Juliano et Vittorio : exemples de vie

Mais que se passe-t-il ces derniers temps ? Quelle folie s’est-elle emparée des hommes pour qu’en deux semaines à peine la Palestine soit amputée de deux de ses forces vives ? Juliano et Vittorio n’étaient ni l’un ni l’autre à 100% Palestiniens, mais tous les deux l’étaient de cœur et avaient résolument décidé d’y consacrer leurs vies. Symptôme d’une période trouble et d’un avenir bouché, leurs assassinats retentissent comme des cris d’alarme. A nous désormais de continuer à porter l’espoir qu’ils témoignaient incessamment dans leur quotidien.

Par sa vie et son corps, Juliano Mer-Khamis a donné corps à la possibilité d’un mouvement de résistance bi-national

(…) Juliano avait de la chance. Il était né palestinien et juif, juif et palestinien. Cet homme en colère vivait déchiré par ses identités conflictuelles et complémentaires. Il était l’ombre portée de la communauté binationale qu’on imaginait dans les années 50. Comme un Peter Pan qui refuse de grandir, Juliano donnait corps à la possibilité d’une vie partagée (ta’ayush en arabe ) en lutte pour l’égalité. Fils d’une mère juive et d’un père palestinien, il était né de deux cultures et avait choisi de vivre dans les deux. Il n’avait rien à expliquer.

Je crois que Juliano ne se faisait pas d’illusion ; prenant des coups de tous cotés, la possibilité du ta’ayush s’amenuisait. Ta’ayush est une vision saine, mais la chance qu’il se réalise est très mince. Certains fantasment sur les jours de la venue du messie pour éviter de penser aux jours d’avant le prochain désastre. Juliano était le rejeton d’un fantasme de ta’ayush. Sa naissance était la réalisation d’un fantasme de ta’ayush et sa mort est un désastre.

Juliano était en colère. Sa rage était de celles que seul un juif, qui était né dans un milieu de gauche et qui combattait pour l’égalité jusqu’à sa fin, pouvait se permettre d’exprimer par son mode de vie. Les Palestiniens doivent maîtriser la colère, l’adoucir ; ils doivent la tempérer, la réprimer, la sublimer. C’est le seul moyen qu’ils aient pour rester en vie (…)

Or, la violence brute qui empeste le rationalisme et la suprématie et se prétend éclairée. On la trouve dans chaque détail de la vie, à tout moment, du berceau au tombeau. On la trouve depuis les ordres d’expulsion, et dans les cartes qui vont avec jusqu’à la meurtrière du mirador, du Ministère de l’Intérieur expulsant les Hiérosolymitains palestiniens de leur ville, jusqu’au blocage du retour au village galiléen de Bir’im ; depuis les réponses racistes de la jeunesse juive lors des sondages jusqu’au drone qui pointe sur un toit de Gaza où jouent des enfants. La violence est toujours là, depuis les taxes municipales à Jérusalem, alors que les routes sont défoncées et les poubelles ne sont pas ramassées, jusqu’aux caméras de sécurité dans le faubourg juif, shtetl croisé, de Siwan, depuis le vert luxuriant des colonies jusqu’à la citerne palestinien détruite par un bulldozer israélien, depuis les autorisations données aux ranchs privés du Néguev jusqu’à l’inculpation de bédouins comme «infiltrés». En bref de juif à démocratique.

Une violence sous tant d’angles qu’elle peut vous rendre fou. Juliano avait la chance d’être un artiste, et la folie était un de ses pinceaux. Grâce au théâtre qu’il avait fondé à Jénine, Juliano pouvait se permettre de critiquer les aspects répressifs de la société palestinienne. On peut penser qu’il faisait ça comme homme de gauche, comme acteur engagé par la vocation de l’artiste pour la vérité, et comme palestinien. Espérons que le tueur sera trouvé, et que nous sachions alors si un artiste palestinien a été tué à cause de son courage de vivre d’une façon qui dérangeait l’ordre, ou si un artiste juif a été tué parce qu’il se donnait la permission de critiquer ouvertement une société qui, pour certains, n’était pas la sienne ou si un gauchiste a été tué parce qu’il dérangeait la norme. Ou peut-être les trois à la fois. Même s’il a été tué pour d’autres raisons, Juliano était un artiste et un palestinien, un gauchiste et un juif. (…)

Par sa vie et son corps, Juliano Mer-Khamis a donné corps à la possibilité d’un mouvement de résistance binational. Le tueur, quelle que soit sa motivation, s’en est pris à ce corps. Dans sa mort Juliano nous lègue le possible.

Amira Hass

Source : Union Juive Française pour la Paix, 15 avril 2011

(Encadré:)

De Youssef Abu Samra, professeur de droit à Birzeit :

« A midi, à Almanara square, il y a eu un sit-in et puis une marche silencieuse et quelques mots par des artistes, en solidarité avec l’artiste, Juliano Khamis …tué, je pense, par un ignorant, bien dirigé par les spécialistes des crimes organisés.

Justement sa dernière pièce jouée à Al Kasaba, je n’ai pas voulu aller la voir dimanche.  Je me suis dit : « J’irai jeudi ». Je n’ai pas pensé que j’allais rater l’adieu à Juliano. En tout cas, les artistes de Ramallah ont insisté pour continuer son travail au Théâtre de la liberté dans le camp de Jénine. De son vivant, il avait dit : « Je ne quitterai pas ce camp tant que je suis en vie. » (…) Je me souviendrai toujours de notre dernière rencontre à Metz. Il m’a remonté le moral en disant des Palestiniens  que c’était  un grand peuple courageux car, si on avait fait le même chose avec un autre peuple, il aurait disparu depuis longtemps. Oui, Juliano, ton testament va passer d’une génération palestinienne à l’autre… »

Gaza sous le choc après l’assassinat de Vittorio Arrigoni

Nous sommes désolés Vittorio.

Nous sommes tous Victor.

Sincèrement, je ne trouve pas les mots pour décrire l’état de choc de tous les Palestiniens en général et de ceux de la bande de Gaza en particulier, après l’assassinat, ce matin, par un groupe inconnu, du solidaire, militant et journaliste italien, Vittorio Arrigoni.

Vittorio Arrigoni est arrivé à Gaza en 2008, et il a alors décidé d’y rester, afin de témoigner de la barbarie de l’occupation, dans des journaux, pour des agences de presse et des associations internationales, mais, il ne savait pas qu’un acte tout aussi barbare, provenant d’hommes bien éloignés de nos traditions, mettrait fin à sa vie.

Il est parti avant de pouvoir accueillir la deuxième flottille de liberté prévue en juin prochain, flottille dont il a été l’un des principaux organisateurs. Il est mort avant la sortie en France de son livre : « Rester humain à Gaza », sortie prévue le mois prochain.

Le lâche assassinat de ce militant est choquant, révoltant, et injuste, car il vient de ceux qu’il a voulu aider.

Les partis politiques, la société civile, les syndicats et la population condamnent avec fermeté ce lâche assassinat d’un homme de bonne volonté, d’un solidaire, d’un grand ami de Gaza, de la Palestine et de la justice.

Vittorio ou Victor, c’est ainsi que ses amis Gazaouis aimaient l’appeler, avait de bons contacts avec tout le monde à Gaza : associations, partis politiques, étudiants, jeunes, journalistes et simples citoyens, il était partout pour venir en aide à la population civile, pour organiser des manifestations et des rencontres. Il était l’un des rares étrangers présents à Gaza, Gaza qu’il a refusé de quitter lors de la dernière guerre israélienne, fin 2008 début 2009. Il y a participé, malgré sa propre blessure, aux secours et aux soins aux victimes.

Personnellement, j’ai eu l’occasion de le rencontrer deux fois, la première en juin 2010 sur le port où il attendait l’arrivée de la première flottille de la liberté qui a été attaquée par la marine israélienne, et la deuxième fois, au nord de Gaza où il organisait des manifestations pacifiques contre la zone tampon imposée par l’armée israélienne pour interdire aux paysans de cette région d’aller cultiver leur terre. Chaque fois, je le trouvais déterminé à demeurer avec cette population sous blocus, pour lui prouver sa solidarité. Vittorio restera dans la mémoire des Gazaouis, ils n’oublieront jamais leur grand ami, celui qui essayait, dans cette difficile situation d’enfermement, d’entretenir l’espoir auquel ils sont si fermement attachés et dont il parle dans son article : “Gaza, portes ouvertes sur l’espoir”. De même que dans de nombreux autres articles et témoignages.

Nous sommes désolés Vittorio, Nous sommes tous Victor.

Nos pensées vont à sa famille, à ses amis, à qui nous disons : Gaza, ce n’est pas cela, Gaza, c’est autre chose, Gaza c’est l’accueil, c’est la reconnaissance du travail de tous les solidaires, et le petit groupe qui a assassiné Vittorio ne représente ni Gaza ni la Palestine.

Par Ziad Medoukh, professeur à l’Université Al-Aqsa de Gaza.

« Si les criminels sont nés Palestiniens, Israéliens, Chinois, quelle que soit leur nationalité, leur religion, ou leur couleur de peau, ces derniers ont déjà choisi d’être les ennemis de la cause palestinienne, la cause pour laquelle ont vécu nos camarades. Si les tueurs sont vraiment des Palestiniens par naissance, et criminels pour raisons idéologiques, politiques ou autre, et/ou si ils étaient téléguidés par Israël ou n’importe quelle force ennemie de la cause de la justice et la libération, ils sont déjà les ennemis de chacun d’entre nous. » Wissam El-Haj, militant palestinien de Gaza et ami de Vittorio.

Ziad Medoukh

Source : Protection Palestine, 15 avril 2011

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