Encadré
Itamar :
Colonie religieuse au Sud-Est de Naplouse, établie en 1984 par des membres du mouvement de colonisation Amana, inspiré par le Gush Emunim. Idith Zertal et Akiva Eldar la qualifient de « colonie fanatique ». En 2009, la population s’y élevait à 1049 personnes. La colonie s’est étendue avec ses 7 outposts sur 7.000 dunums, annexant les collines voisines. Les villages d’Awarta, Beit Furik et Yanun sont complètement étranglés par la colonie.
Parmi les fondateurs de la colonie : Gilad Zar, fils de Moshe Zar, convaincu de complicité notamment dans l’attentat contre Bassam Shaka, le maire de Naplouse, et Avichaï Ronsky, ex-rabbin en chef de l’armée, qui a conseillé aux soldats lors de l’opération Plomb durci, de n’avoir aucune pitié pour les ennemis.
La femme du « maire » d’Itamar, le rabbin Moshe Goldsmith, appelle les jeunes Juifs à venir en Israël, déclarant: « Quand nous sommes arrivés là, c’était des rochers et c’était vide. Aujourd’hui, c’est vert et la terre donne sa bénédiction. » (Jewish Standard, 1 avril 2011).
Voir la vidéo de présentation : http://mondoweiss.net/2011/04/itamar-video-says-settlement-had-night-and-day-perimeter-surveillance.html
Pour une carte, voir par exemple : http://israelpalestine.blog.lemonde.fr/2011/03/12/les-defis-de-lattentat-ditamar/
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Condamnations unanimes
Après le meurtre de 5 membres d’une même famille à Itamar, la condamnation a été unanime. Bien entendu de la part d’Israël et de la communauté internationale. Mais aussi du côté palestinien : de Mahmoud Abbas en passant par Salam Fayyad, Ryad Malki (Ministre des Affaires étrangères), des éditorialistes, des journalistes et les comités palestiniens de résistance populaire contre le Mur et les colonies. Même les villageois de Burin, un village maintes fois attaqué par les colons de Yitzhar, ont déclaré au Haaretz que ce meurtre était un acte abominable.
Cependant, sans même attendre les résultats de l’enquête en cours, l’attaque a été qualifiée de terroriste et donc imputée aux Palestiniens. Les journalistes un peu sérieux ont voulu prendre leurs distances par rapport au récit officiel israélien. Mal leur en a pris. Israël a exigé des excuses de CNN parce qu’un journaliste avait dit : « Cinq membres d’une famille israélienne ont été tués en Judée-Samarie (sic !) tôt samedi matin, dans ce que l’armée israélienne appelle une attaque terroriste.» Les autorités israéliennes voudraient en effet que les médias adoptent sans broncher leur version des faits.
L’enquête
Immédiatement, le village d’Awarta a été mis sous couvre-feu et les autorités ont interdit aux journalistes de rapporter ce qui s’y passait. On sait par des sources palestiniennes que le village a été investi, qu’à peu près tous les hommes (entre 100 et 200) ont été emmenés pour interrogatoire, que les soldats ont démoli machines à laver, frigos, télévisions et jouets dans les maisons. On sait aussi que-suivant une habitude héritée des Britanniques- riz, sucre et huile ont été renversés sur le sol, comme nous le révèle un article d’Amira Hass dans Haaretz le 20 avril. On remarquera que l’article n’a pu paraître qu’un mois après les faits. Sans parler des personnes molestées, battues, insultées et humiliées. On sait encore que les colons se sont vengés sur des villages voisins dans ce que des journalistes israéliens ont appelé eux-mêmes des « pogroms ».
Dans les médias palestiniens, on a eu vent d’un différend survenu entre les colons et un employé thaïlandais (Info-Palestine, 15 mars 2011). Néanmoins, cette piste n’a pas été envisagée sérieusement par les enquêteurs. Même si, au vu des techniques de protection sophistiquées de la colonie (voir la vidéo reprise dans l’encart), la probabilité que le meurtrier soit issu de la colonie était grande.
Bref, en final, des coupables ont été trouvés : deux jeunes étudiants de 18 et 19 ans qui seraient proches du FPLP mais auraient agi sans la supervision d’organisations politiques. Six autres Palestiniens ont été arrêtés pour complicité. Comme le souligne Richard Silverstein sur son blog, le Shabak accuse les deux jeunes gens de meurtre prémédité alors que la police, elle, parle d’effraction pour trouver des armes. De toute manière, comme l’ont fait remarquer des commentateurs, vu la manière dont sont conduits les interrogatoires, on peut toujours douter des « aveux » des accusés.
En Israël, dès qu’il s’agit de Palestiniens, il semble bien qu’il n’y ait pas place pour des crimes crapuleux, il n’y a que terrorisme et haine des Juifs.
La haine
La haine était bien présente dans cette affaire mais pas nécessairement là où on l’on croit qu’elle se trouve. Dans un article publié sur un site indépendant traitant d’Israël et des territoires occupés, Yossi Gurvitz (+972.mag, 13 mars 2011), dénonce le déchaînement de propos haineux et racistes venant des milieux israéliens. Michael Ben Ari, membre de la Knesset et disciple de Kahane, a demandé au gouvernement des représailles : « expulser les habitants du village dont sont issus les meurtriers, démolir le village et bâtir à la place des appartements pour les jeunes couples de vétérans de l’armée. » « La réponse du gouvernement doit être le sang contre le sang », estime de son côté Avraham Binyamin, porte-parole d’Yitzhar, une colonie religieuse proche d’Itamar. Et d’ajouter : « Il faut évidemment tuer les assassins de la famille Fogel mais il faut aller beaucoup plus loin, expulser les habitants arabes des villages de la région qui protègent et soutiennent les terroristes. Israël doit déclarer la guerre et la gagner. »(Express/AFP, 14 mars 2011), Un des fondateurs d’Itamar, ex-rabbin en chef de l’armée, Avichaï Ronski, n’a pas hésité non plus. Avant même qu’on n’ait arrêté des coupables, il déclare : « Un village comme celui-là, comme Awarta, dont sont venus les meurtriers de la famille Fogel et de la famille Shebo, doit souffrir en tant que village. On doit créer une situation où l’on empêche tout villageois de faire du mal aux Juifs. Oui, c’est une punition collective. Il ne doit pas leur être permis de dormir la nuit, on ne doit pas leur permettre d’aller travailler, on ne doit pas leur permettre de conduire leurs voitures… »…
On dira que ceux-là sont des extrémistes qui ne représentent pas la majorité des Israéliens. Que dire alors de Pérès qui déclare : « C’est un acte qui traduit l’absence de visage humain. Aucune religion ou croyance dans le monde ne permet ces actes horribles. » Pas de visage humain ? Rien de très nouveau : qu’on se rappelle Menahem Begin qui traitait les Palestiniens de « bêtes marchant sur deux pattes ». Ou encore de Dan Schueftan, professeur à l’université de Haïfa, qui soutient que « les Arabes sont le plus grand échec de l’histoire de la race humaine. Il n’y a rien sous le soleil de plus cinglé que les Palestiniens. » (MADA research center, report Sept-nov 2009, Issue No. 6, 2010)
Dès avant l’enquête, le meurtre d’Itamar a donc permis de renforcer l’image bestiale et sanguinaire que l’on donnait déjà des Palestiniens. L’entreprise de déshumanisation dans toute sa splendeur.
L’enjeu politique
Netanyahou -et avec lui tous les sites pro-israéliens ou sionistes- a, immédiatement, accusé l’AP d’incitation à la violence, tançant le Président palestinien en ces termes : « Il ne faut pas se contenter de telles condamnations. Il faut stopper l’incitation à la violence et éduquer le peuple palestinien à la paix », et ajoutant : « Le meurtre de bébés dans leur sommeil n’est motivé que par la volonté de tuer » (Guysen Israel news). Dans la même optique, Ehoud Barak, ministre de la Défense, affirme que « Cet attentat appelle (…) à une vive condamnation de la part de l’Autorité palestinienne, en parallèle d’un traitement adéquat contre les racines desquelles germent la haine et l’incitation à la violence. »
La vieille rengaine est de retour : les leaders palestiniens ne font pas ce qu’il faut et l’éducation des Palestiniens est une éducation à la haine.
L’objectif final se dévoile petit à petit. « Si nous revenons aux frontières de 67, la ligne de front se déplacera à Kfar Sabba, Raanana, Herzliya. », déclare Avigdor Lieberman. Et Netanyahou, à sa manière, abonde dans le même sens : « La politique concernant les localités juives se fera uniquement en fonction des décisions du gouvernement, et ce n’est pas le terrorisme qui fixera les futures frontières de l’Etat d’Israël ». Et encore : « Ils tuent, nous construisons. ». Car, en représailles au meurtre, les colons avaient exigé qu’on construise plus de logements dans les colonies : 400 habitations ont été promises. Mais cette relance de la colonisation est ciblée puisque ce sont les blocs qu’Israël compte annexer dans le cadre d’un accord de paix, Ariel, Maale Adoumim et Gush Etzion et Kyriat Sefer qui sont concernés (blog Guerre ou Paix du Monde). Pour les colons et leurs représentants, c’est évidemment insuffisant. Pour Eli Yshai, ministre de l’intérieur (Shas), il « faudrait construire au moins mille nouvelles habitations par chaque membre de la famille assassinée ». Selon Ariel Atias, ministre du Logement et de la Construction, « nous devons inverser la tendance et construire à Jérusalem, en Judée et Samarie et le moment pour cela est venu ».
En résumé, les colons, suivis en partie par le Premier ministre, se servent du meurtre d’Itamar pour poursuivre la colonisation et empêcher un règlement final menant à l’avènement d’un Etat palestinien. Il faut dire que le veto américain à la résolution de l’ONU condamnant la construction de colonies dans tous les territoires occupés (Jérusalem-Est comprise) avait de quoi les y encourager.
Conclusion
Le meurtre à Itamar se produit lors de l’offensive palestinienne pour une reconnaissance de l’Etat palestinien par la communauté internationale. Le gouvernement israélien et les colons s’en sont servis pour déshumaniser plus encore les Palestiniens et délégitimer l’AP, espérant ainsi affaiblir la démarche palestinienne aux yeux du monde. Par ailleurs, de manière interne, il a été instrumentalisé par les colons et Netanyahou pour poursuivre la colonisation et s’assurer, en cas de règlement du conflit, que les blocs de colonies que l’Etat israélien veut annexer soient bien consolidés. A quelque chose malheur est bon et tout fait farine au moulin de la propagande sioniste.
La tentative d’OPA sur l’opinion publique internationale n’a pourtant pas vraiment réussi, au grand dam des Israéliens et des sionistes : les médias en général n’ont en effet pas suivi aveuglément la narration israélienne. Trop de propagande nuit à la communication. (Voir article : Un flop de la propagande israélienne dans un nouvel essai de délégitimation de la cause palestinienne)
Marianne Blume