Les Palestiniens, Israël, les médias et la trêve : cynisme, complicité et double standard

Bulletin 46

C’est un mantra chanté depuis une dizaine d’années dans les grands médias d’Europe : « un nouvel attentat palestinien ou un tir de roquettes sur le territoire israélien replonge le Proche-Orient dans la spirale de la violence ». Cependant, la rhétorique des agressions palestiniennes puis des représailles israéliennes tient-elle la route ? Voici en tout état de cause les rétroactes des trêves successives entre les Palestiniens et Israël.

Le 2 juin 2001

Le rapport de la commission Mitchell (du nom de l’ex-sénateur étasunien George Mitchell), publié le 21 mai 2001, préconisait, après la cessation des violences, que le gouvernement israélien gèle « toute activité de colonisation, y compris la croissance naturelle des colonies existantes». Le 2 juin 2001, au lendemain d’un attentat meurtrier (non revendiqué) à Tel-Aviv, Yasser Arafat proclame un cessez-le-feu. Shimon Peres, le chef de la diplomatie israélienne, demande que la trêve soit testée pendant huit semaines avant de passer à la seconde phase. Les mouvements armés palestiniens déposent effectivement les armes mais la répression israélienne se déchaîne : jusqu’au 13 juillet, l’armée israélienne assassine en moyenne un Palestinien par jour. Le 31 juillet, elle tire une série de missiles sur deux dirigeants du Hamas, Jamal Mansur et Jamal Salim, tués sur le coup en même temps que cinq autres personnes (dont Ashraf Khader, 6 ans, et son frère Bilal, 11 ans), faisant en outre quinze blessés. Le Hamas annonce alors la fin du cessez-le-feu, provoquant l’attentat du 9 août contre une pizzeria de Jérusalem (quinze morts). La colonisation s’est évidemment poursuivie.

Le 16 décembre 2001

En pleine agression israélienne (réoccupation de villes palestiniennes, fermeture d’institutions palestiniennes à Jérusalem, attentats contre des militants ou contre des institutions publiques) et après 3 attentats en réaction à l’assassinat, le 3 novembre, de Mahmoud Abou Hannoud, un responsable du Hamas, Yasser Arafat fait arrêter, les 1er et 2 décembre, 75 militants du Hamas et du Jihad islamique. Néanmoins, Israël accentue l’agression militaire contre le peuple palestinien et décide de rompre toute relation avec Yasser Arafat, l’accusant de « ne rien faire contre le terrorisme », et le déclarant «politiquement hors-jeu ». Celui-ci lance pourtant, le 16 décembre 2001, un appel à l’arrêt total des attaques armées contre Israël, qui répliquera en lui interdisant de quitter Ramallah pour prendre part à Bethléem aux cérémonies de Noël,. Cet appel, entériné par les groupes armés, n’empêchera pas l’armée de poursuivre ses destructions de maisons et d’infrastructures publiques (ainsi de l’aéroport de Gaza). De plus, neuf Palestiniens, dont une femme et deux enfants, ainsi que le Dr Thabet Thabet, Secrétaire du Fatah à Tulkarem, sont assassinés tant et si bien que, le 9 janvier 2002, le Hamas dénonce le cessez-le-feu et attaque un poste militaire près de la bande de Gaza.

Le 23 juillet 2002

Le 23 juillet 2002, la signature d’une trêve devait être annoncée par les mouvements armés palestiniens. Dans la nuit du 22 juillet, un avion de combat F16 largue une bombe d’une tonne sur un quartier populaire de la ville de Gaza, tuant Salah Shehadeh, membre du Hamas ainsi que seize civils, dont neuf enfants, principalement des membres de sa famille. Le raid a également fait environ septante blessés, tous des civils. Le lendemain, le Premier ministre Sharon qualifiait publiquement cette attaque d’«opération comptant parmi les plus réussies». Le général Dan Halutz, commandant en chef de l’aviation israélienne,  déclarait également : «de temps en temps, des non combattants sont touchés lors de nos raids. C’est une donnée intégrée au plan des opérations ». S’ensuit alors, le 4 août, un attentat-suicide. Le 24 juin 2003, le général Halutz commentera l’assassinat de Salah Shehadeh en ces termes : « Nous avons tiré, sachant que sa femme était à côté de lui ».

Printemps 2003

Au printemps 2003, le Premier ministre Mahmoud Abbas tente d’obtenir, contre la libération des plus de 6000 prisonniers politiques palestiniens détenus par Israël, une trêve des mouvements palestiniens armés. Le 29 juin, malgré l’assassinat d’Abdallah Kawasmeh, cadre du Hamas en Cisjordanie, un accord de cessez-le-feu de 3 mois est signé avec le Hamas et le Jihad islamique. Le 5 juillet, Israël annonce qu’il ne libérera que 350 prisonniers, dont pas un seul des deux mouvements signataires du cessez-le-feu, pendant que l’envoyé étasunien au Proche-Orient, John Wolf, demande en vain le démantèlement des avant-postes coloniaux. Le 12 août, après une opération israélienne à Naplouse, un homme originaire de cette ville commet un attentat-suicide à Rosh Aïn pendant que les Brigades Ezeddin al Qassam revendiquent un attentat près de la colonie d’Ariel. Le 19 août, alors que l’armée israélienne avait, depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, tué douze Palestiniens et blessé plus de dix-sept autres, les Brigades Ezeddin al Qassam et le Jihad islamique revendiquent un attentat contre un bus, à Jérusalem. Israël déclare alors qu’il ne distinguera plus entre aile politique et branche armée des mouvements de résistance. S’ensuivra une tentative d’assassinat de dirigeants du Hamas, le Sheikh Ahmad Yacine (leader spirituel du mouvement), Ismaïl Haniyeh (futur Premier ministre) et Marwan Abu Ras (professeur à l’université islamique de Gaza), tentative qui échouera mais tuera tout de même un passant, blessant une cinquantaine de civils. Mahmoud Abbas finira par démissionner le 6 septembre 2003, après le meurtre d’un membre du Hamas au cours d’une opération qui laissera 28 familles à la rue du fait de la destruction d’un pâté entier de maisons. L’absence totale de perspective de changement mettra fin au cessez-le-feu.

Février 2005 et novembre 2006

Une nouvelle trêve entre en vigueur en février 2005. Le vendredi 9 juin 2006, le Hamas déclare la trêve rompue après l’assassinat, sur la plage de Gaza, d’une famille entière. Pourtant, dès le 15 juin, le Hamas était prêt à la  rétablir, selon la déclaration du porte-parole du gouvernement, Ghazi Hamad « si le côté israélien a la ferme intention de répondre positivement à l’appel (…) pour cesser son agression. L’appel ne sera pas entendu.

Fin novembre 2006, un nouveau cessez-le-feu entrait en vigueur. Une semaine plus tard, on pouvait déjà compter 70 violations israéliennes du cessez-le-feu. Le week-end des 21-22 avril 2007 fut particulièrement meurtrier : neuf personnes, dont deux adolescents, furent assassinées. Ashraf Hanayshe, 24 ans, travaillant en alternance comme policier et chauffeur de taxi, fut victime d’un assassinat particulièrement barbare. Le mardi 24 avril 2007, le Hamas annonçait la rupture de la trêve par Israël et la reprise des tirs : 6 roquettes et 8obus, sans la moindre victime.

Le 19 juin 2008

Une nouvelle trêve entre le Hamas et Israël entre en vigueur le 19 juin 2008, impliquant d’un côté que le Hamas ne tire plus de roquettes et de l’autre qu’Israël mette fin au blocus contre Gaza (trêve intervenant juste après l’assassinat par Israël de Rami Abu Sawireh, 25 ans, militant du Hamas). Quelques heures après que les armes se soient tues, Israël doit rouvrir les terminaux frontaliers avec Gaza. Trois jours plus tard (le 22 juin), l’Égypte doit engager une médiation pour libérer le soldat israélien capturé par le Hamas. Enfin, le 26 juin, des négociations sont prévues avec la participation de l’Égypte et de l’UE pour la réouverture du terminal de Rafah.

Mardi 24 juin 2008, des agents des services secrets « déguisés » en Palestiniens assassinent un responsable du Jihad islamique, Tarek Jumea Abu Ali (24 ans), faisant au passage une autre victime, un étudiant de l’université de Naplouse, Iyad Khanfar (21 ans). Pour Israël, la trêve n’est pas violée puisqu’elle ne concerne pas la Cisjordanie. Dans les médias israéliens et occidentaux : silence total là-dessus.

Mercredi 25 juin, le Jihad Islamique réplique à l’assassinat en tirant 2 roquettes, sans faire de victime. Les médias israéliens font aussitôt état du viol de la trêve, les médias européens leur emboîtant le pas. Toute la presse titre en effet sur les seuls responsables possibles de la rupture de la trêve : les Palestiniens du Jihad islamique et leurs tirs de roquettes.
Néanmoins, le Hamas impose la trêve aux groupes armés. Mahmoud Al-Zahar lui-même, un faucon du parti, prend position contre les briseurs de trêve.

Dans la nuit du 4 au 5 novembre 2008, les forces armées israéliennes pénètrent dans la bande de Gaza, prétextant la destruction d’un tunnel. Les affrontements causeront la mort de six membres des Brigades Ezzedine al-Qassam. En représailles, le Hamas tire 53 roquettes, atteignant la ville d’Ashkelon, sans faire de dégâts ni de victimes. Le 17 novembre, ce sont quatre autres militants palestiniens qui sont assassinés. À partir du 4 novembre, Israël impose un blocus presque total à Gaza. La situation sanitaire devient de plus en plus catastrophique.

Après la fin de la trêve, le jeudi 18 décembre 2008, le Hamas décide de ne pas la renouveler. Pour le Figaro, par exemple,  il y a là « de quoi redouter un regain de violences.» Le journal poursuit avec les raisons invoquées par le parti islamique : « l’ennemi sioniste n’a pas respecté ses conditions. L’occupation porte la responsabilité des conséquences ». Il ne mettra pas pour autant ces déclarations à l’épreuve des faits, sans doute parce que l’argument est rigoureusement exact. Le lendemain, jeudi 19 décembre, six mois exactement après la signature de la trêve et donc à son échéance, « deux roquettes ont été tirées par des Palestiniens depuis le sud de la bande de Gaza sur le sud d’Israël. Des tirs qui n’ont fait ni victime ni dégât, selon l’armée. » S’ensuivra le massacre d’environ 1.400 hommes, femmes et enfants, au cours de l’opération « Plomb durci », préparée par l’armée israélienne aussitôt après la signature de la trêve.

L’éternelle loi des deux-poids, deux-mesures

Si le gouvernement israélien atteint des sommets de cynisme en sabotant systématiquement toute trêve ou tentative de parvenir à un accord, les médias européens se convertissent en champions de la spéléologie déontologique, relayant fidèlement la propagande israélienne.

Manifestement, Israël a toujours le beau rôle. Quand les médias européens évoquent une période de calme, il s’agit toujours d’une période de calme en Israël. Le désintérêt est en revanche presque total en ce qui concerne le territoire palestinien occupé où se poursuit, parfois en s’accentuant, la politique agressive de l’armée israélienne : assassinats extrajudiciaires, blocus de Gaza, bantoustanisation de la Cisjordanie, destructions de maisons, expropriations et extension des colonies. Lorsque la pression devient trop forte et à la première réaction palestinienne, les médias d’Europe et d’Amérique du Nord dénoncent en chœur le retour de la violence au Proche-Orient, sans faire référence à la violence de l’occupation.

Julien Masri

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