Les colons israéliens s’offrent une nouvelle cible, et pas en Cisjordanie

Une marche d’extrémistes juifs à Lydd est un nouveau rappel que l’extrême droite a l’intention de montrer aux citoyens palestiniens des “villes mixtes” qui est aux commandes.

Par Samah Salaime

Aux yeux des Palestiniens, l’expression « marche aux drapeaux » évoque des images de Jérusalem. Cela évoque, pour nous, la lutte pour la Ville sainte et Al-Aqsa, et les provocations de masses de Juifs israéliens d’extrême-droite enveloppés dans des drapeaux, prenant le contrôle de la ville et y réaffirmant la suprématie juive.

Ces images ont sauté aux yeux des habitants arabes de Lydd, une ville dite mixte dans le centre d’Israël, après qu’il eut été annoncé qu’elle aurait sa propre « marche aux drapeaux » le dimanche 5 décembre. La marche provocatrice, qui réunissait des centaines de jeunes Juifs de droite, a été délibérément programmée à Lydd, qui avait été le point de départ de groupes d’extrême droite essayant d’affirmer leur pouvoir et d’intimider les habitants palestiniens, et ce, depuis les violences qui avaient éclaté dans la ville et qui allaient embraser une grande partie d’Israël-Palestine au mois de mai. (…)

Depuis mai, Lydd est entré dans la conscience collective des citoyens palestiniens comme l’endroit le plus dangereux et le plus violent du pays, juste après Jérusalem. Un citoyen palestinien a été tué à Lydd au début des événements, après quoi un citoyen juif a aussi été tué ; la synagogue de la ville a été incendiée et une mosquée fut la cible de tirs ; des maisons de familles arabes et juives ont été détruites et ont essuyé des cocktails Molotov ; un couvre-feu a été imposé à la ville et un résident a été placé en détention administrative. Environ 300 Palestiniens et cinq Juifs ont été arrêtés à Lydd, et tandis que les enquêtes sur la violence juive contre les Palestiniens dans la ville ont été clôturées, les enquêtes sur la violence palestinienne envers les Juifs sont toujours en cours.

De nombreux Palestiniens accusent Garin Torani, une cellule du mouvement des colons qui cherche à judaïser davantage les « villes mixtes » d’Israël, d’être responsable d’une grande partie de la violence. Depuis les événements de mai, il semble que le Garin Torani ait décidé que Lydd n’était saint que pour les Juifs. De nombreux groupes de touristes – mouvements de jeunesse, écoles de préparation militaire, étudiants et personnes âgées – sont venus dans la ville, guidés par des membres du Garin. Je suis tombée sur ces visites du vendredi matin et j’ai entendu le guide disant que la mission des membres de Garin consistait à sauver la ville de la pauvreté, de la violence et de la misère que les Arabes lui ont infligées pendant de nombreuses années.

Lydd n’a jamais été une ville tranquille, mais jusqu’en mai, la lutte pour le partage de l’espace et le contrôle de la ville n’avait aucun caractère religieux. Il y a bien eu quelques tentatives du maire, Yaïr Revivo, de provoquer les habitants musulmans, notamment en menaçant de faire baisser le volume de l’appel à la prière. Une fois, il a même fait irruption dans la mosquée Dahmash au milieu de la prière.

« Cette marche est la poursuite d’un plan organisé par les Garin Torani pour prendre le contrôle de la ville », explique Hanan Samara, qui dirige le Comité des parents à Lydd. «C’est une démonstration de force de la droite en guerre contre une seule chose : la présence arabe dans la ville. Notre seule existence les dérange. Ce qui s’est passé en mai a été un signal d’alarme pour toutes ces cellules dormantes. [La droite] a découvert qu’il y a des citoyens arabes ici et que ces Arabes ont du pouvoir, sont présents et qu’ils ne cèdent pas. » (…)

Et que devraient faire les Arabes ?

« Nous avons un sérieux problème de direction. D’une part, il y a une prise de conscience chez les personnes qui, jusqu’en mai, essayaient seulement de survivre, et qui se sont maintenant éveillées et ont réalisé qu’elles étaient dans le collimateur. D’autre part, les dirigeants locaux veulent faire taire, suivre le mouvement, et se taire en échange d’un traitement plus décent de la municipalité, malgré le fait qu’ils savent qu’il y a de la discrimination et du racisme – et maintenant une réelle hostilité contre nous. (…)

Les colons de la ville

Aujourd’hui, Lydd est une ville pleine de pauvreté et de violence, de tension et de détresse. C’est un tissu complexe qui comprend une population palestinienne qui vit dans la ville depuis des siècles, des réfugiés palestiniens arrivés des villages environnants après 1948, des Bédouins qui s’y sont installés venant du sud, ainsi que des immigrants juifs provenant de l’ex-Union soviétique, des pays arabes et d’Éthiopie. Au cours de la dernière décennie, les militants de Garin Torani – y compris les évacués de Gush Katif (le bloc de colonies israéliennes dans la bande de Gaza d’avant 2005), les personnes qui ont grandi dans les colonies de Cisjordanie et d’autres – ont emménagé dans la ville.

Comme toutes les villes palestiniennes, Lydd contient des traces anciennes de différentes périodes de l’histoire, y compris couches sur couches des différents peuples et groupes qui ont vécu dans la région.(…)

Pendant 70 ans, Juifs et Arabes ont vécu dans la ville et ont été confrontés aux mêmes problèmes de pauvreté, de criminalité, de manque de protection sociale, d’éducation, de planification et de logement. Les Arabes, qui représentent 30 % des habitants, ont subi plus de discrimination et de négligence que les habitants juifs, mais ils ont tous partagé la ville, dont la plupart des vieux quartiers sont devenus de facto « mixtes ».

Une lutte pour “se protéger”

Tayseer Sha’aban est membre du Comité populaire de Lydd. Récemment, le maire Yaïr Revivo a publiquement accusé Sha’aban et Khaled Zbargah, un autre militant, de provocation à la veille de la « marche aux drapeaux ».

« De manière irresponsable, le maire ne nous a pas seulement conduits aux événements tragiques de mai, mais il couvre également les cellules des Garin Torani élevées dans des incubateurs de terrorisme et de haine dans les colonies, les invitant dans sa ville pour ce défilé de défi – et a ensuite l’audace de nous accuser, nous, de provocation », dit Sha’aban. (…)

« Le maire a amené en mai à Lydd, sous les auspices de la municipalité, des milices terroristes des colonies », a déclaré Zbargah, autre membre du Comité populaire. « Il y a actuellement une tentative de privatisation de la sécurité des habitants via la création de milices juives sous le nom de « Gardiens de Lod » en vue d’organiser et d’institutionnaliser l’agression contre les Arabes dans la ville. [Revivo] leur a donné une salle de contrôle, un siège social et des bureaux, et leur a permis d’installer des caméras dans toute la ville.

« Au lieu d’inciter contre nous les gens qui veulent protéger la ville et maintenir le calme dans ses quartiers, nous proposons à [Revivo] d’assumer la responsabilité de ses actes. », poursuit Zbargah. « Nous n’avons jamais appelé à faire du mal à qui que ce soit. Les Arabes de Lydd ont toujours été respectueux et ont entretenu de bonnes relations de voisinage. Notre lutte est une lutte juste, légale, non violente, pour nous protéger. » Pour finir, la marche elle-même a été beaucoup plus modeste que prévu et n’a réuni que quelques centaines de personnes. Néanmoins, Revivo a eu des mots durs pour les habitants palestiniens de la ville. « La marche aux drapeaux, qui est maintenant terminée et s’est déroulée en parallèle avec un rassemblement devant la Grande mosquée, aurait pu facilement se terminer autrement. Les dispositions prises par la police israélienne et la mobilisation des personnalités publiques locales, juives et arabes, ont pu écarter les craintes. »

Maha al-Naqib, ancienne membre du Conseil et militante du parti de gauche Hadash, considère également la marche comme faisant partie d’une stratégie plus large visant à rendre la vie insupportable aux habitants arabes de Lydd. « Au sein de la société arabe, la violence et la criminalité augmentent, chaque famille lutte pour survivre et se protéger, ainsi que ses enfants », dit-elle. « D’un autre côté, l’agenda politique de “judaïsation” de la ville, qui signifie en fait nettoyer la ville de ses Arabes, gagne en force et est dirigé par un petit groupe organisé qui contrôle les budgets, les bâtiments publics et les postes clés. ».

« Ce défilé est un autre moyen de répression – c’est une démonstration de force contre une population déjà affaiblie et marginalisée », a poursuivi al-Naqib. « Les habitants de Lydd savent ce qui se passe et où tout cela mène, mais la plupart n’ont pas la force d’y faire face. Malgré leur épuisement et leur conscience politique qui s’est élevée depuis mai, leurs adversaires ont un besoin insatiable de se battre, de verser le sang. Ils aspirent intensément à un autre cycle de batailles – et à la victoire. »

Article original paru sur 972mag.com le 9 décembre 2021 sous le titre « Israeli settlers have a new target, and it’s not in the West Bank »

Traduction : Thierry Bingen et Ouardia Derriche

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