Le territoire de la Palestine historique, situé entre la mer Méditerranée et le Jourdain -soit Israël et le Territoire Palestinien Occupé (TPO) – compte aujourd’hui près de 10,5 millions d’habitants. Pour tous les usages individuels et collectifs, leurs besoins en eau sont d’environ 2,1 milliards de m³ par an, soit en moyenne 202 m³ par personne. C’est extrêmement peu, comparé à la consommation moyenne des pays d’Europe occidentale. Une consommation supérieure serait en réalité difficile car les réserves sont limitées par le climat et par la géographie.
En altitude, sur la rive occidentale du Jourdain, ainsi qu’en Galilée, région au climat semi-désertique, il ne pleut qu’en hiver. Le Jourdain est le principal cours d’eau, mais il ne représente pas grand-chose en comparaison de fleuves comme le Nil, l’Euphrate et le Tigre. Quasiment toute l’eau disponible est d’ores et déjà exploitée et il n’existe guère de réserves complémentaires. Aussi les habitants de cette région doivent-ils composer avec une situation d’extrême rareté de l’eau. Si l’eau disponible était bien gérée et utilisée de façon rationnelle, Israéliens et Palestiniens pourraient mener une vie tout à fait décente. Ce n’est malheureusement pas le cas.
Eau et occupation
Alors que les Territoires palestiniens occupés contribuent pour 47% au système aquifère de la Palestine historique , la Banque mondiale estime que 90% de l’eau de la Cisjordanie est utilisée au profit d’Israël, les Palestiniens ne disposant que des 10% restants.
Avec l’occupation, depuis 1967, de la rive occidentale du Jourdain et des hauteurs du Golan syrien, c’est-à-dire du cours supérieur du Jourdain, Israël instaure une législation militaire et s’assure ainsi le contrôle des principales réserves d’eau. En effet, au mépris du Droit international et de la IVe Convention de Genève, Israël applique une loi de 1959 faisant de l’eau « une propriété soumise au contrôle de l’État ».
De ce fait, les Palestiniens ne peuvent pratiquement plus pomper l’eau souterraine des abondantes nappes de la Cisjordanie (l'”aquifère de montagne”), leur principale réserve d’eau. Et puisque la vallée du Jourdain est bouclée par l’armée, ils n’ont pas davantage accès à l’eau du Jourdain.
En surface, les deux-tiers des eaux provenant de la vallée du Jourdain (1300-1500 millions de m par an) sont utilisés par Israël et ce qui en arrive dans le TPO est impropre à la consommation du fait que son taux de salinité dépasse les normes de sécurité.
Depuis 1967, la population a plus que doublé mais la quantité d’eau qu’elle a le droit d’utiliser a à peine augmenté. Du fait que la population palestinienne vit majoritairement des revenus de l’agriculture, les puits d’eau sont vitaux pour son économie. Mais depuis l’occupation, les Palestiniens doivent solliciter l’autorisation de l’armée pour forer de nouveaux puits ou réparer les anciens, moderniser les installations de pompage, poser de nouvelles canalisations. Ce qui leur est systématiquement refusé avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer pour la population des villages (sur les 350 puits fonctionnant aujourd’hui, seuls 23 ont été forés depuis l’occupation). Un grand nombre de plantations d’agrumes et d’oliviers a été détruit par les Israéliens sous prétexte qu’elles étaient “illégales”. Des citernes séculaires et des réservoirs souterrains artificiels, datant parfois de l’époque romaine, deviennent subitement “illégaux” lorsque l’armée israélienne ou une colonie les confisquent et s’installent sur des terres voisines. L’armée israélienne et les colonies juives s’étant approprié la majeure partie des terres arables fertiles et des puits, de nombreuses familles ont ainsi perdu leur source de revenus. Sous des prétextes sécuritaires, ce système se renforce de l’injuste « loi des absents » et par la proclamation de « zones ou régions spéciales ». Conformément à l’ordonnance militaire sur la « propriété abandonnée » (ordre n°58 de 1967), Israël prend possession de ces terres, expropriant de cette façon un nombre inconnu de puits qui étaient utilisés par les Palestiniens ayant subi l’exode de 1948, ou n’ayant plus d’accès à leur terre pour des raisons de « sécurité » et depuis considérés comme « absents » .
La construction du Mur a eu aussi des répercussions sur l’approvisionnement en eau des Palestiniens, dès lors qu’un quart des puits d’eau qu’ils utilisaient à des fins agricoles se retrouve désormais derrière le Mur.
Les Israéliens coupent fréquemment l’approvisionnement en eau des villes et des villages palestiniens. Les gens doivent alors acheter de l’eau des camions-citernes. C’est dire que la pénurie d’eau n’est pas le résultat d’un phénomène naturel mais est sciemment provoquée. L’eau est acheminée vers les colonies situées en hauteur, dont les piscines sont remplies et les parterres de fleurs arrosés quotidiennement, tout cela aux dépens des besoins vitaux des Palestiniens qui en sont réduits à des conditions de vie du tiers-monde. La situation est la plus critique dans la Bande de Gaza, où 80% de l’eau est, en outre, gravement polluée, ce qui porte atteinte à la santé publique.
Par ailleurs, Mekorot, la société nationale israélienne des eaux, privilégie les colons dans le TPO tant par les volumes d’eau distribués que par les prix pratiqués. En effet et selon le gouvernement israélien lui-même, la consommation annuelle d’un colon s’élève à plus de 380 m³ en Cisjordanie contre 62 m3 pour un Palestinien de la même région. Quant aux tarifs appliqués, grâce à un subventionnement important de l’État israélien, ils vont de 0,17 $ à 0,3 $ le m³ pour les colons alors que, par exemple, pour les habitants de Ramallah, ils varient de 0,9 $ à 1,5 $ le m³ et pour ceux de Naplouse, de 0,9 $ à 1,8 $ le m3, autrement dit des prix trop élevés pour un usage agricole.
« Sionisme et Grand-Soif »
Mais pourquoi donc Israël a-t-il besoin d’autant d’eau ? Dans le projet sioniste, l’agriculture occupe une place centrale, les immigrants juifs étant appelés à établir un nouveau lien avec leur “Terre Promise” et à “faire fleurir le désert” grâce au travail manuel. L’histoire de l’immigration juive et de la colonisation va de pair avec la pose de canalisations d’eau. L’exemple le plus connu est le « National Water Carrier », un grand réseau de canalisations qui transportent les eaux du Jourdain depuis le Nord du pays vers le désert du Néguev dans le Sud, dans le but d’y cultiver de nouvelles terres. Plus de la moitié de l’eau disponible va à l’agriculture alors que la contribution de ce secteur à l’économie ne dépasse pas 2% ! Effet de cette politique : les Palestiniens doivent se rationner pour leur propre agriculture et leurs besoins domestiques.
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Israël |
Palestine |
Habitants (2005) |
6.624.000 |
3.762.000 |
Population estimée en 2015 |
8.292.400 |
5.091.300 |
Consommation annuelle d’eau |
1.860 millions de m³ |
235 millions de m³ |
Consommation moyenne par tête |
281 m³ par an ou 769 litres par jour |
62 m³ par an ou 171 litres par jour |
Consommation domestique |
128 m³ par an pour un juif israélien, 47m³ par an pour un Palestinien d’Israël |
39 m³ par an |
Pour en savoir plus :
- – Diop S. and Rekacewicz Ph. (2004). Atlas mondial de l’eau. Paris, Autrement.
- – Le Monde Diplomatique, Carte des ressources renouvelables en eau <http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/mondeeau>
- – Le Monde Diplomatique, Carte ‘L’eau convoitée’ en Israël <http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/israeleau2000>
- – Waternet – la géopolitique de la rareté de l’eau au Moyen-Orient <www.waternet.be
– http://www.h2o.net/magazine/urgences/enjeux/politiques/moyen_orient/palestine/francais/tamimi.htm
– Film : Drying Up Palestine, documentaire de Rima Essa et Peter Snowdon – www.dryinguppalestine.org