Là où les murs s’érigent encore
Le 9 novembre dernier, Battir, village situé à huit kilomètres au sud-ouest de Jérusalem, s’associait à sa manière aux célébrations du 25e anniversaire de la chute du Mur de Berlin, faisant s’envoler des centaines de ballons le long d’un mur qui n’existe pas encore. ( voir vidéo) Classé au Patrimoine Mondial de l’Humanité de l’UNESCO, le village et son paysage époustouflant se situent en effet pile sur le tracé du mur qu’Israël construit en toute illégalité depuis 12 ans.
Une idée toute simple. Rappeler qu’en Palestine, les murs séparent encore, que la crainte d’être dépossédé de ses terres et de voir ses conditions de vie sous occupation s’aggraver pèse toujours sur le peuple palestinien. Depuis 47 ans.
Dans le même esprit que les festivités de Berlin, les enfants de Battir ont lâché des ballons portant des messages de paix le long du tracé du mur censé passer en contrebas du village, le long de la voie ferrée. “C’est une initiative de la communauté de Battir. Nous voulons partager la joie du peuple allemand et envoyer un message de paix au monde entier. Après des années d’intenses travaux de réhabilitation, Battir a été classé au Patrimoine Mondial de l’Humanité de l’UNESCO. Nous ne voulons pas voir ces efforts réduits à néant à cause d’un mur”, explique Hassan Muamer, l’un des organisateurs de l’événement et cheville ouvrière du classement UNESCO.
Protection limitée
A ce jour, les effets du classement sur la progression du mur restent inconnus. En effet, Battir se situe en partie sur la Ligne Verte, qui, en cet endroit, consiste en une zone tampon de 364 mètres de large, et la zone protégée par l’UNESCO s’arrête là où commence cette zone.
La construction du mur était jusqu’il y a peu suspendue en vertu d’un arrêt de la Cour Suprême israélienne, suite à une plainte déposée par le Conseil du village de Battir en décembre 2012 et la branche israélienne de l’ONG environnementale Friends of the Earth, elle-même soutenue par l’organisme officiel israélien de défense de la nature et les parcs[1] – ce qui constitue un précédent non négligeable dans l’histoire du pays -, ainsi qu’une poignée de colons écolos de la région. Le 18 septembre 2014, le Cabinet israélien annonçait la reprise des travaux, mais trois jours plus tard, Benyamin Netanyahou annulait cette décision, en raison de pressions, d’après Friends of the Earth. Les dernières propositions d’alternatives soumises par l’ONG évoquaient une barrière « non-physique », faite de caméras de contrôle et de détecteurs de mouvements, mais ce concept reste plutôt flou.
Enclaves palestiniennes
Depuis les hauteurs de Battir, on peut apercevoir la colonie de Har Gilo, construite juste au-dessus du village palestinien de Al-Walajeh, encerclé d’un mur, qui lui, existe bel et bien. Le plan de construction du mur continuerait ce tracé ouest jusque dans la vallée pour remonter vers l’est et joindre la portion de mur existante à Bethléem. Battir et cinq autres villages se retrouveraient totalement enclavés. Environ 25000 habitants se retrouveraient isolés de Bethléem, qui concentre les principales infrastructures de santé, d’éducation et de commerce.
Les conséquences de la construction du mur, tel qu’initialement conçu par Israël.
Battir et sa résistance verte
Deux collines et une vallée. D’un côté, des sapins – on est en Israël – de l’autre, des oliviers – nous voilà en Palestine. En bas, une ligne de chemin de fer dont les trains ne s’arrêtent plus depuis longtemps. Les rails serpentent le long de la ligne d’armistice de 1949 – Ligne Verte depuis la guerre de 1967 – censée former la frontière entre Israël et un futur Etat palestinien. Battir, lui, se moque bien des frontières. Le territoire historique de ce petit village voisin de Bethléem dévale la colline des oliviers, enjambe la voie ferrée et s’enfonce de quelques centaines de mètres du côté des sapins. Un vaste ensemble de terrasses agricoles construites il y a plus de 2000 ans irradie les environs de leur charme millénaire.
Depuis 1949, et grâce aux accords de Rhodes, les Battiris bénéficient d’un droit de passage – plutôt inédit – pour cultiver leurs terres, dont ils restent propriétaires, du côté israélien. Aujourd’hui, ce petit arrangement entre ennemis est fortement menacé par la construction du « mur de sécurité », qui devrait passer le long de la voie ferrée. Pour empêcher cela, les habitants de Battir ont opté pour une lutte en phase avec leur vallée : la revalorisation écologique, agricole et touristique de la région. Une fois n’est pas coutume, après des années de lutte, cette résistance par la nature s’est avérée payante : le 20 juin 2014, le village a été classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Avec l’Eglise de la Nativité, c’est le second lieu classé situé dans les Territoires Palestiniens Occupés.
Laurence Buelens, octobre 2014
Le paysage de collines de Battir se compose de terrasses en pierres sèches irriguées par un réseau antique de canaux, alimenté par des sources souterraines.
[1]Voici l’argumentaire utilisé par l’organisme : « La construction de la barrière (de séparation) telle queproposée actuellement par la défense (un barrière grillagée de 3.5 mètres de haut surmontée de barbelés sur un segment de 500 mètres) ne remplit pas le critère de proportionnalité requis en matière de conflit d’intérêts et ne prend pas adéquatement en compte le large et irréversible dommage qu’il causerait sur le paysage naturel et culturel qui caractérise cette zone. »