Bulletin 46
Le 26 septembre passé, les Israéliens mettaient fin au moratoire sur la construction de colonies juives en Cisjordanie. La veille, Mahmoud Abbas avait déclaré solennellement devant les Nations Unies : « Israël doit choisir entre la paix et les colonies ». Et pourtant, dès le lendemain, lesdites constructions ont repris. Le même jour, le président français Nicolas Sarkozy recevait à l’Elysée M. Mahmoud Abbas. Le soir du 27 octobre, tous les journaux télévisés ont consacré un sujet à ces événements, mais de façon parfois subtilement différente.
Sur toutes les chaînes, le ton général était le même. On le voit à la lecture des titres affichés sur l’écran pendant la diffusion du sujet, ou à l’entame des commentaires: « Négociations de paix en danger ? » (CNN), « Les bulldozers menacent les espoirs de paix » (EuroNews), « Après la reprise de la colonisation » (France 2), « Les colonies ou la paix? » (RTBF), « La colonisation a repris » (RTL-TVI). Aucun doute possible sur l’identité du responsable de l’échec probable des négociations : c’est Israël. »
Déceptions sur toutes les chaînes…
Plusieurs journaux ont, avec CNN, mis en avant la « déception » exprimée par les administrations américaine, anglaise ou française et insisté sur l’échec des pressions internationales sur Israël pour prolonger le moratoire : « Montré du doigt par la communauté internationale, le gouvernement israélien souhaite pourtant se raccrocher à tout fil lui permettant de sauver encore ce qui peut l’être. » (EuroNews), « Nous avons regretté que les appels unanimes afin de prolonger le moratoire israélien sur la colonisation n’aient pas été entendus. Je le déplore » (Sarkozy sur Euronews). « Une situation que déplore la communauté internationale … Le premier Ministre israélien a résisté aux pressions internationales et notamment américaines. » (RTL-TVI), et Sarkozy d’évoquer, sur la RTBF « cette incapacité de la communauté internationale à régler ce conflit ». Non seulement Israël est responsable, mais Israël ne veut plus écouter personne.
Trois chaînes ont donné la parole aux Israéliens : Euronews : « Artisan des accords de paix d’Oslo, le président israélien Shimon Pérès parle d’une période d’incertitude, une sorte de crise temporaire » ; RTL-TVI : l’éternel Mark Regev, porte parole du gouvernement israélien : « Seuls des pourparlers sérieux et directs pourront nous permettre de construire un avenir meilleur pour tous ». Une sorte de crise, donc … Ce jour-là, les services d’information israéliens devaient être en panne d’Internet – à moins que même eux n’aient rien pu inventer pour justifier l’injustifiable.
La seule chaîne à avoir donné la parole aux premiers concernés et responsables est la RTBF : sur un chantier de construction en Cisjordanie, un leader des colons déclare : « De ce podium, je me tourne vers Hussein Obama pour lui dire que la terre d’Israël appartient au peuple d’Israël. Le peuple d’Israël a le permis de construire le plus solide au monde: c’est la Bible ».
Enfin, deux chaînes ont accordé la parole aux Palestiniens : Euronews à Mahmoud Abbas : « La poursuite des pourparlers serait une perte de temps si les Israéliens ne prolongent pas le moratoire » et la RTBF à des manifestants palestiniens en Cisjordanie : « Aujourd’hui, le gouvernement Netanyahou, en refusant d’arrêter les implantations de colonies … a décidé de tuer la dernière opportunité de paix basée sur la solution à deux Etats ».
France 2 : ne pas parler d’Israël quand les nouvelles ne lui sont pas favorables
Ce soir-là, France 2 est restée particulièrement évasive. Dans un très court sujet, avec en toile de fond quelques images de Mahmoud Abbas à l’Elysée, sans aucune interview, le journaliste s’est contenté de dire : « Après la reprise de la colonisation israélienne dans les Territoires occupés, on attendait la réaction palestinienne ; c’est une réaction modérée. Mahmoud Abbas a évidemment condamné cette reprise [de la colonisation] tout comme Nicolas Sarkozy et la Maison Blanche ». Le tout sans utiliser une seule fois le mot « Palestine ». Une approche très différente du site Internet de la chaîne sur lequel avait été publié dès 14h49 un article intitulé « Sarkozy: la colonisation israélienne doit cesser ».
Etant donné l’importance de la décision israélienne pour l’avenir de la région et le temps que les autres chaînes ont consacré au sujet, on pourrait penser que la direction de France 2 ne veut pas parler d’Israël quand les nouvelles ne lui sont pas favorables. C’est une stratégie médiatique comme une autre …
Le dernier point qui nous a intéressés, c’est la façon dont les propos de Sarkozy ont été rapportés dans les journaux télévisés. Nous avons déjà vu qu’Euronews avait montré Sarkozy déplorant que « les appels unanimes afin de prolonger le moratoire israélien sur la colonisation n’aient pas été entendus ».
Sarkozy : la colonisation doit cesser – seulement sur la RTBF et RTL
Mais Sarkozy a aussi déclaré, de façon quasi solennelle : « Je le dis devant le président Mahmoud Abbas: la colonisation doit cesser ». C’est court, simple et clair, donc ça devrait bien passer dans les médias télévisés ; et pourtant, cette phrase n’a été reprise que par deux chaînes : RTL-TVI et la RTBF. Et ce n’est pas tout. Sarkozy a ajouté : « Qui profite de ce sur-place ? Les mouvements radicaux, les mouvements violents qui font leur lit de cette incapacité de la communauté internationale à régler ce conflit ». Ce n’est pas tous les jours que le président français lui-même fait un lien entre la politique israélienne de colonisation et, pour faire simple, la difficulté à lutter contre le terrorisme international. Seule la RTBF a rapporté ce passage qui nous semble pourtant si révélateur de l’évolution de la perception des problèmes mondiaux depuis que les néoconservateurs de tous bords ont quelque peu perdu de leur influence.
Pour terminer, un petit mot sur la suite de l’histoire. Mahmoud Abbas attendait la réunion de la Ligue arabe pour prendre une décision. Cette réunion, initialement prévue le 4 novembre, a finalement eu lieu le 9 novembre en Lybie. Aucune des chaînes francophones citées ne s’en est fait l’écho. Peut-être parce que c’était un samedi …
Groupe ABP-media