«Les Palestiniens entendent l’eau »

Une récente décision de la Cour suprême d’Israël autorise les compagnies israéliennes à maintenir leurs activités dans les mines et les carrières en Cisjordanie occupée. Les organisations de défense des droits de l’homme ainsi que des activistes se sont exprimés à propos de la décision en soutenant qu’elle ouvrait dangereusement la porte au un pillage d’autres ressources palestiniennes par Israël.

« Clairement, la nouvelle règle permet à l’occupant (dans le cadre d’une occupation à long terme) d’utiliser de manière illimitée les ressources des territoires occupés, » déclarait le groupe israélien de défense des droits de l’Homme Yesh Din. « Pomper l’eau, transférer les découvertes archéologiques quelque part hors du territoire, utiliser des endroits  de ce territoire comme décharge, permettre la vente d’immeubles publics, etc. »

A la fin du mois de décembre 2011, la Cour suprême israélienne a rejeté une pétition lancée par Yesh Din, qui contestait le caractère légal de l’exploitation des mines et des carrières israéliennes en Cisjordanie.

La Cour a rétorqué que les lois concernant l’occupation changeaient lorsqu’il s’agissait d’une occupation à long terme. Ce qui signifie en d’autres termes que le pouvoir d’une puissance occupante peut augmenter, et que les restrictions sont de plus en plus flexibles lorsque l’occupation perdure.

La Cour a également expliqué que l’Autorité Palestinienne (PA), qui avait consenti aux opérations concernant les carrières depuis l’accord intérimaire israélo-palestinien devant expirer en 1999, a complètement délaissé les carrières au contrôle israélien dans la zone C de Cisjordanie. Mettre fin aux activités dans les carrières israéliennes pourrait nuire aux populations palestiniennes, rajoute la Cour, étant donné que ces industries emploient des travailleurs palestiniens.

Mais en revanche sur le terrain, la législation sur  l’exploitation illégale des ressources de Cisjordanie, y compris l’eau, inquiète les Palestiniens. Ils ont peur que cette exploitation soit à présent perçue comme légitime.

« Cette loi est dangereuse. Nous parlons ici de l’un des besoins humains les plus fondamentaux : l’eau. Je ne pense pas que quelqu’un, une loi,  un état ait le droit de refuser l’accès à l’une des ressources les plus importantes pour l’homme, » a exprimé Fathy Khdirat, un Palestinien habitant de la Vallée du Jourdain, et coordinateur de la Campagne de Solidarité de la Vallée du Jourdain.

« Lorsque qu’ils ont parlé d’occupation à long-terme, cela voulait dire qu’Israël a pour objectif de poursuivre son occupation dans notre pays, de maintenir cette espèce de prison à ciel ouvert pour des Palestiniens qui tentent de rester sur leur territoire, » rajoute-t-il.

Dans la Vallée du Jourdain, Israël a pris le contrôle de la plupart des quartiers équipés de ressources en eau, au bénéfice presque exclusif des 9.400 colons israéliens y résidant. Ces colons consomment approximativement 6.6 fois plus d’eau par habitant et par an que les 56.000 Palestiniens habitants de la Vallée du Jourdain.

Alors que certaines communautés bédouines de la région ont un niveau de consommation d’eau comparable à celui des régions sinistrées, sous aide humanitaire, il est estimé que les colons israéliens de la Vallée du Jourdain ont une consommation de près d’un tiers de la quantité – pour le ménage et pour l’agriculture –  accessible aux 2.5 millions de Palestiniens vivant dans la Cisjordanie toute entière.

« A présent il n’y a plus que quelques communautés Palestiniennes, peut-être 13, qui ont encore le droit d’acheter une petite quantité d’eau à la compagnie d’eau israélienne Mekorot. Pire encore, Israël a confisqué les réservoirs d’eau des fermiers qui les conduisaient en dehors de la Vallée du Jourdain, » racontait Khdirat à IPS.

« Les Palestiniens entendent l’eau couler dans les pipelines mais n’ont pas la permission d’y avoir accès. »

D’après Yesh Din, la législation de la Court Suprême non seulement viole le droit international, mais elle crée un « permis de pillage » dans les territoires palestiniens occupés. L’organisation a demandé une nouvelle audience à la Cour, dans le courant du mois de janvier, pour obtenir une remise en question de la décision, avec un nombre plus large de juges.

« La manipulation de la loi prohibant l’accès à la propriété dans les territoires occupés conduit à la création d’une base légale définitive permettant l’exploitation économique des territoires occupés par la puissance occupante, malgré le fait qu’une telle exploitation dépasse les principes des règles de l’occupation, » rajouta Yesh Din.

Les opérations minières israéliennes en Cisjordanie ont commencé vers le milieu des années 1970. Israël possèderait actuellement 10 carrières en Cisjordanie, dont 8 sont opérationnelles. Ces infrastructures produisent environ 12 millions de tonnes de minerais chaque année, et la plupart de ces matériaux – jusque 94% dans certaines carrières – sont transférés pour être utilisés sur le marché israélien.

Un rapport daté du mois de septembre 2011 réalisé par le Ministère National de l’Economie en Palestine et l’Institut des Recherches Appliquées de Jérusalem, établit que les coûts totaux imposés à l’économie palestinienne par l’occupation israélienne se chiffrent à 6.897 milliards de dollars en 2010, à savoir 84.9% du PIB total palestinien.

« La plus grande partie de ces coûts n’est pas due à des questions de sécurité mais provient plutôt des lourdes restrictions imposées aux Palestiniens  sur l’accès à leurs propres ressources naturelles, qui sont essentiellement exploitées par Israël, y compris  l’eau, les minéraux, le sel, la pierre, et le territoire, » ajoute -t-il.

Selon le rapport, à cause de l’impossibilité qu’ont les Palestiniens à avoir accès à leurs ressources naturelles – ce qui engendre automatiquement des pertes de revenus et  les oblige à payer des prix plus élevés pour leurs matériaux de base – la perte annuelle s’évalue à près de 4.5 milliards de dollars, soit 56% du PIB palestinien.

Selon Fathy Khdirat, cette pression sur l’économie palestinienne a clairement pour objectif d’obliger les habitants palestiniens à quitter leurs terres.

Khdirat explique que: « Détruire l’économie et appauvrir les gens revient à les pousser à partir. Mais malgré ces lois, malgré les lourdes pressions, nous sommes toujours là. Les Palestiniens sont encore là. C’est très simple, ils n’ont nulle part d’autre où aller. Nous n’avons pas plusieurs choix. Notre choix est d’exister.»

Par Jillian Kestler-D’Amours

Source : Inter Press Service, 21 février 2012

Traduction: F.C.

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