Palestiniens réfugiés en Belgique

Bulletin N°67

Par Marianne Blume

Les Palestiniens n’ont toujours pas d’Etat, la majorité d’entre eux sont déjà des réfugiés depuis 1948 et 1967, le droit au retour a fait l’objet d’une résolution de l’ONU (194) et a été confirmé à plusieurs reprises par notamment les résolutions 394 ou 513, on peut alors à juste titre se demander pourquoi les réfugiés palestiniens d’Irak et de Syrie doivent s’exiler encore et cette fois en Europe. Ces Palestiniens devraient pouvoir rentrer en Palestine, rentrer chez eux. Peut-être ne le feraient-ils pas tous en pratique mais ce droit devrait leur être reconnu et les pays européens si réticents à recevoir les réfugiés devraient en exiger l’application de la part d’Israël.

J’ai rencontré à Bruxelles un Palestinien du camp de Yarmouk (Syrie) : cet homme a tout perdu. Y compris une partie de sa raison.

Témoignage de B*

B* est un réfugié palestinien de Gaza, il a aujourd’hui 22 ans. Sa famille est originaire de la bande de Gaza. Quand il a eu 12 ans, son père a été victime d’un accident vasculaire cérébral. Alors que celui-ci travaillait en Israël et gagnait « bien » sa vie, il s’est retrouvé handicapé et en incapacité permanente de travailler. B* a donc dû quitter l’école et chercher un boulot. Bien que sa famille n’appartienne pas au Hamas, ce sont des œuvres de charité du Hamas qui l’ont employé. Enfant, il a donc transporté des bonbonnes de gaz. A certaines périodes, il avait deux emplois… Il travaillait dans un élevage de poissons le jour et, la nuit, était gardien du lieu. Quand la situation a Gaza s’est détériorée et que le Hamas a essayé de contrer le blocus, on lui a demandé de travailler dans les tunnels. Il a d’abord refusé. Puis devant la peur de perdre son emploi, il est allé au turbin. Un jour, un ami est mort sous ses yeux dans le tunnel suite à un effondrement. Il a alors décidé d’arrêter. Ce que ses employeurs n’ont pas accepté et il a été alors mis en prison. Puis relâché. Il a alors décidé de partir : outre qu’il ne voyait pas d’avenir à Gaza, il avait peur que sa famille ne subisse les conséquences de son refus. Il a donc demandé un visa d’étudiant pour la Turquie. Et il est parti durant l’attaque israélienne contre Gaza en 2014. « Je n’oublierai jamais les morts et les destructions. Ces images me hantent », dit-il d’une voix faible. « La maison voisine a été bombardée, il y avait des morts partout… ».

Arrivé en Turquie, il a cherché un travail à la fois pour nourrir sa famille et épargner de quoi partir en Europe. A la question de savoir pourquoi il n’est pas resté en Turquie puisqu’il parle le turc, il répond simplement qu’il n’y a pas de droit de résidence en Turquie. Il a donc travaillé pendant huit mois « au noir », dans des restaurants principalement. Il a logé dans des arrière-cours, des réserves de magasins, parfois dans un petit appartement. Surexploité, travaillant parfois 14 heures par jour, il a fini par avoir assez d’argent pour partir.

« Je suis allé sur une place connue en Turquie. Là, se réunissent tous les passeurs. On discute les prix et on demande aux amis ou connaissances lequel des passeurs est le plus fiable. Le gouvernement est au courant… » Objectif: Cos. On part de nuit. On attend cachés. On monte sur le bateau pneumatique qui, prévu pour 20 personnes, en entasse 40 et plus : femmes, enfants, hommes. Serrés comme des sardines, cherchant à équilibrer la charge. B* dit n’avoir pas payé trop cher : 150 euros. La mer, l’obscurité, l’embarcation qui tangue dangereusement, les trafiquants qui menacent, les sacs que l’on jette à la mer pour alléger le bateau… La peur et l’espoir. « Je suis arrivé à Cos. De là, je devais encore arriver sur le continent. Au milieu de l’eau, la police nous a attrapés et emmenés sur l’île de Lesbos, à Mytilène où il y a un camp de regroupement. Nous avons marché jusqu’au camp de regroupement. Là, nous avons dormi. Dehors, à même le sol. Puis,  ils nous ont conduits à la frontière macédonienne. Et on a encore marché. » Jusqu’à la frontière serbe. « Là, c’était un peu plus difficile. La police était présente. On nous disait « allez par là » et on suivait la route, grâce à nos GSM. J’ai dormi dans des fossés, dans des bois, sous la pluie, dans la chaleur. J’ai vu des enfants affamés, des gens qui demandaient à boire. Je suis parti la peur au ventre dans un village pour y trouver de l’eau et heureusement il y avait là des fontaines publiques. C’était effrayant. J’ai aidé des familles. Le long des routes, il y avait des gens qui nous donnaient à manger ou des couvertures. Parfois, des voitures prenaient des gens pour les conduire plus loin. . A un endroit (Belgrade ?), des bus nous ont conduits vers la Hongrie… »  La Hongrie : une frontière étroitement surveillée, des policiers très stricts et violents. « Après un ou deux jours d’arrêt, on a réussi à passer. On a marché encore jusqu’à Budapest. Pour prendre le train vers l’Autriche et l’Allemagne. A la gare, c’était le chaos intégral. D’abord, on ne pouvait pas acheter de billet. Puis nous avons pu mais il n’y avait pas assez de trains. Des bagarres. La police… Mais, Dieu soit loué, je suis monté avec deux compagnons de route dans un train vers l’Autriche et puis je suis arrivé en Allemagne. Là, la police nous a arrêtés pour qu’on aille se faire enregistrer et donner nos empreintes. Je ne voulais pas rester en Allemagne, je me suis échappé. Mes amis ont été pris. » En Allemagne, un dame solidaire l’a pris en voiture jusqu’à la frontière belge. Après ce périple de plus d’un mois, B* est arrivé épuisé au Parc Maximilien. Où la solidarité a joué. Il a pu rapidement faire sa demande d’asile, a eu un premier entretien et attend depuis maintenant 5 mois d’être régularisé. « Le plus dur pour moi, c’est moins l’attente que cette inactivité forcée. Je finis comme tout le monde par dormir pour faire passer le temps. Pourtant, je suis jeune, j’ai deux bras et je suis prêt à travailler. Je n’imaginais pas l’Europe comme ça. Je suis parti de chez moi pour enfin vivre en sécurité, pour avoir un futur. Vous savez ce que c’est, Gaza…Je suis inquiet pour ma famille : je voudrais pouvoir l’aider. » B* est un jeune homme raisonnable et donc il prend patience mais psychologiquement, c’est dur. Néanmoins, il rêve : avoir un travail, se marier, vivre sans occupation, sans bombes, sans tunnels, en paix tout simplement.

Témoignage de A*

A* est aussi de Gaza mais c’était déjà un réfugié, il habitait dans un camp dans la région centrale de la bande de Gaza. Sa famille avait été chassée en 1948 et lui, fils et petit-fils de réfugié, demande aujourd’hui un statut de réfugié à la Belgique. A* a fait des études d’infirmier, il parle anglais et a un vrai don pour les langues. Dès son arrivée en Belgique au Parc Maximilien, il a voulu faire sa part et s’est porté volontaire, comme traducteur, auprès de Médecins du Monde. Malheureusement, depuis que l’administration a décidé de le transférer dans un centre éloigné de Bruxelles et peu desservi par les transports en commun, il se morfond. Il a bien le droit de sortir du centre 15 jours par mois (avec ticket de train) mais comment faire quand on ne reçoit que 7,40 euros par semaine ?

Son périple est à peu de choses près le même que celui de B*. Il va aussi en Turquie, y travaille, réunit la somme nécessaire et se lance sur un bateau pneumatique au péril de sa vie. Pourquoi doit-il quitter sa terre alors qu’il est diplômé et que sa famille n’a pas besoin de son aide financière ? C’est simple. Il et diplômé mais ne trouve pas de travail. Le chômage à Gaza avoisine les 45%. Et de plus, il faut être du bon parti pour obtenir un emploi quand il y en a. Un de ses frères a été emprisonné par le gouvernement actuel du Hamas. La famille a peur. Difficile dans ces conditions de trouver un emploi. « J’ai fait des études que j’aime pour pouvoir travailler. C’était un peu mourir que de rester à la maison à ne rien faire ou de faire des petits boulots sans intérêt. Je ne voulais pas m’affilier au parti qui gouverne. Je n’ai vu qu’une solution : partir. » Partir mais la seule issue, le passage de Rafah, est fermé par l’Egypte et par Israël, c’est impossible. Alors commence l’attente. Les bagages sont faits. La guerre menée par Israël contre Gaza gronde. Et là encore, le jeune homme décrit des scènes d’apocalypse. Un jour, il entend à la radio que le passage est ouvert. Au risque de mourir sur la route, un de ses frères le conduit jusqu’à Rafah. Il soudoie un officier égyptien et le voilà dans un bus pour l’aéroport du Caire. Comme B*, il est enfermé avec d’autres Palestiniens dans une salle de transit où il restera une semaine avant de pouvoir prendre l’avion. Son récit recoupe celui de B*. « Il faut payer le garde pour aller aux toilettes, un sandwich coûte les yeux de la tête, une bouteille d’eau aussi. Pas de couverture. On dort par terre. Il y a là des familles entières. Tout ça parce qu’on est Palestiniens. Nous sommes opprimés par Israël, par l’Egypte et par notre propre gouvernement. » Arrivé en Turquie, il cherche un boulot, un logement. Et comme B*, il épargne pour aller en Europe. Et commence alors le long périple : bateau pneumatique, passeurs, police, marches, violence policière, faim et soif, froid et chaleur, misère humaine…  Il sait qu’il ne faut pas laisser prendre ses empreintes s’il veut arriver en Allemagne ou en Belgique. Il évite soigneusement de le faire. L’Allemagne ne lui plaît pas. Et il arrive en Belgique où il demande l’asile. Il attend maintenant dans son centre pour réfugiés-que nous avons baptisé « camp de la forêt »- son deuxième entretien et son statut de réfugié. Il était invité par Médecins du Monde à une fête pour les bénévoles mais comme il n’y a pas de bus le samedi pour le mener à la gare et qu’aucun employé n’a voulu l’y conduire, il est resté se morfondre dans le centre…

 

 

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