Bulletin 46
Il y a chez Israël la quête de légitimation historique a posteriori… Mais son Etat a été édifié sur nos tombeaux, sur nos exils.
Dès 1988, l’OLP a entamé le processus qui allait mener à la reconnaissance de l’Etat d’Israël lors de l’échange de lettres entre le Président Arafat et Rabin. Israël se contentait de reconnaître l’OLP comme représentant du peuple palestinien. Le cours naturel de l’histoire aurait dû, après la reconnaissance du peuple palestinien, puis de son représentant politique et de ses droits, aboutir à la mise en œuvre de ses droits, y compris son droit à un Etat. Mais l’histoire ne manque pas d’humour. Alors que nous pensions le temps de notre reconnaissance enfin arrivé, Israël, qui persiste sur le terrain à torpiller la perspective d’un Etat palestinien, exige une nouvelle forme de reconnaissance, celle de son caractère juif. Le gouvernement israélien cherche-t-il à fuir ses obligations en nous en inventant de nouvelles? Peut-être, mais pas seulement. Il vise comme toujours, en lieu et place de la paix, notre capitulation.
Tout d’abord, dans les relations internationales, une entité en reconnaît une autre sans devoir lui adjoindre tel ou tel qualificatif. Nous avons reconnu Israël il y a maintenant deux décennies. Nous avons reconnu son existence sur une part substantielle de notre territoire national. Nous attendons toujours de cet Etat qu’il définisse ses frontières conformément aux dispositions du droit international, qu’il cesse ses violations du même droit international, qu’il reconnaisse nos droits pour ouvrir enfin la voie de la coexistence. Or, Israël veut aller jusqu’au bout de l’entreprise lancée en 1948, celle de la négation et de l’effacement de notre histoire, de notre présence et de nos droits légitimes.
Il y a en effet chez Israël la quête de légitimation historique a posteriori. « Si cet Etat est celui des juifs, alors, il était naturel de vouloir remplacer le peuple autochtone par les immigrés juifs venus du monde entier. Notre combat était justifié par l’objectif noble qui était le nôtre, créer un foyer national pour les Juifs ». Mais cet Etat a été édifié sur nos tombeaux, sur nos exils. Il est le résultat de notre arrachement à notre terre, à nos racines, à nos espérances. Nous, les habitants des tentes, nous, les voyageurs accueillis par le vent, nous devrions reconnaître que la raison pour laquelle nous avons été chassés était valable; nous les victimes, nous devrions reconnaître que notre bourreau avait le droit de nous assassiner! Trahir les morts, voilà ce qu’on nous demande. La Palestine est la terre des Palestiniens et si un jour, nous nous sommes montrés prêts à reconnaître la réalité historique et sa conséquence, la création d’un Etat d’Israël sur notre terre, afin de permettre la coexistence et ne pas répondre au nettoyage ethnique par le nettoyage ethnique, nous ne nous sommes pas pour autant convertis au sionisme!
Israël doit reconnaître sa responsabilité directe dans l’exil des Palestiniens
Il y a ensuite nos droits que nous continuerons à défendre, notamment le premier d’entre eux, le droit au retour. Cette reconnaissance de la judéité doit servir de muraille infranchissable dressée contre nos espoirs. Et nous serions condamnés à l’ériger de nos propres mains! Après avoir veillé sur un arbre frêle, l’avoir protégé en hiver et en été, avoir découvert le soleil logé dans son feuillage, avoir aimé l’ombre dont il nous enlaçait,… on nous demande de l’abattre! Il est temps pour Israël, au contraire, de reconnaître sa responsabilité directe dans l’exil des Palestiniens, établie par les nouveaux historiens israéliens. L’idéologie sioniste visant à créer un foyer juif sur une terre jusque-là multiconfessionnelle, sans se préoccuper du sort de ses habitants originels, en niant même leur existence, portait en elle-même les germes des guerres et massacres à venir. Il est temps pour Israël de reconnaître notre droit au retour afin que nous puissions en discuter sereinement l’exercice, en offrant la possibilité aux réfugiés de décider librement de leur destin après plusieurs décennies de négation et de violations de leurs droits fondamentaux, de souffrances.
Il y a enfin, les Palestiniens de l’intérieur, les Palestiniens de 48, dont j’aurais pu faire partie si mes parents n’avaient pas été condamnés à l’exil. Sur la route de la lutte pour un Etat, nos chemins se sont séparés et notre combat s’est dédoublé en un combat pour le droit à un Etat et au retour- et un combat pour l’égalité des droits au sein même d’Israël. On voudrait faire de nous, les Palestiniens de l’extérieur, l’arme qui abat les Palestiniens de l’intérieur au moment même où ils sont le plus menacés. Les liens qui nous unissent sont si profonds qu’en 2000, nos cœurs nous ont rappelé qu’ils battaient ensemble au même chant natal. L’occupant israélien ne s’est alors pas préoccupé de leurs passeports israéliens. Treize Palestiniens d’Israël furent assassinés dès le début de cette deuxième Intifada pour avoir exprimé leur solidarité à l’égard de leurs frères et sœurs qui luttaient pour la libération nationale. Aujourd’hui, plus que jamais au cours des dernières décennies, notre appartenance commune se rappelle à notre souvenir et nos combats multiples ne cessent de dénombrer leurs dénominateurs communs. Nos frères et sœurs nous regardent avec inquiétude et nous devons leur démontrer qu’ils auront raison de nous faire confiance comme nous avons toujours eu raison de leur faire confiance. Renoncer à leur droit serait nous trahir, puisqu’ils sont nous-mêmes! Partout ailleurs, les discriminations qu’ils subissent auraient été lourdement dénoncées. Mais quand il s’agit d’Israël, la lutte pour l’égalité des droits elle- même devient blasphème! Les pays qui nous appellent à reconnaître le caractère juif de l’Etat d’Israël comprennent-ils qu’ils nous demandent de délégitimer la présence de ceux que cette terre a toujours connus comme ses enfants, de participer à leur effacement par l’extrême droite israélienne, laquelle partout ailleurs serait infréquentable, mais là reçoit des visiteurs venus de toutes les chancelleries! Il faut exiger d’Israël de devenir l’Etat de l’ensemble de ses citoyens, et d’intégrer cette région en cessant d’être une force d’occupation et en saisissant l’opportunité historique qui lui est offert par l’Initiative de paix arabe; et non exiger de nous qu’on s’accommode de l’occupation et des discriminations.
Il n’y a plus rien après enfin…enfin…peut être encore une chose : les principes pour lesquels nous luttons. Cette terre est un symbole et nous devons en mesurer la portée. Elle est par essence plurielle. Sa vocation est d’embrasser enfin la multitude. S’y jouent le droit et la justice, le vivre-ensemble et l’humanisme. Devrions-nous, nous, les défenseurs de l’universalité et de ses principes, reconnaître la victoire morale de notre occupant; lui qui a choisi l’exclusive et l’exclusion ? Lui qui, à vouloir dompter cette terre, ne cesse de trahir son message ? Lui qui, à force de la transformer, a fini par la déformer ? Non, car nous avons reconnu Israël comme un fait accompli pour éviter les guerres à venir et nous refuserons de reconnaître la judéité de l’Etat pour la même raison. Nous croyons que les logiques de ségrégation, d’ethnicisation, de discrimination et de racisme sont annonciatrices des ténèbres et nous refusons de nous y soumettre.
Majed Bamya