Georges Vilain XIIII, ancien Ambassadeur de Belgique et ancien Président de la Commission de l’UNRWA constate que la politique d’équidistance adoptée jusqu’à présent par nos dirigeants oublie qu’il y a un agresseur/occupé et un agressé/occupé. Il dénonce la faiblesse de la communauté internationale et appelle la Belgique et l’Union Européenne à adopter une attitude plus ferme vis-à-vis d’Israël.
En dépit de son ambition de mettre en œuvre une politique étrangère commune, l’Union Européenne n’a jamais été en mesure de concevoir ni de formuler clairement une position cohérente à l’égard du conflit israélo-palestinien sous tous ses aspects. Faute de mieux, elle s’est efforcée de mener, sans succès d’ailleurs, une politique dite d’ « équidistance » entre les deux adversaires, se contentant d’exprimer de vagues regrets au sujet des violences, et des vœux pieux pour un « dialogue » et des « concessions réciproques ». Au sein du Quartet, elle s’est prudemment ralliée aux positions américaines, et son « action » extérieure s’est limitée à de brèves excursions de M. Solana, dont les larges sourires et les petites tapes dans le dos, distribués ici et là, n’ont jamais contribué à la crédibilité de l’Union ni à la prise en compte de ses bons conseils.
Ce qui manque à la politique de l’Union, c’est une base solide, et cette base ne peut être que l’exigence inaltérable et constante du respect du droit international. C’est au regard du droit international qu’elle doit prendre position à l’égard du comportement des uns et des autres. La soi-disant «équidistance » ne résiste pas à une telle approche, car on ne peut pas traiter sur le même pied celui qui est, aux yeux du droit international, l’agresseur et l’occupant, et celui qui est l’agressé et l’occupé. De même pour les soi-disant « concessions réciproques « : ce qui est demandé à Israël, ce n’est pas de faire des concessions mais de renoncer à certaines violations flagrantes du droit international, tandis que ce que l’on attend des Palestiniens est qu’ils renoncent à certains de leurs droits.
Nul ne peut mettre en doute le fait qu’Israël, depuis sa création (marquée par l’expulsion de 700.000 Palestiniens), mais surtout depuis les annexions et occupations faisant suite à la guerre de 1967, a commis et continue de commettre jusqu’à ce jour un nombre impressionnant de violations du droit international.
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Une telle accumulation de violences et d’injustices, suscite bien entendu de vastes protestations. Même des mouvements pacifistes israéliens, des intellectuels renommés et des militaires n’hésitent pas à condamner leur propre gouvernement et à participer aux manifestations palestiniennes (ils se font d’ailleurs traiter d’antisémites par la propagande israélienne !) Il ne fait en tout cas pas de doute que l’opinion publique européenne est beaucoup plus sensible que le monde politique au calvaire palestinien. Mais, sûr de son impunité, Israël fait fi des condamnations et injonctions, même américaines. Sa stratégie est simple : il se prétend ouvert au « dialogue » mais refuse en fait, et renie à l’occasion, tout engagement sur le fond, invoquant divers prétextes pour maintenir le statuquo. Lequel allant de pair avec une politique de faits accomplis (extension des colonies) rend de plus en plus aléatoire une solution négociée.
Quant aux Gouvernements occidentaux, ils semblent comme paralysés face à l’outrecuidance israélienne, qui s’appuie sur un appareil de propagande et de lobbying extrêmement efficace. L’arrivée au pouvoir du Président Obama, et en particulier son fameux « discours du Caire » interprété comme une main tendue vers le monde musulman, avaient pu susciter l’espoir d’une approche réellement nouvelle des Etats-Unis à l’égard du conflit. Espoir rapidement déçu.
La récente initiative américaine de « relance du processus de paix », annoncée à grand fracas, les rituels faux sourires et poignées de mains à l’appui, n’a pas tardé à faire long feu en raison du refus obstiné (et prévisible) d’Israël d’arrêter la colonisation (la poursuite de l’extension des colonies étant, de toute évidence, en contradiction avec la reprise des négociations ayant pour but leur évacuation).
Ce refus israélien de donner suite à une requête pressante des Américains démontrant, pour autant que de besoin, qu’Israël n’hésitait pas à provoquer, voire à ridiculiser les Etats-Unis. Et pourquoi pas ? En réaction à la récente annonce israélienne de la construction de centaines de logements à Jérusalem-Est, Obama s’est contenté de se dire « soucieux » et de juger cette décision « not helpful » !
Pénible aveu de faiblesse, alors que les Etats-Unis pourraient, s’ils le voulaient, exercer sur Israël des pressions irrésistibles. L’arrivée d’une majorité républicaine au Congrès réduit d’ailleurs encore les chances d’un sursaut américain.
Le refus d’Israël de geler la colonisation, et celui, totalement justifié, des Palestiniens, de négocier dans ces conditions, ont donc abouti à une impasse totale.
Et l’Union Européenne ? Se résoudra-t-elle enfin à s’impliquer réellement et à faire autre chose que d’assister les Gazaouïs victimes du blocus israélien, et de financer, à intervalle régulier, la reconstruction des ruines causées par la folie destructrice de l’aviation israélienne ? Les timides déclarations de Mme Ashton, copiées mot à mot sur celles des Américains, ne sont guère prometteuses. Ne pourrait-on lui faire comprendre que la continuelle répétition de déclarations creuses est non seulement inutile, mais aussi nuisible pour notre crédibilité ?
Il est une simple question à laquelle personne ne semble disposé à répondre. Tout membre des Nations-Unies qui se rend coupable de violations du droit international et d’atteintes aux droits de l’homme se voit aussitôt menacé de sanctions. Tout pays donc, mais pas Israël, le seul pays au monde à bénéficier d’une totale impunité. En cause, sans doute, aux Etats-Unis la puissance du lobby pro-israélien, et en Europe le refus de certains Etats membres, pour une raison que l’on pourrait qualifier de « culpabilisation historique » de sanctionner Israël. Mais le fait que le peuple juif ait été victime, il y a 65 ans, des horreurs de l’Holocauste, est-il une excuse valable pour tolérer que le peuple palestinien soit, depuis 60 ans, victime impuissante d’énormes injustices, souffrances et humiliations ?
Etant donné l’impasse des négociations et l’apparente impuissance des Etats-Unis, ne pourrait-on, dès lors, envisager une initiative européenne ?
Elle comporterait, au départ, une déclaration exposant de façon cohérente et détaillée les positions européennes, et ce avec des références constantes au droit international. Ainsi que l’a rappelé le tribunal Russel sur la Palestine, réuni à Barcelone en mars dernier, l’Union Européenne et ses Etats-membres ont souvent omis de faire respecter le droit international, se faisant ainsi complices des violations de ce droit perpétrées par Israël.
Il semble évident que la solution préconisée par la quasi-totalité de la Communauté internationale (deux Etats, frontières de 1967 avec aménagements, Jérusalem double capitale, solution raisonnable pour les réfugiés) ne sera jamais acceptée par Israël sans une pression internationale forte, qui doit, à mon sens, s’appuyer sur des sanctions concrètes.
L’Union européenne pourrait, en un premier temps, envisager les mesures suivantes :
• Tant qu’Israël refuse le gel de la colonisation à Jérusalem et en Cisjordanie, l’Union impose un gel de toutes les dispositions contractuelles de ses accords avec Israël.
• Embargo total sur toute exportation d’armes et de matériel militaire vers Israël.
• Arrêt total des importations de produits (fruits et fleurs en particulier) en provenance d’exploitations situées dans les territoires occupés.
• Refus de visas aux Israéliens accusés de crimes de guerre et d’atteintes graves aux droits des Palestiniens.
Une telle initiative renforcerait la crédibilité de l’Union et démontrerait sa volonté de s’impliquer concrètement afin de briser l’impasse actuelle.
Sans doute serait-elle difficilement acceptée par certains Etats-membres. Mais elle pourrait donner lieu à un débat approfondi, notamment au Parlement Européen, à propos d’un conflit important, que l’Union ne peut pas continuer à traiter avec timidité, voire indifférence, attitudes incompatibles avec son obligation de faire respecter le droit international.
Georges Vilain XIIII
Ancien Ambassadeur de Belgique
Ancien Président de la Commission de l’UNRWA