Annexion: Quid de Gaza?

Si l’attention de la communauté internationale s’est, à juste titre, focalisée sur le risque d’une annexion de la Cisjordanie, l’isolation de la bande de Gaza du reste de la Palestine n’en joue pas moins un rôle clé dans la stratégie israélienne.

Par Marianne Blume

Alors qu’Israël annonçait son projet d’annexer de jure la Cisjordanie, en tout ou en partie, et que, dernièrement, il annonçait le gel de son plan suite à la normalisation de ses relations avec les Émirats  Arabes Unis, on a vu se multiplier condamnations, analyses et commentaires. Les arguments contre l’annexion, qu’ils viennent des Nations Unies ou d’ États particuliers, de dirigeants palestiniens ou de personnalités israéliennes, d’associations de solidarité ou de défense du droit international, se sont multipliés et ont pointé toutes les raisons légales, humaines ou autres de s’y opposer.

Dans ce concert de réactions, peu de commentateurs se sont penchés sur l’impact d’une telle annexion sur le sort futur de la Palestine. Bien sûr, il a été question du danger qu’elle constitue pour la solution à deux  États (voir par exemple, la déclaration du Coordonnateur spécial des Nations Unies pour le processus de paix au Moyen-Orient et Représentant personnel du Secrétaire général, Nikolaï Mladenov[1]), une rengaine bien connue et vide de sens au vu des réalités du terrain. Or, en parlant de la Cisjordanie, on oublie la bande de Gaza qui est partie intégrante de la Palestine. Tout se passe à chaque fois comme si, malgré l’attachement affiché à une solution à deux États, on admettait comme un fait établi que la Cisjordanie et la bande de Gaza devaient être traitées séparément. On refuse de voir qu’en agissant ainsi, on entérine la séparation voulue par Israël des deux parties de ce qui reste du territoire palestinien.

On pourra rétorquer que, dans ce cas précis, l’urgence était en Cisjordanie. Sans doute. Mais accepter de traiter le problème de cette manière, c’est en fait jouer le jeu d’Israël qui ne veut ni d’une solution à deux États ni d’un État binational. Pire, c’est permettre à Israël de se diriger vers « sa » solution : un État palestinien réduit à la bande de Gaza.

Qu’on se le dise une fois pour toutes, dans les circonstances internationales actuelles, la Palestine, c’est la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza.

Pourquoi Israël n’annexe-t-il pas la bande de Gaza ?

La réponse est un secret de Polichinelle : si Israël a voulu le faire en 1967 en vidant tout simplement le territoire de ses habitants, il y a renoncé depuis.  Sans que l’idée en disparaisse pour autant puisque Moshé Figlin, vice-président de la Knesset en 2014, proposait un plan grâce auquel, une fois la bande de Gaza entièrement conquise, on permettrait à la partie de la population « innocente » et qui se serait distanciée des terroristes armés de partir et « à la suite de l’élimination de la terreur, Gaza deviendra(it) une partie de l’Israël souverain et sera(it) peuplée de Juifs. » Mais cette solution extrême obligerait Israël à faire une guerre totale et à prendre en son sein des Palestiniens, ce qui créerait un « problème démographique ». (lire Marianne Blume,  « Gaza vu d’Israël », bulletin Palestine 76, juin 2018)

Finalement, dès les années 90, l’idée retenue est de mettre définitivement la bande de Gaza à part (Rabin), ce qui sera totalement réalisé non seulement avec les Accords d’Oslo mais plus encore après la victoire du Hamas aux élections. Gaza, déclarée entité ennemie, est soumise à un blocus complet et Israël ne se reconnaît plus comme puissance occupante sur son territoire. On se contente de la bombarder, de détruire ses infrastructures, de lui rendre la vie impossible prétendument pour en chasser le Hamas. Mais en réalité, le statu quo est tout bénéfice pour Israël qui, sans états d’âme, permet au Qatar – qui n’est pas vraiment un ami – de verser des millions de dollars à l’autorité de la bande de Gaza (Hamas), pour « raisons humanitaires ». En fait, cet agrément permet à Israël de maintenir le calme relatif aux frontières et de renforcer la division du mouvement palestinien. D’ailleurs, quand le Qatar menace de mettre fin à ses aides, Israël s’en inquiète. En 2017, Nachum Shiloh, expert au Centre Moshe-Dayan pour les études sur le Moyen-Orient et l’Afrique, le disait clairement : « La rupture des liens diplomatiques entre les pays arabes et le Qatar pourrait conduire Doha à cesser ses aides financières au Hamas. Cela pourrait alors déboucher sur une déstabilisation accrue de la bande de Gaza et un nouveau conflit avec Israël. »

La politique israélienne vis-à-vis de la bande de Gaza et de la Cisjordanie est parfaitement pensée depuis le début : diviser la Palestine et pouvoir annexer la Cisjordanie. Dès 2005, le géographe palestinien, Khalil Tafakji, ne s’y trompait pas: le plan Sharon de désengagement de Gaza est avant tout une préparation à l’annexion de la Cisjordanie.

La bande de Gaza devenue un cas humanitaire

Quand aujourd’hui, on parle de la bande de Gaza, on en parle à juste titre en termes de catastrophe humanitaire et économique (voir le dernier rapport de la CNUCED). Ce n’est pas que manquent les rapports et les critiques du blocus aggravé, imposé par Israël depuis 2006. Ce n’est pas non plus que manquent les appels à lever le blocus. C’est tout simplement qu’au niveau des décideurs politiques, la bande de Gaza est considérée comme une entité à part et l’on feint de résoudre la crise qu’elle vit par de l’aide humanitaire ou financière. Or, comme le déclaraient les signataires d’un appel à la levée du blocus, « Sans levée du blocus, l’aide humanitaire continuera à être jetée dans un puits sans fonds. Elle permet juste de garder le patient en vie, mais pas de le guérir. »  Clairement, la solution est globale : la bande de Gaza comme la Cisjordanie -même si, de façon différente- restent toutes deux occupées et la seule solution est une solution globale, politique : la fin de l’occupation de la Palestine.

La politique, toujours la politique

Et c’est là que le bât blesse. En dehors des condamnations, des appels et autres gesticulations, aucune sanction n’est prise pour qu’Israël mette fin à l’occupation et s’investisse concrètement dans un processus destiné à reconnaître les droits des Palestiniens. Des États européens ou des organismes internationaux grondent, menacent parfois mais jamais n’agissent. Et la situation ne va pas en s’améliorant depuis que les Emirats Arabes Unis et Bahreïn ont officiellement noué des liens avec Israël. L’hypocrisie du soutien des frères arabes aux Palestiniens éclate aujourd’hui en plein jour. En fait, parler de « normalisation » à propos des relations entre certains pays comme les Émirats arabes unis et Israël est abusif : il ne s’agit que d’inscrire sur le papier des choses qui existent déjà depuis belle lurette dans la réalité. Actuellement, les stratégies régionales et internationales anti-Iran, anti-Qatar et anti-Turquie, les guerres en Syrie et au Yémen, ont relégué la cause palestinienne au deuxième plan.

Par ailleurs, l’Autorité palestinienne et le Hamas accentuent, par leur division, la division de la Palestine et celle des soutiens à la Palestine. Les réconciliations annoncées sont nombreuses mais jusqu’à présent, sans résultat tangible. Il est vrai qu’en juillet, dans ce qu’ils ont appelé un pas vers « l’unité nationale », Jibril Rajoub et le député du Hamas Salih al-Arouri ont tenu une conférence de presse le 2 juillet, dans laquelle ils ont annoncé que les deux mouvements se coordonneraient dans leurs actions de lutte contre l’annexion. Il est vrai encore qu’à Gaza, Fatah et Hamas ont tenu une grande manifestation contre l’annexion avec vidéoconférence. Non moins vrai qu’une Direction nationale unifiée de la résistance populaire a été créée (septembre 2020) qui est élargie au Hamas et au Jihad islamique et que des élections sont promises. Néanmoins, on est encore loin du compte. La rue palestinienne reste sceptique, elle qui demande la réconciliation depuis longtemps.

Sans unité nationale palestinienne, sans stratégie unifiée, sans sanctions internationales contre Israël, sans une politique d’actions et non d’incantations de la part de l’Europe et des autres États du monde, la Palestine risque fort de disparaître et les Palestiniens de ne plus faire  l’objet que d’aides humanitaires et financières et de considérations bien argumentées sur leur condition de peuple opprimé. On continuera à rédiger des rapports circonstanciés sur la situation à Gaza et en Cisjordanie, on condamnera l’occupation, on redira l’apartheid, etc. et les Palestiniens continueront de subir et de souffrir d’Israël et de voir leurs droits ignorés et bafoués.

Marianne Blume

 

[1] https://www.un.org/press/fr/2020/sc14258.doc.htm

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