Dépourvue de stratégie, l’Autorité palestinienne est revenue à son rôle de sous-traitant de l’occupation. Heureusement, la source la plus riche du pouvoir palestinien se trouve dans son peuple.
Par Amjad Iraqi
Le 19 novembre, le Middle East Institute a accueilli la première partie d’une série de webinaires intitulée « L’avenir de la politique palestinienne sous une administration Biden ». Malgré un débat animé entre les principaux penseurs palestiniens, il apparut clairement en quelques minutes à quoi ressemblerait cet avenir.
Dès l’allocution d’ouverture, la nouvelle a été annoncée que l’Autorité palestinienne avait décidé de reprendre la coordination civile et sécuritaire avec Israël, que le Président Mahmoud Abbas avait suspendue en mai pour protester contre les projets d’annexion par Israël de certaines parties de la Cisjordanie occupée. Affirmant avoir reçu l’assurance qu’Israël adhérerait à leurs accords, le ministre des Affaires civiles de l’Autorité palestinienne, Hussein al-Sheikh, a salué cette décision comme « une victoire pour notre peuple palestinien ».
L’ironie de la nouvelle n’a pas échappé aux participants au webinaire, qui ont montré leur consternation alors qu’elle leur était annoncée. De façon tragique, la Mouqata’a[1] a justifié en temps réel les critiques des orateurs contre les dirigeants palestiniens. Comme l’a prévu l’analyste du Crisis Group, Tareq Baconi, le soulagement de l’Autorité palestinienne devant la victoire électorale de Joe Biden a « ravivé sa confiance mal placée dans les États-Unis pour créer un État », l’obligeant à revenir aux accords d’Oslo afin de s’attirer les faveurs de la nouvelle administration. Ce « geste tourné vers l’extérieur », a noté Baconi, se ferait probablement au détriment des efforts visant à unir les factions palestiniennes divisées – qui se rencontraient au Caire le même jour pour de nouvelles discussions de réconciliation.
Comme prévu, Israël et ses partisans ont salué la décision de l’Autorité palestinienne comme la rectification sensée d’une politique malavisée. Des observateurs bien intentionnés l’ont même accueillie comme une tactique nécessaire pour survivre et pour alléger les difficultés des familles palestiniennes. Quiconque serait tenté de faire écho à cette approbation devrait toutefois retenir ses applaudissements. Pour le dire crûment, ce qui est loué en ce moment, c’est le retour de l’esclave auprès de son maître, tout en croyant pouvoir se frayer un chemin vers la liberté sous la menace d’un fouet. Malgré la prétention fantaisiste d’une « victoire », la seule chose que les Palestiniens peuvent négocier, ce sont les conditions de leur captivité.
Un manque d’imagination
Pourquoi l’Autorité palestinienne est-elle revenue sur sa politique audacieuse ? Réponse en un seul mot : faillite. Pas seulement une banqueroute financière, mais une faillite des valeurs et des idées.
Prises au piège d’un marché captif conçu à Oslo, les caisses de l’Autorité palestinienne se sont épuisées ces dernières années du fait de la malveillance de l’administration Trump, des pressions de l’UE pour relancer les négociations, des retenues sporadiques par Israël des recettes fiscales et maintenant de la pandémie de coronavirus. Depuis l’arrêt de la coordination en mai, l’Autorité palestinienne a réduit les salaires de dizaines de milliers d’employés du secteur public et a été incapable de fournir de nombreux services de base, en particulier ceux nécessitant des permis, faute d’approbation israélienne. Mettant du sel sur la plaie, les accords entre Israël et les Émirats arabes unis ainsi que Bahreïn ont brisé le consensus arabe qui liait une normalisation des rapports à la question palestinienne. Dépourvus d’amis et de fonds, les Palestiniens ont peu de voies d’issue hors des limbes.
Le manque total d’imagination de l’élite politique palestinienne est tout aussi fatal. Dans les mois qui se sont écoulés après que ‘Abbas a « déchargé » son gouvernement de ses devoirs définis à Oslo, l’Autorité palestinienne n’a proposé aucune stratégie alternative pour se libérer du contrôle israélien ou développer l’autosuffisance palestinienne. Longtemps exempte de redevabilité, l’Autorité palestinienne n’était pas motivée à accueillir un débat public ou à rechercher un accord pour décider si la coordination avec Israël était dans l’intérêt national. La reprise des pourparlers entre le Fatah et le Hamas, qui promettait d’organiser les premières élections nationales en 14 ans, a été en général accueillie avec cynisme. L’Autorité palestinienne a préféré opter pour la solution d’accepter l’occupation telle qu’elle est depuis plus de 25 ans : une façade d’autonomie palestinienne sous domination coloniale israélienne.
La préférence de l’Autorité palestinienne pour le statu quo ante est donc aussi trompeuse que dangereuse. En se soumettant de nouveau aux accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne a repris son rôle de sous-traitant obéissant de l’occupation israélienne. Cela signifie aider les opérations répressives de l’armée israélienne et accepter le pouvoir discrétionnaire d’Israël sur les activités économiques palestiniennes, sans aucun moyen de pression pour arrêter l’expansion des colonies israéliennes ou ses abus contre la population palestinienne. Cet arrangement d’apartheid existait bien avant Trump et continuera sous Biden, sans le déguisement d’un « processus de paix » en lambeaux.
Israël, pour sa part, n’a été nullement décontenancé quant à ses intentions pour l’avenir. Ce mois-ci, le gouvernement a lancé un appel d’offres pour étendre la colonie de Givat Hamatos à Jérusalem-Est et a mené la plus grande opération de démolitions depuis des années contre la communauté de Humsa al-Fuqa dans la vallée du Jourdain. Lors de sa visite le 19 novembre dans la colonie de Psagot, le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a annoncé des directives qui imposeraient de labelliser les produits importés de la zone C de Cisjordanie comme « Made in Israel », et a déclaré que la Maison Blanche dénoncerait officiellement le mouvement BDS comme une campagne « antisémite ». Le mépris du maître pour l’esclave ne saurait être plus clair.
Redirection du pouvoir
En voyant tout cela se dérouler, il est décourageant pour les Palestiniens de voir à quel point leurs dirigeants se sont laissé réduire à l’état de mendiants. Autrefois emblème de la lutte anticoloniale mondiale, l’Organisation de libération de la Palestine n’est plus qu’une « ligne budgétaire » dans les structures népotistes de l’Autorité palestinienne, comme l’a décrit le député Mustafa Barghouti lors du webinaire de l’IEDM. Sa « politique d’acquiescement » aux diktats israéliens et américains, rapporte la chercheuse Noura Erakat, a rendu l’OLP « dépassée, archaïque et déconnectée de la rue palestinienne ». En l’absence de forum pour relancer et diversifier la politique nationale, le mouvement de solidarité avec la Palestine qui s’est développé au cours de la dernière décennie restera également sans gouvernail, a ajouté l’homme d’affaires Sam Bahour.
Cette traînée d’épaves laissée par la classe dirigeante palestinienne est tragiquement symbolisée par l’héritage de l’une de ses personnalités les plus importantes, Saeb Erekat, décédé des complications du covid-19 le 10 novembre. Négociateur en chef de longue date, Erekat a été largement remémoré comme un défenseur passionné de la cause palestinienne et un patron coopératif de nombreux experts influents sur la Palestine.
Pour de nombreux Palestiniens cependant, Erekat était l’architecte principal et le défenseur obstiné du paradigme archaïque d’Oslo. Malgré ses offres répétées de démission – en particulier après que des fuites ont révélé les importantes concessions de l’OLP dans les pourparlers de paix – Erekat a conservé son rang et a même été promu secrétaire général de l’Organisation. Le fait que ses partenaires du gouvernement aient ranimé Oslo quelques jours seulement après sa mort est un rappel poignant que le projet auquel il a consacré sa vie continuera de nuire à son peuple.
Tant la chute de l’OLP que les catastrophes que ses dirigeants ont provoquées n’impliquent pas nécessairement d’abandonner son potentiel de réforme. Cependant, cela oblige les Palestiniens et leurs alliés à mener un autre type de politique tant que l’OLP reste dans cet état débilitant. Si la Mouqata’a n’est pas disposée à transférer son pouvoir à son peuple, la réponse est de reconstruire le pouvoir en partant de zéro. Heureusement, la source la plus riche d’intellect, de débat et d’organisation palestiniens ne réside pas dans les anciens politiciens dépassés, mais dans la jeunesse dynamique, la société civile et ses mouvements populaires. Et c’est là que doivent être dirigées les énergies et les ressources du monde.
Heureusement, il existe de nombreuses façons de le faire. Une nouvelle génération d’activistes, de penseurs, d’artistes, de journalistes, d’éducateurs et d’autres Palestiniens critiques rajeunit la cause, établissant des liens entre l’intérieur d’Israël et les territoires occupés ainsi que la diaspora.
Les médias indépendants arabes et anglais amplifient les voix palestiniennes qui renouvellent le discours public. Les comités de village et les collectifs d’activistes sur le terrain servent de première ligne de défense contre la violence et l’expansion des colons israéliens. Les groupes de réflexion, les groupes de défense, les centres juridiques et les organisations de défense des droits de l’homme gardent la Palestine à l’agenda international. Le mouvement BDS progresse de plus en plus dans sa quête de responsabilisation d’Israël pour ses actes. Et les alliés progressistes aux États-Unis intègrent les droits des Palestiniens dans leurs programmes au Congrès et auprès de leurs bases. L’Autorité palestinienne a peut-être choisi de retourner en captivité, mais cela ne signifie pas que son peuple doit être entravé par ses chaînes.
Amjad Iraqi est journaliste à +972 Magazine. Il est également analyste politique au sein du groupe de réflexion Al-Shabaka. Il est citoyen palestinien d’Israël, vivant à Haïfa.
Article original paru le 21 novembre 2020 sur +972 Magazine.
Traduction : Thierry Bingen
[1]
Siège de l’Autorité palestinienne.