pneumatique. Il continue son périple en passant par la Macédoine, la Serbie, la Bosnie puis la Croatie. Le parcours est difficile, sautant d’un bus à l’autre, marchant parfois des dizaines de kilomètres, et s’arrêtant quand il le peut dans des camps de réfugiés pour prendre quelques jours de repos. Le 23 septembre, il traverse à pied la frontière autrichienne et arrive enfin en Allemagne.

 Le 18 décembre, Aeham Ahmad reçoit à Bonn le Prix international Beethoven pour les droits de l’Homme, la paix, l’intégration et le combat contre la pauvreté. Ahmad vit à présent dans un centre de réfugiés à Munich et attend que sa famille puisse le rejoindre.

 

 

 

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