L’enseignement de l’art en Palestine, par Tina Sherwell.

Bulletin n°76

Tina Sherwell a dirigé pendant près de dix ans l’Académie Internationale des Arts à Ramallah. Elle prépare actuellement la création du nouveau programme en arts visuels au sein de l’Université de Birzeit. L’enseignement de l’art dans les universités palestiniennes est encore récent et confronté à de nombreux défis. Son développement, parallèlement à celui de la scène artistique locale, permet aux artistes palestiniens de participer, malgré les contraintes, à vie artistique internationale.

 

L’éducation artistique dans les écoles et les établissements d’enseignement supérieur a une histoire récente en Palestine et son développement est confronté à de nombreux défis. Les conséquences de cette réalité sont que la production artistique palestinienne a commencé à partir de nombreux points de départ différents et que les artistes ont été influencés par les différents contextes de leurs situations respectives. Il est important de noter que la guerre de 1948 a eu un impact majeur sur le développement de la société palestinienne et de ses institutions, fragmentant sa population, la transformant en réfugiés et détruisant le tissu social de la société et son développement. Une grande partie des œuvres d’art produites avant 1948 a été détruite ou perdue, car les œuvres se trouvaient chez des particuliers et, jusqu’aujourd’hui, les Palestiniens s’emploient à retrouver et récupérer des informations et des objets perdus de cette période et à écrire leur histoire de l’art.

Jusqu’il y a peu, il n’existait pas d’école d’art officielle en Palestine, il n’y a pas d’académie nationale d’art ou de musée national d’art. Sous l’occupation, l’art comme l’agriculture étaient des disciplines qui ne pouvaient être reconnues dans les établissements d’enseignement supérieur, selon la Ligue des artistes palestiniens qui a œuvré dans les années 70-90 pour promouvoir les possibilités offertes aux  artistes. Par conséquent, un grand nombre d’artistes de l’ancienne génération étaient autodidactes ou avaient étudié dans les pays arabes voisins tels que la Syrie, l’Égypte ou l’Irak ou plus loin encore quand c’était possible. Plus récemment, des bourses pour étudier à l’étranger sontoctroyées, en particulier pour des études de troisième cycle, car il y a très peu de programmes de Masters dans le domaine des arts en Palestine ; ainsi, jusqu’aujourd’hui, toute personne désireuse de poursuivre ses études dans ce domaine doit le faire à l’étranger. De nombreux artistes palestiniens vivant en Israël ont étudié dans des institutions israéliennes alors que ceux qui vivent en diaspora ont étudié dans leurs pays respectifs. Il en résulte donc une multitude de formations et d’approches artistiques, à travers les générations, et le travail des artistes palestiniens a grandi et s’est développé dans divers endroits. Cependant, l’absence de reconnaissance de l’identité palestinienne signifie que ce sujet est devenu pour de nombreux artistes une question centrale de leur pratique. Tout au long des années d’occupation, les manifestations de l’expression culturelle se sont heurtées à des représailles. Les Palestiniens ne pouvaient pas représenter le drapeau palestinien ou associer ses couleurs dans leur travail. La tenue d’expositions nécessitait la permission des autorités militaires, des peintures étaient confisquées et des livres interdits, alors que l’affirmation de leur identité culturelle était au centre du travail des artistes, dans un contexte où il n’y avait pas de galeries, pas de musées, ni d’écoles d’art mais surtout de sérieuses entraves à la circulation et à la diffusion de l’art. Les artistes ont également été confrontés au risque d’être coupés du monde de l’art et de celui de leurs pairs dans les pays voisins.

Aujourd’hui, l’art peut être étudié dans plusieurs universités : l’université Al Qods (Jérusalem-Est), l’université An Najeh (Naplouse), Dar Al Kalima (Bethléem) et plus récemment l’université de Birzeit (près de Ramallah) ainsi que des universités de Gaza. Ces programmes sont reconnus par le Ministère palestinien de l’Enseignement supérieur et dispensent une formation générale aux arts visuels. Ils sont accessibles aux étudiants qui ont terminé leurs études secondaires, et chaque université propose des bourses d’études pour soutenir les étudiants ayant des difficultés financières. Il faut rappeler que les étudiants de Cisjordanie ne peuvent se rendre ni à Jérusalem ni en Israël et n’ont donc qu’un accès limité aux expositions et aux musées, tandis que les étudiants de Gaza n’ont pas le droit de quitter la bande de Gaza. Les étudiants en art sont donc particulièrement isolés du monde de l’art ainsi que les uns des autres. Ainsi, tout étudiant de Cisjordanie désireux de participer à un voyage d’échange ou de participer à un workshop international doit se rendre à Amman en Jordanie comme point de départ vers le reste du monde plutôt que de Palestine-même.

Entre 2006 et 2017, a existé une institution unique, l’Académie internationale d’art de Palestine (IAAP), établie à El Bireh (Ramallah), sous l’égide de l’Association palestinienne d’art contemporain, fondée par d’éminents artistes comme Suleiman Mansour, Nabil Anani ou Tayseer Barakat. L’Académie organisait un baccalauréat en arts visuels contemporains accrédité par l’Académie nationale des arts d’Oslo et soutenu depuis sa création par le ministère norvégien des Affaires étrangères et le bureau local de la Représentation norvégienne auprès de l’Autorité palestinienne. Ce programme a fourni des bourses à tous les étudiants qui y ont étudié, et a accueilli des étudiants de toute la Palestine, dont l’âge allait de 18 à 50 ans ; parmi eux, beaucoup reprenaient des études ou complétaient un autre diplôme d’études. L’Académie était particulièrement préoccupée de la façon d’enseigner l’art contemporain d’une manière qui tienne compte de l’étendue du champ historique, théorique et pratique du domaine, et qui aborde le savoir local, le contexte géopolitique et les réalités vécues en Palestine.

Le baccalauréat était interdisciplinaire et offrait une expérience d’apprentissage unique aux étudiants en peinture, dessin, sculpture, 3D, installation, photographie, vidéo, film, son, performance et art socialement engagé, études historiques et théoriques. L’enseignement était dispensé par des conférenciers invités renommés, locaux et internationaux, praticiens actifs à travers le monde et offrant une expérience d’apprentissage unique et des perspectives transversales sur la pratique de l’art contemporain. Plus de 200 artistes ont rendu visite et enseigné à l’Académie durant dix ans. Les études théoriques ont été spécifiquement conçues pour aborder le contexte local de la Palestine dans un cadre plus large d’études critiques et historiques. Ce profil a fourni une base pour ancrer la pratique des étudiants et leur permettre de s’engager dans des débats artistiques et culturels sur une plate-forme locale et internationale. Beaucoup d’entre eux, après avoir obtenu leur diplôme, ont poursuivi leur maîtrise dans les meilleurs établissements du monde entier. « L’initiative la plus innovante et la plus réussie que la Norvège ait financée dans les territoires palestiniens est sans aucun doute l’Académie internationale d’art de Palestine. L’Académie a contribué à briser les barrières de la compréhension traditionnelle et des définitions des arts en Palestine. » L’Académie des Arts «apporte le monde de l’art aux étudiants et à la Palestine». (Evaluation of the Strategy for Norway’s Culture and Sport Cooperation with countries in the South, Nordic Consulting Group, 2011).

L’Académie a dû fermer ses portes en 2017, en raison de défis liés à sa viabilitéet du fait que sa petite taille l’empêchait de recevoir une accréditation locale pour son programme. Son savoir et son expérience ont été transmis à l’Université de Birzeit pour la création d’un nouveau programme en arts visuels contemporains dans le cadre d’une nouvelle faculté « art et musique » qui comprendra des cours de design, arts de la scène et musique arabe et qui sera logée sur le campus dans un bâtiment spécialement adapté pour les arts créatifs.

Aujourd’hui, il y a eu une transformation significative de la scène artistique en Palestine, avec la présence de galeries et d’institutions dédiées aux arts visuels, avec leurs programmes, leurs expositions, publications, résidences et projets. Il existe pour les artistes des possibilités locales, régionales et internationales ; des artistes palestiniens se retrouvent dans le circuit de l’art international, participant à des expositions et des événements majeurs dans le monde entier. Des défis subsistent, car de nombreuses institutions locales dépendent du financement de donateurs pour leur travail et leurs projets, et les artistes se débattent avec les contraintes des facteurs locaux, régionaux et internationaux qui façonnent les mondes de l’art.

Traduit de l’anglais par Thierry Bingen

 

Photo ©Khaled Jarrar
(Photographe né à Jénine en 1976.)
Concret #3
Diamètre de 16 cm/ Concret/béton/unique pièce, 2012

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