Ce que les Israéliens qualifient de « barrière de séparation » constitue pour les Palestiniens un véritable mur de l’apartheid, en ce qu’il témoigne de la volonté d’un État d’encercler et de morceler les territoires palestiniens sur le mode des anciens bantoustans sud-africains.
Ce phénomène de bantoustans correspond à une doctrine israélienne déjà ancienne : dès 1967, le plan Alon préconisait la colonisation afin de briser la continuité territoriale de la Cisjordanie.
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Une simple « barrière de séparation » ?
Matérialisation du vieux programme travailliste de paix par la séparation, le Mur a été planifié et promu sous l’administration d’Ehoud Barak, mais c’est le gouvernement Sharon qui en a initié la construction en juin 2002. Officiellement érigé dans le but d’empêcher les terroristes de pénétrer en territoire israélien, il est clair que tel n’est pas son unique objectif. On constate ainsi que sur la plus grande partie de son tracé, le Mur ne suit pas la Ligne verte, mais pénètre jusqu’à 16 km au cœur de la Cisjordanie, afin d’annexer les colonies les plus importantes, les terres les plus fertiles, les ressources en eau. Loin d’être une « mesure provisoire », l’érection du Mur poursuit très concrètement la confiscation des terres palestiniennes par Israël ; celui-ci étend et renforce matériellement sa mainmise sur les ressources palestiniennes et ce, au profit des colonies et de leur expansion.
Quelques chiffres
Au prix de 1.800.000 euros le kilomètre, le Mur devrait faire au total 780 km de long. 409 km en ont déjà été construits, 72 autres sont en cours d’achèvement. Autour des grandes villes, comme Qalqiliya ou Bethléem, des barrières « intérieures » ont également été érigées, qui viennent ainsi multiplier les enclaves.
11,9% de la superficie de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, se retrouvent soit à l’ouest du Mur (8,5%), soit encerclés (3,4%), complètement ou en partie. Près de 500.000 Palestiniens sont affectés par ces annexions : 27.520 habitants se retrouvent à l’ouest du Mur, totalement coupés du reste de leur communauté, tandis que 247.800 vivent dans des zones encerclées et 222.500 à Jérusalem-Est sont coupés du reste de la Cisjordanie. Ainsi, le Mur sépare davantage les Palestiniens entre eux que les Palestiniens des Israéliens.
À quoi ressemble le mur ?
Le Mur prend des formes différentes : autour de Qalqiliya, il est constitué de blocs de béton de 8 mètres de haut avec des fortifications de type « mirador ». En d’autres endroits, il peut être constitué en partie de béton, en partie de rangées de fils de fer barbelés en lames de rasoir et de clôtures électrifiées. Tout ce dispositif inclut une zone tampon de 70 à 100 mètres de large avec des tranchées, des routes, des caméras et des capteurs. Dans Bethléem et Jérusalem, par exemple, le Mur présente une combinaison de ces différentes techniques.
Tout au long du Mur, les autorités israéliennes ont percé 43 portes pour permettre le passage des Palestiniens : 11 d’entre elles sont des check-points contrôlant l’entrée en Israël, soumise à la présentation d’un permis, les autres sont des portes « agricoles » -ouvertes seulement deux ou trois fois par jour à heures fixes, nombre d’entre elles restent cependant fermées en dehors de la période des semis ou des récoltes.
L’impact sur les ressources en eau
Si le tracé du Mur suit en grande partie celui des colonies israéliennes en Cisjordanie, il est frappant de constater sa correspondance avec la carte des ressources en eau, un enjeu majeur dans la région. La présence du Mur permet l’accaparement par Israël des principales nappes phréatiques de Cisjordanie. On retiendra également que la construction du Mur a entraîné la confiscation de 36 puits d’eau souterraine- soit une perte de 6,7 millions de m³ par an. Des kilomètres de système d’irrigation se retrouvent à présent dans la zone coincée entre le Mur et la Ligne verte. Les premières conséquences de cette confiscation touchent de plein fouet l’agriculture : on assiste à un assèchement des serres et des terres. En outre, l’arrachage massif d’arbres pour les besoins de la construction du Mur accélère le processus de désertification en rendant les terres stériles -plus de 83.000 arbres ont déjà été déracinés, pour la plupart des oliviers, dont la maturation est très longue.
L’impact humain
Le Mur a provoqué le morcellement du territoire palestinien en de petits territoires isolés.
Il a, de ce fait, des effets dévastateurs sur tous les aspects de la vie palestinienne – des dizaines de communautés ont fait l’expérience de la perte de terres, de ressources en eau et de toute autre ressource leur permettant de subvenir à leurs besoins, sans compter la destruction des biens personnels et communautaires. Les villages et les villes palestiniennes situés à proximité du Mur sont devenus des enclaves isolées où les mouvements d’entrée et de sortie sont limités, quand ils ne sont pas devenus impossibles : concrètement, cela signifie que les déplacements nécessaires pour se rendre au travail, pour se faire soigner, pour s’éduquer, rendre visite à des amis et à sa famille sont rendus très pénibles, avec toutes les difficultés, sinon les drames humains, que cette situation entraîne.
Dans ces conditions, seuls 9% des travailleurs palestiniens ont aujourd’hui un emploi en Israël. Les autres ont été découragés par les heures d’attente aux check-points, l’obligation de se munir d’autorisations ou tout simplement le bouclage de leur village. Ils ont essayé de se reconvertir dans des emplois agricoles ou dans les services, mais ces secteurs sont également en crise car, tout comme les personnes, les biens sont eux aussi privés de la liberté de mouvement : ainsi, les produits agricoles ne trouvent plus de débouchés sur le marché israélien, tandis que les produits israéliens subventionnés, à l’inverse, inondent le marché palestinien.
En faisant ainsi durablement obstacle à la liberté de mouvement des personnes, le Mur constitue une grave atteinte au droit fondamental de chacun à être soigné. L’accès aux hôpitaux, par exemple, est rendu très difficile par les délais d’attente, les bouclages inopinés, les check-points et les autorisations préalables nécessaires. L’accès aux médecins spécialistes, principalement installés à Jérusalem, est devenu quasi impossible puisqu’il requiert lui aussi l’obtention d’une autorisation préalable. En outre, la confiscation de l’eau, notamment par l’impossibilité d’accéder aux puits, entraîne l’utilisation d’une eau de moindre qualité, ce qui constitue un nouveau vecteur de maladies – on assiste ainsi à l’augmentation du risque d’hépatite A et des cas de dysenterie.
Notons encore que la présence du Mur a de nombreuses conséquences psychologiques, en particulier chez les enfants et chez les jeunes, qui n’ont plus foi en l’avenir et développent des comportements agressifs. De façon générale, les familles sont soumises à des tensions croissantes au sein de leur structure traditionnelle.
Un mur illégal, condamné par la communauté internationale
Le Mur constitue une violation flagrante de la Convention internationale sur les droits politiques et civils (1966) et de la Convention internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels (1966), deux conventions que l’État d’Israël a pourtant signées. Les droits violés sont principalement les droits à la liberté de mouvement, à la propriété, à la santé, à l’éducation, au travail et à l’alimentation.
L’avis consultatif de la Cour internationale de justice du 9 juillet 2004 a déclaré le Mur illégal et demandé l’arrêt des opérations de construction, la démolition des parties déjà construites, l’abrogation du régime juridique qui y est associé et la réparation des dommages causés de ce fait. Ensuite, le 20 juillet de la même année, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté[1] une résolution (A/ES-10/15) exigeant qu’Israël s’acquitte de ses obligations en vertu de l’avis précité. Loin de se soumettre à cette résolution, Israël poursuit, kilomètre après kilomètre, la construction du Mur, dont les nouveaux plans révèlent même une augmentation des parties annexées.
Pour en savoir plus :
Association France Palestine Solidarité. Dossier « Les murs en Palestine »
http://www.france-palestine.org/mot1.html
Brochure « Le Mur, comprendre et Agir » . 48 pages. 2,5€
Alain MENARGUES, Le mur de Sharon, 2004, Presses de la Renaissance
Film : Mur, 1h40, scénario et réalisation Simone Bitton
Film : The Iron Wall, 52 min., français, Documentaire de Mohammed Aletar.
[1] Seuls 8 États ont voté contre: Australie, États-Unis, Éthiopie, États fédérés de Micronésie, Israël, Îles Marshall, Nauru et Palau.